Si vous avez suivi mes (més)aventures, peut-être serez-vous surpris par cette suite ; peut-être pas…
Acte 3 : quand jamais est un mot qui s’accorde parfois au passé.
Il y a pourtant bien pires menteurs, et surtout menteuses professionnelles, alors pourquoi dit-on avoir une parole de pute ? Curieuse expression. Entendons-nous bien, je respecte infiniment les péripatéticiennes pour leurs bienfaits prodigués à l’ensemble de la Nation, et le moral qu’elles participent à maintenir en ces temps moroses. En particulier, j’apprécie celles qui agrémentent les allées et sous-bois du célébrissime – d’ailleurs précisément pour cette raison – Bois de Boulogne. Je l’ai sillonné de nombreuses fois à vélo, alors j’en suis venu à connaître ces Dames, de visu – et non pas bibliquement ou anatomiquement parlant – jusqu’à la familière réciprocité d’un sourire amical échangé… Et puis je les ai perdues de vue en retournant de l’autre côté de la banlieue parisienne. Je vous confie cette petite introduction pour vous dire que je m’étais juré de ne jamais retenter cette Super Randonnée des Côtes de Bourgogne en version « Randonneur » (je l’ai arrachée en version « Touriste ») mais une parole de randonneur vaut bien une parole de pute, car l’un comme l’autre jurera qu’on ne l’y reprendra plus, mais vous les reverrez toujours sur un coin de route. Alors, excusez-moi Mesdames, mais j’y retourne !
Résumé des épisodes précédents – pour les curieux, les actes 1 et 2 sont ici – la Super Randonnée des Côtes de Bourgogne c’est du rugueux, du brutal, du vrai ! Autant par le pourcentage des montées que par l’état aléatoire du bitume. Sans doute un peu trop âpre pour un vélo et un cycliste ordinaires. Pour un brevet sans concession il convenait donc d’avoir un vélo passe-partout et indestructible, rustique mais léger pour affronter les côtes redoutables. J’en ai fait un avec ce que j’avais sous la main, et j’ai baptisé cette nouvelle monture Le Démolisseur, un nom fort pour renforcer la motivation.
Pour situer le contexte, à l’époque où je l’ai faite, le délai maximum de cette Super Randonnée était de 50h ; aujourd’hui il a été porté à 60, de quoi être bien plus confortable !
26 juillet 2016, le train me recrache dans l’après-midi. Ce départ tardif m’évite pas mal de routes pourries de nuit, alors je conserve ce créneau horaire. La météo s’annonce clémente malgré quelques gouttes possibles. Rien de grave à prévoir de ce point de vue là. Après quelques tours de pédales depuis Dijon, me voilà encore une fois devant la sculpture aux deux vignerons de Marsannay-la-Côte. L’histoire se répète, toujours, à l’échelle des nations comme à celle d’une vie. Trop tard pour hésiter. Il reste environ cinq heures de jour, il est temps d’y aller. Le départ prend une allure de déjà-vu : apercevoir les lacets droits devant, épouvantail finalement bien inoffensif, puis grimper la côte, pour avaler en hors-d’œuvre le Mont Afrique, qui à force se laisse apprivoiser. Seule la végétation a changé d’aspect, plus aride et terreuse. En altitude, le parfum des sous-bois et l’odeur de résine chauffée au soleil se mêlent délicieusement. Cette fin d’après-midi s’annonce sympathique.
L’été est là, sec, à l’inverse de mon précédent passage printanier, gras et humide. Cela pourrait paraître anecdotique, mais les conditions de route changent énormément… c’est un détail à considérer avant de se lancer ! Je me jette dans la bonne descente vers Le Cude. Le vélo se montre d’une stabilité exemplaire. Après l’impression de facilité dans le Mont Afrique, je commence vraiment à prendre du plaisir. Comme quoi tout devient si simple avec de bons outils ! Je repasse par Mâlain. Est-ce que refaire encore une fois cette randonnée l’est ; très malin ? Je vous laisse le choix de la réponse. La route commence à s’élever. Le ruisseau qui me suit sur la droite n’émet cette fois plus que des clapotis timides, assoiffés. Je m’arrête pour me rafraîchir au cimetière à l’entrée de Beaume-la-Roche. L’eau qui s’échappe du robinet est trouble, un peu laiteuse… tant pis ! Le goût n’est pas suspect, je la boirai quand même. Sous le soleil les vieilles pierres du bourg sont agréables. La petite cascade offre un débit triste, et le plan d’eau presque sec sent fortement la vase. Après le village la route se cabre à nouveau. La montée est longue et tranquille. Comme dans beaucoup de coins en France, cette année le blé est court sur sa tige, et ne vaut pas grand-chose. Cette étape est facile, seule la montée finale est rugueuse… à tous points de vue d’ailleurs !
