Stronglight ou Spécialités TA, vous connaissez sans doute ces deux marques françaises survivantes de – presque – feue notre industrie du cycle. Bien que l’esprit « vintage » soit dans l’air du temps, Stronglight a stoppé la production des plateaux aux diamètres de 86 et 122mm longtemps utilisés pour ses propres pédaliers. On pouvait encore en acheter il y a quelques années… À part des fonds de stock de plus en plus improbables, maintenant c’est fini. Dommage…
Alors que reste-t-il me direz-vous ? Rien ? Hé bien si !
Survivant à son prédécesseur et rival (le Stronglight 49D aujourd’hui disparu) et seul grand rescapé des dinosaures de la transmission, l’emblématique, que dis-je le légendaire Spécialités TA Pro 5 vis « Cyclotouriste » continue à faire des émules de l’autre côté de l’Atlantique chez SunXCD ou Velo Orange notamment, restés sensibles aux belles randonneuses classiques, là où en France elles sont perçues au mieux comme des engins ringards plus faits pour parader que vraiment rouler… et au pire, comme de la ferraille bonne pour la déchetterie !
Voilà à quoi ça ressemble :
On le voit tout de suite sur ce schéma, l’intérêt de ce type de pédalier réside dans ses minuscules diamètres de fixation (ou BCD si vous préférez les abréviations). Il permet une modularité et une liberté totale en termes de plateaux. Simple, double, triple, étagements serrés ou dentures très éloignées dans la pure tradition des randonneuses, tout est possible et personnalisable avec les mêmes manivelles.
Pour l’axe de pédalier, le système carré est une technique vieillotte me direz-vous (mais bon, on trouve bien cet emmanchement sur des moteurs de vélos électriques ; sic !) mais qui vaut largement des roulements externes qui ne durent souvent pas plus de 5 ou 10000 km. Pour le reste, un look sobre et classique est une affaire de goût : on aime ou on n’aime pas !
Vous êtes encore là ? Tant mieux. Voyons donc avec quoi on peut rouler ; car oui, on peut rouler moderne avec ce système :
Les manivelles :
Même si Spécialités TA, n’a pas cessé de proposer des plateaux pour son légendaire Pro 5 Vis, la production des manivelles était stoppée depuis 2007. Bon, d’accord, il y a eu un anecdotique sursaut – en 2016 – avec une série limitée et numérotée de 200 exemplaires à l’occasion du 70ème anniversaire de ce pédalier mythique… Initiative restée sans suite ! Proposer des plateaux, élégants et minimalistes comme à l’origine, et abandonner le pédalier en lui-même, étrange stratégie… surtout avec le retour en grâce de l’esprit vintage et du vélo acier, laissant pourtant une – petite – place pour du beau matériel classique.
Et puis grosse surprise : mi-février 2020, les manivelles réapparaissent au catalogue de l’équipementier picard pour une refabrication pérenne. Événement passé totalement inaperçu du grand public… pour cause de Covid-19 ! Disponibles en longueur de 170, 172.5 et 175mm, les bras sont restés droits comme à l’origine. Un léger cintrage aurait pu être proposé pour plus de polyvalence, enfin bon, on ne peut pas tout avoir. Là où ça coince réellement par contre, c’est du côté tarifaire. À 240€ ce n’est pas spécialement bon marché, mais comparé à un machin en carbone… ça peut se discuter… Ou pas , d’ailleurs !
Et chez les autres ?
Même si les manivelles de Velo Orange sont assez réussies, je les trouve trop anguleuses. L’évidement, assez symbolique, (façon Stronglight) de part et d’autre de l’inscription centrale « Grand Cru » semble assez grossier… Bref, pour moi peut mieux faire, simple question de goût !
Je pinaille. En fait, le plus gênant concerne les plateaux. Très élégants, mais la combinaison 46-30 est la seule disponible en double !
Les manivelles de SunXCD (ex SunTour) sont une réussite : sobriété et élégance dans un aluminium au poli irréprochable. Les angles sont adoucis, rien de vif, et pour à peine la moitié du prix du Spécialités TA, c’est mon préféré ; le made in France a les limites de mon portefeuille !