La montée vers Avosnes me semble encore plus facile. Début d’étape en longues montagnes russes. Dans la descente vers Uncey-le-Franc, le vélo est toujours aussi stable. Le vent est furieux, je m’amuse. La belle remontée en ressortant du village est gravillonnée par intermittence. Ce sera la folie du gravillonnage sur ce brevet… mais pas toujours sur les routes qui le méritent le plus ! Ici il est réalisé avec parcimonie, rien de glissant, c’est rare, mais les prochaines fois ce sera une autre affaire ! Le soleil rougeoyant joue au peintre très inspiré. À l’approche de Thorey-souys-Charny dans le jour déclinant, les mâts de la Croix-Saint-Thomas se dévoilent. Je passe devant la Ferme de l’Hôpital et ses chambres d’hôtes. Faut-il trouver l’association des termes très rassurante ? J’arrive pour pointer alors que des éoliennes lointaines clignotent en rouge dans mon dos, en réponse à l’étoile du Berger déjà levée.
En repartant, le village de Mont-Saint-Jean – qui m’avait paru mort sous la pluie – est bien vivant dans le soir d’été. À Saulieu, je passe devant le restaurant La Côte d’Or avant de tourner pour suivre ma route. En face sur sa butte, un Christ attend sur sa croix dans une lumière nocturne jaunie. Il me plaît à penser qu’il a été là pour Bernard Loiseau… Quelques lambeaux de brume, comme autant de fantômes de fraîcheur, se forment un peu plus tard sur la route. Les étoiles scintillent dans la nuit d’encre. En traversant Quarré-les-Tombes, l’éclairage public s’éteint sur mon passage. Le village cède face aux ténèbres. Alors que je pense avoir été englouti dans le ventre de la nuit, un gros quartier de lune rousse se lève tardivement à l’approche du Barrage de Crescent. Je m’arrête au panneau de pointage en m’éloignant du tumulte des eaux brisées dans leur chute.
Je me remets en route dans la fraîcheur de la nuit. Les 13°C me font du bien et contrastent avec la chaleur de l’après-midi. Quelques apparitions du brouillard me suivent en chemin. La nuit se passe sans trop d’efforts, l’obscurité rend toujours les bosses indulgentes pour le cycliste cheminant dans la noirceur. Les heures passent, sans sommeil et les bosses faciles. Quand le retour du jour n’est encore qu’une possibilité, j’entends l’eau chanter sur ma gauche. Je déniche un petit robinet attenant à un ancien lavoir dans la montée du Haut-Folin. Aucun panneau ne me renseigne sur la qualité ou non de sa potabilité. Le flot est clair, inodore, au goût faiblement minéralisé ; alors ce sera parfait pour mes bidons. J’en profite pour débarrasser ma peau du sel accumulé sur cette première douzaine d’heures. Je termine cette ascension tranquille à l’aube, pour pointer au sommet. Pourtant je sens mon dos déjà fragile, et je sais que bien plus dur m’attend bientôt, alors autant s’économiser.
Je repars, le Mont Beuvray est à deux pas, sur des routes toujours aussi peu fréquentées. Depuis le départ je ne me suis fait doubler que par deux voitures. Il y en aura un peu plus par la suite, mais jamais la foule. J’aime autant. L’odeur des résineux abattus en forêt rend l’air frais matinal encore plus vivifiant. La montée du Haut-Folin n’était qu’un échauffement, mais maintenant, au pied du Musée archéologique de Bibracte, l’ascension du Mont Beuvray est exigeante. Je m’accroche, je sais ce qui m’attend. La route débarrassée de son tapis de feuilles mortes et d’une partie de sa caillasse apparaît moins dégradée. Par contre, le mal de dos se précise, pas bon signe. Par contraste, les deux replats à 5 % me donnent l’impression d’être en descente ! Le sommet se précise. Ne plus avoir à tirer sur le cintre me soulage. Je fais une pause étirements, avant d’attaquer la descente sinueuse.
Après un début d’étape tranquille jusqu’à Étang-sur-Arroux, la lassitude commence à se faire sentir. Les jambes manquent d’énergie, aussi je suis surpris par le raidillon en sortie de la Chapelle-sous-Uchon, et reste presque planté sur la petite route. Pour récupérer un peu, je fais une pause au cimetière du village. Plein des bidons, toilette rapide, graissage du cuissard et c’est reparti. La montée vers Uchon ne ressemble à rien : faux plats fréquents, descentes jusqu’à 18 % et remontés du même acabit. La progression est usante, ingrate. La traversée du village se fait au ralenti. Je contourne l’église à 5km/h avant d’arriver directement au panneau de pointage, sans errer cette fois sur le parking situé juste en amont. Début de matinée au sommet, un concours de coqs s’époumone de la façon la plus criarde et éraillée possible. Les candidats sont difficiles à départager.
Sur le chemin passant par l’Étang-Neuf et le Prieuré, il faut slalomer entre les mottes d’herbes les trous d’obus et les ronces décidées à ne pas rester cantonnées sur les abords. Il faudra éviter de temps à autre ces griffes végétales sur la suite du parcours. De Montcenis à Blanzy, je peux récupérer sur cette portion très roulante. Le seul problème est d’éviter une vingtaine de nuages de moucherons d’une densité incroyable. Ça passe en baissant la tête et fermant les yeux. En les rouvrant, je me retrouve avec les avant-bras constellés de petites taches noires frétillantes ! La fin est plus âpre en gravissant le Mont-Saint-Vincent, mais sans l’ingratitude de la montée du Mont Beuvray ou d’Uchon. Le petit vent au sommet brasse agréablement les 33°C du thermomètre.
C’est reparti pour une petite étape avec des bosses faciles. Seul le final pour se rendre sur l’esplanade de la Butte de Suin demande d’écraser vraiment les pédales. Après la photo de pointage, je me rends au pied de la statue de la Vierge Marie. J’y retrouve le robinet où je peux me décrasser et remplir les bidons. La selle Brooks en caoutchouc ne nécessite pas de rodage, mais n’est pas d’un confort renversant pour les ischions délicats. Vélo neuf, selle neuve, je savais que je prenais un gros risque pour ce genre d’aventure. Le résultat est plus proche d’une assise en cuir que d’une coque de plastique rembourrée, mais je suis très exigeant de ce côté-là. La moitié du chemin est faite, mais la fin s’annonce moins sereine pour mon fessier ! Le choix d’une selle est toujours quelque chose de très personnel.
Comme la première fois, le passage par le Col des Vaux me laisse perplexe : quelques kilomètres ont dû passer à la trappe sur la feuille de route, mais on s’y retrouve quand même sans problème. Le panneau indiquant de petit col est perdu sous les ronces. Le gravillonnage généreux chante sous mes pneus en allant sur Chandon. Je trouve la complainte apaisante dans ce début d’après-midi. À partir de Montmelard, les montées tranquilles se changent progressivement en bosses prenant de plus en plus de pourcentage. Je marque une petite pause sur l’esplanade touristique de Saint-Cyr avant de m’attaquer à la courte mais redoutable ascension du Mont. Encore une fois, le fait d’avoir déjà réalisé cette randonnée en mode « touriste » me permet de gagner du temps. Je suis assez peu la feuille de route, reconnaissant le chemin en me fiant souvent à ma mémoire visuelle. Après avoir grimpé avec peine ce cul-de-sac à 4,5km/h – c’est toujours très étonnant comme sur ces routes les virages sont si souvent ignorés pour atténuer l’âpreté des côtes – un groupe de promeneurs me regarde amusé photographier un cadre vide… et repartir aussitôt ! Je reste prudent dans la descente, car il y avait du monde en contrebas sur l’esplanade touristique.
Avec la chaleur, mes réserves de poudre pour remplir les bidons s’amenuisent. Il faut que j’en garde pour passer la nuit sereinement, et je me méfie des températures élevées qui m’ont joué un sale tour cette année sur le 1000 de Ménigoute. L’après-midi avance – et je ne suis pas sûr de trouver grand-chose plus tard – alors je m’arrête pour me ravitailler à la supérette de la grande place de Matour. À l’entrée de Tramayes, je n’avais pas remarqué le lotissement neuf, laid et cubique sur ma droite. Les travaux de voirie, eux, sont toujours là. Ils s’éternisent, seuls les trottoirs viennent d’être refaits. J’y passe prudemment, plutôt que de m’enliser dans la grosse caillasse. La Mère Boitier n’est plus bien loin, et le chien hargneux toujours là. Malgré quelques courts passages à 12-13 %, la montée n’est pas très exigeante. Pour pointer, je trouve cette fois le parking à sec, contrairement au site marécageux de la dernière fois. Je n’aurais pas à patauger pour photographier le panneau. Le vent frais apaise le coup de chaud dû à la montée.