Le matériel est présenté dans une jolie boîte où rien ne manque : cache-poussière, boulons d’axes chromés, 5 vis astucieuses pour un montage facile (on va le voir plus loin) et même une paire de rondelles de pédales, tout est là. Ces manivelles sont légèrement cintrées (de 8mm) pour mieux s’accorder aux cadres modernes. Pas très prononcé donc, tout en gardant l’esprit vintage. Bonne initiative !
On s’arrête là pour le neuf, mais l’offre en occasion est foisonnante et intéressante point de vue prix. Pas de souci, c’est du costaud, mais attention au filetage des pédales souvent au pas français (14×1,25mm) qui nécessitera éventuellement un coup de taraud pour accueillir des pédales modernes… et un peu d’huile de coude pour rendre un beau poli miroir au pédalier, mais tout se mérite !
Du côté de l’occasion :
On trouve encore assez facilement le modèle Spécialités TA original, ici en version triple. Les plateaux sont plus épais : 4mm (3 pour les petites dentures) contre 3,5mm aujourd’hui. L’épaisseur des dents ne change pas, et reste taillée à 2,0mm ce qui permet d’accepter 10 pignons à l’arrière, même si TA ne communique que sur une compatibilité limitée à 8. Contacté à ce sujet, le service commercial est d’accord, ça passe bien en 10 vitesses… (et même en 11)… mais reste officiellement sur du 8 ! C’est du pur marketing à la française : surtout ne pas mettre en valeur ce qu’on propose, voilà comment on a tué notre industrie du cycle…
Ci-dessous :
- à gauche : au recto, l’ancien logo de la marque avec le T, le A, et la roue dentée entre les deux ; au verso, le made in France gravé dans le marbre, pardon, dans le duralumin !
- à droite : les plateaux produits actuellement. Pas de doute, ils arborent un marquage résolument plus moderne. Notez les anciens boulons aux zigzags tournant autour des lettres T et A.
La version tandem a été fabriquée… Il faut bien chercher pour la trouver !
Pour ne pas se tromper (et ne pas se faire refiler n’importe quoi, surtout) l’envers des manivelles de ces séries tandem est doté d’un G ou D estampé pour gauche ou droite, en plus de la longueur des bras (ici en 170mm)… Ce qui évite ainsi de se retrouver avec un filetage de pédale inversé, suite à une réparation à la dégueulasse !
Grand concurrent de l’époque, le Stronglight 49D se trouve couramment à un prix plus raisonnable… sauf pour les premiers modèles, dont l’intérêt ne se justifie qu’en collection ! Ces manivelles sont solides et légères ; hélas, les différentes versions de plateaux porteurs ne peuvent pas accueillir les plateaux TA 6 trous (au BCD de 80mm). On y perd beaucoup en polyvalence (et en possibilités de petites dentures en double), d’autant plus que les diamètres 86 ou 122mm sont devenus très difficiles à trouver depuis l’arrêt de leur production par Stronglight. Un paramètre à considérer, si conserver les plateaux d’origine est important pour vous.
Ici une version triple (52-42-32) assez massive, en BCD de 86mm.
Une version double (52-42) dotée de plateaux en 122mm, au dessin encore assez chargé.
Une silhouette qui rappelle un autre Stronglight mythique : le 63 Super Compétition… mais en bien plus lourd, ici !
Une autre version double (48-38) dotée de plateaux en 122mm… au dessin nettement plus sobre et allégé !
C’est bien joli tout ça, la forme en étoile de mer, mais pour un montage moderne en dehors des dentures traditionnelles, il vaut mieux oublier les plateaux d’origine.
Réuni ici, le meilleur des deux mondes : des manivelles Stronglight vintage associées à un jeu de plateaux Spécialités TA produits actuellement. On dispose d’une grande liberté de dentures pour un montage qui ne manque pas d’allure ; non ?
Plus exotique !
Beaucoup moins répandu, ce pédalier triple Nervar, fabricant pas franchement connu pour avoir produit du matériel particulièrement haut de gamme… ni particulièrement léger. Ici, ce modèle à peine plus lourd que la concurrence peut être une alternative intéressante… si on aime sa silhouette taillée à la serpe ! Mais attention, il y a un piège : le BCD des plateaux de 128 et 90mm les rend particulièrement difficiles à dénicher et à personnaliser, c’est même presque impossible ! Conserver les manivelles, oui, mais qu’il vaut mieux associer à des plateaux TA actuels.