Je redescends en m’attendant à trouver les quatre promeneurs croisés dans la montée. Comme prévu, ils sont là. Je fais gueuler ma roue libre pour avertir. Le petit groupe se retourne et se rassemble sur le même côté. Un des deux sales gosses trouve intelligent de retourner soudainement en plein milieu de la route avec un sourire stupide. Je vise le bas-côté, et passe sans dégât en lisière de goudron au prix de belles sueurs froides. Avec de tels amusements débiles et dangereux – y compris pour lui – je me dis que toute l’éducation du morveux – et des parents – est à refaire ! Une toute petite étape facile avec une descente avant de grimper un petit col : celui de Grand Vent puis celui de la Grange du Bois. Il fait encore bien jour alors que la dernière fois j’avais pointé ici de nuit. Les deux tiers du parcours sont faits, et ma marge horaire grandie petit à petit. Cette fois je devrais rentrer largement dans les délais, mais celui qui m’avait causé tant de soucis, le Mont Rome, est encore bien loin… alors rien n’est encore gagné !
Je découvre ce soir des paysages que la nuit m’avait masqués, dont la fameuse roche de Solutré où un parapentiste joue à tourner inlassablement autour du sommet. Comme lui mais au niveau du sol, je cours entre les roches et les vignes. Le gravillonnage est encore une fois très généreux. La prudence s’impose dans les descentes. Je m’arrête pour me décrasser entièrement, et regraisser le cuissard aux toilettes publiques de Pierreclos. Sans être vraiment douloureuse, cette selle Brooks Cambium C17 n’offre pour moi qu’un confort minimal. En trouverais-je un jour une qui me convienne à 100 % ? La traversée de Milly-Lamartine pour couper les voies rapides du TGV et de la N79, qui m’avait semblé si hasardeuse à suivre dans l’obscurité, est vraiment limpide avec le jour. Le soir s’installe sur la route en direction de Mont Saint Romain. Vous l’aurez facilement deviné, comme d’habitude, arriver au sommet du mont se mérite par une bonne grimpette. Rien d’insurmontable mais il faut appuyer sur les pédales. À ma grande surprise mon dos s’est tenu tranquille, et se fera oublier jusqu’à la fin. Bien que je n’y arrive pas très tard, à l’abri de la végétation le site de pointage est déjà plongé dans le noir absolu.
Je redescends dans la nuit naissante. De loin en loin, les lumières des villes éclairent des creux de vallées. Aucune envie d’endormissement là où la dernière fois arriver à Mont-Saint-Romain avait été bien laborieux. Pas plus que je n’ai remarqué les cols de la Croix de Montmain et de la Croix (tout court) sur l’étape précédente, je ne remarque celui de la Pistole dans la nuit. Il n’y aura toujours pas davantage de panneau pour le Col de Brançion ou celui des Chèvres. Ils semblent être avares sur les pancartes dans le coin, ou alors il se trouve peut-être des fétichistes pour les déboulonner ? En tout cas le Col des Chèvres me paraît toujours aussi laborieux à monter, là où sur ma Flèche de France Paris – Briançon (également de nuit mais sous le crachin) il m’avait semblé si insignifiant… Il y a des choses qu’on ne s’explique pas ! Cette fois j’évite de me perdre dans Mancey et file au Col de Navois en ayant économisé pas mal de temps.
Je me méfie de cette fin de nuit et des 60km de cette étape. Il faut rester bien vigilant pour ne pas s’égarer en chemin… et c’est ce que je manque de faire en repartant ! En traversant Corlay je ne remarque pas le petit panneau à gauche indiquant Sully, et dévale tout le village semblant d’une tristesse et d’un abandon incroyable dans l’obscurité. Je me doute de quelque chose en quittant le bourg, et en suis quitte pour le remonter en sens inverse. Je reste bien éveillé malgré la Lune paresseuse qui n’éclaire quasiment rien cette nuit, et arrive après des bosses raisonnables à Saint Sernin du Plain. Je fais une petite pause au pied de mon épouvantail : le Mont Rome. En vérité il ne doit pas être tellement plus redoutable que les autres difficultés du parcours, je fais sans doute un blocage psychologique. J’ai réussi à tout franchir jusque-là, et pourtant, je dois mettre pieds à terre. Merde. L’ogre minéral m’a encore une fois terrassé, mais je n’ai pas dit mon dernier mot. Je pousse le vélo en tanguant sur les protège cales instables que je me suis procuré pour l’occasion. Je dois ressembler à une fille de mauvaise vie vertigineuse d’alcool, perchée sur ses hauts talons. J’avais testé ce genre de cochonneries – les protège cales, pas les talons hauts, si cela peut vous rassurer – il y a longtemps sans être convaincu de leur côté moins casse-gueule avec ou sans, mais là, pour agripper la pente, l’entêtement n’a ni dignité ni orgueil. C’est la fin de nuit, je m’en fiche comme d’une première vérole, et j’en profite pour contempler le panorama s’élargissant progressivement, avec ses lumières s’étalant sur le lointain. Quand la côte s’adoucit, je remonte sur le vélo pour en finir plus vite. L’aube est encore loin lorsque je pointe au sommet. Curieusement, les lumières rouges des pylônes sont éteintes. Peut-être en raison du spectacle Les nuits du Mont Rome dont la session vient de se terminer ?
Après la descente, je suis toujours aussi bon public en passant devant le panneau d’entrée de Paris-l’Hôpital. À ce moment-là, je dois engager le pilotage automatique, car sans en avoir conscience j’ai traversé le bourg et suivi la bonne direction jusqu’aux travaux de voirie qui dynamitent la route de Dezize-lès-Maranges à Borgy… et qui n’ont fait qu’empirer depuis la dernière fois. Malgré le slalom improbable entre les lambeaux d’asphalte encore intacts, les saignées me barrant le passage, et les grosses caillasses rêvant de me voir chuter ; la forte montée finit par devenir impossible. Je remboîte mes protège cales et vogue la galère, à pieds et sans les rames ! Quand le bitume a repris une allure plus conventionnelle, je ressaute sur le vélo en direction de la Montagne des Trois Croix. C’est la dernière montée vraiment raide. Je les aperçois dans l’aube rougeoyante, les fameuses croix, alignées sur la crête. Le sommet est à portée de main, j’y pointe, puis je m’allonge sur la grosse pierre juste à gauche du panneau pour un petit somme d’une vingtaine de minutes… tête en bas ! Le matelas de pierre n’est pas très confortable, mais après les nuits blanches le confort est suffisant, et les délais maintenant bien larges me permettent le luxe de cette halte.
Demi-tour en direction du champ de mines qui tient lieu de route en redescendant vers Dezize-lès-Maranges, puis place à une dizaine kilomètres de plat. Après Chassagne-Montrachet, le vignoble prend vie. Sept heures à peine sonnées, et les environs bourdonnent d’effervescence : à pieds, sur des engins haut perchés dispersant leur puanteur protectrice pour le raisin, et même parfois arc-bouté derrière un percheron. Avec ses 10 %, la montée vers l’Oratoire de Blagny ressemble à une plaisanterie, comparée aux difficultés précédentes. Le petit angelot se tient toujours là, niché à l’abri de la pierre. J’y appose le vélo et en prends la photo pour pointer.
En repartant, la route paraît moins sale que lors de mon précédent passage, mais l’activité régnant dans les vignes impose la prudence : il ne s’agit pas de finir écrasé sous un tracteur ! Le château de La Rochepot est toujours aussi imposant dans la large descente. Grimper pour s’extraire du village ne me paraît cette fois assez facile, mais la montée vers Orches me fatigue. Je sais que je serais bientôt récompensé par la descente vers Pommard où il ne faut pas rater la petite bifurcation. Après Mavilly-Mandelot, une dernière longue bosse permet de rejoindre Bessey-en-Chaume pour arriver tranquillement au curieux pointage sur le pont d’autoroute.
Il reste maintenant une quarantaine de kilomètres, la selle ne me la rendra pas forcément sereine, mais j’ai vu bien pire. Après une descente prudente vers Bouilland, en raison d’un dernier gravillonnage généreux, il faut affronter une dernière montée en sortie du village. Dès lors, je peux rejoindre Nuits-Saint-Georges par une longue descente entrecoupée de quelques replats. Il reste alors à s’écarter de l’ancienne N74 pour rejoindre Marsannay-la-Côte, en cheminant entre les vignes et les villages des grands crus. Quelques gouttes de crachin se mettent à tomber, pas de quoi m’empêcher de terminer en tout début d’après-midi. Fin de cette randonnée aux deux visages, qui au printemps m’avait paru si ingrate, tandis qu’avec un vélo plus rustique et sur des routes un peu plus praticables m’a donné cette fois beaucoup de plaisir.