Voici un pédalier de l’excellent constructeur anglais Lambert. Il manque sur ce Viscount les stickers noirs (façon TA) mentionnant « Lambert of England » qui ont toujours la fâcheuse tendance à se décoller.
Le plateau porteur a une allure folle avec ses grands trous ronds… même si on peut également le trouver à 6 branches (comme chez TA), estampillé Lambert dans les deux cas. Contrairement aux modèles Stronglight de diamètres obsolètes, ici le grand plateau supporte les TA 6 trous (actuels ou vintage) au BCD de 80mm.
Plus étonnant, ce Deore triple. Hé oui, même Shimano s’est frotté (furtivement) au 50,4mm ! Bien avant d’être une signature emblématique du VTT, Deore était à l’origine destiné au « touring », ce qui explique ce positionnement pouvant sembler curieux… tout comme celui les pédales pendulaires Dyna Drive aux imposants filetages de 1″ (25,4mm) de diamètre ! Original de bout en bout donc, jusqu’aux BCD des plateaux de 130 (jusque-là, pas de problème) et 85 ! Alors pourquoi avoir gardé les grands standards 50,4 et 130mm, pour aller y adjoindre un 85mm introuvable (au lieu d’emprunter l’ancien et populaire 86mm à Stronglight) ? Mystère, mais ce pédalier est définitivement un collector !
Laissons de côté les alliages d’aluminium pour un beau modèle Durax en acier à clavettes, associé ici à un ensemble riveté de plateaux Cyclo façon randonneuse classique. Bien que tout acier, le poids de ce pédalier reste cependant sous les 900g grâce à un profil en croix des manivelles. Joli et très raisonnable pour de la pure ferraille chromée !
Vraiment anecdotiques, les Maniplum (à gauche) et Maxiplume (à droite) qu’il vaut mieux garder pour la collection. Leur prix délirant vous le confirmera… Et je ne vous parle même pas du tarif du TA 1500 Critérium avec son emmanchement unique mi-clavette mi-carré !
Tout ceci n’est qu’un aperçu. Il y a une multitude d’autres marques et modèles, du plus haut au plus bas de gamme. Le pédalier aux manivelles 5 trous d’un diamètre de 50,4mm est un très ancien standard du cycle, qui a su traverser les âges avec bien d’autres acteurs que seulement TA et Stronglight.
Les faux amis !
Attention, tout ce qui possède 5 trous au plus près de la manivelle n’est pas forcément du 50,4mm. En principe si, mais il peut y avoir des exceptions. Je ne connais que celle de ce Zeus Competicion avec son BCD de 54 (prononcez cinquante-quatre) au lieu de 50,4 (prononcez cinquante, quatre ; en sous-entendant la virgule). Bref ça se dit pareil, mais ce n’est pas la même chose ! Alors ; brevet à contourner, espionnage industriel raté, ou sens de l’humour espagnol ? Je vous laisse la réponse.
Les plateaux :
En neuf, mis à part les plateaux SunXCD reprenant l’esprit René Herse (dans leur dessin en rondeurs) mais au choix limité et doté d’un BCD exotique, il ne reste plus que Velo Orange et TA pour proposer aujourd’hui des plateaux intéressants.
Chez Velo Orange, il n’existe malheureusement qu’une combinaison 46-30 en double (compatible avec les plateaux TA), et 44 en mono plateau. Le choix est plutôt restreint. Dommage, car je trouve le pignon porteur de 46 très élégant avec ses branches évidées et les discrets plots de montée de chaîne. Idéal pour une transmission moderne.
Notez la visserie très sympa en acier gris foncé… et moins coûteuse que celle de TA !
Chez Spécialités TA, aucun problème avec cette production made in France au prix raisonnable… contrairement au tarif prohibitif des manivelles ! Des plateaux 6 branches tout simples et sans chichis, la beauté dans la sobriété et rien de plus. Toutes les dentures paires sont produites (en vente ici chez TA) :
- du 40 au 52 pour le plateau porteur (5 vis au BCD de 50,4mm).
- du 26 au 42 pour le 2ème , voire 3ème (6 vis au BCD de 80mm).
L’idéal pour se concocter un pédalier en simple, double ou triple plateaux, et même réaliser des étagements très compacts comme mon fétiche 40-26 (présenté ici avec des manivelles SunXCD et visserie Vélo Orange). Je rabâche, mais je trouve complètement stupide que le fabricant annonce ses plateaux comme compatibles jusqu’à 8 vitesses uniquement. Après l’avoir contacté, le service commercial persiste et signe. Se tirer une balle dans le pied est toute une tradition dans le marketing à la française, et tout particulièrement en ce qui concerne le monde du vélo… OK, on communique sur le « vintage », mais quand même, avec 2mm pile-poil d’épaisseur au niveau des dents, une transmission 10 vitesses passe sans aucun problème et fonctionne sans ratés ! De quoi avoir une transmission moderne et sympa… Même si ces plateaux ne disposent pas de plots de montée de chaîne comme chez Velo Orange. Mais vous pouvez toujours en ajouter vous-même comme expliqué dans cet article.
Pour une utilisation moderne, les autres systèmes de plateaux (en occasion ou fonds de vieux stocks) n’offrent pas grand intérêt : plus lourds, moins polyvalents dans le choix de dentures, BCD devenus difficiles à trouver de nos jours… Aucun intérêt pour rouler vous dis-je, à part d’un point de vue collection.
La visserie :
C’est la touche finale qui peut aussi avoir son importance. Entre celle de Velo Orange en acier gris foncé très élégante, et celle de TA pas franchement bon marché, que reste-t-il ?
Évoquons d’abord un détail agaçant et piège classique pour le néophyte : pour pouvoir assembler le plateau porteur sur la manivelle, il faut d’abord positionner (par le dessus du plateau) les deux boulons longeant de part et d’autre la manivelle, pour ensuite aller visser la partie inférieure sans que rien ne tombe… Si vous ne connaissez pas cette subtilité, la première fois vous allez vous amuser ! La visserie SunXCD, avec une boulonnerie différente des autres fabricants, permet un montage sans souci et sans aucune particularité. Notez ici l’écrou plat qui permet ce miracle et se glisse sans problème sous la manivelle. Il fallait juste y penser… C’est le souci du détail propre aux produits asiatiques bien faits !
Parlons de poids…
Pour finir, que peut-on espérer, point de vue poids ? Est-ce encore compétitif par rapport aux standards actuels ?
La paire de manivelles en 170mm de long :
- – 320g pour les 1ères séries de Stronglight 49D (« déposé »).
- – 340g pour de rares séries de Stronglight 49D (« marque déposée »).
- – 345g pour les Lambert et la plupart des Stronglight 49D.
- – 355g pour les TA classiques et les SunXCD.
- – 375g pour les Nervar.
- – 395g pour les Shimano Deore… avec filetage de pédales en 1″ !
- – 520g pour les Durax acier (≃200g de plus pour du bas de gamme acier).
On le voit, il n’y a pas de différence significative dans le trio de tête. À votre préférence entre Stronglight, Spécialités TA ou SunXCD. On est loin de la référence vintage qu’est René Herse (en version originale) avec sa paire de manivelles à 285g ! … mais on reste « light ».
Exemples de plateaux TA « vintage » / actuels :
Montage mono plateau pour chaîne large 1 à 3v
- – 38 dents TA ancien : 85g
- – 49 dents TA ancien : 123g
1er plateau, porteur, au diamètre de 50.4mm
- – 32 dents TA moderne : 61g (plateau gauche pour tandem)
- – 40 dents TA moderne : 83g
- – 42 dents TA moderne : 88g
- – 44 dents TA moderne : 97g
- – 48 dents TA ancien : 118g
- – 50 dents TA moderne : 107g
- – 50 dents TA ancien : 125g
- – 52 dents TA ancien : 142g
- – 52 dents Lambert : 191g (mais quel look avec ses 6 grands trous ronds !)
2ème ou 3ème plateau, au diamètre de 80mm
- – 26 dents TA moderne : 23g
- – 28 dents TA ancien : 28g
- – 28 dents TA moderne : 32g
- – 32 dents TA ancien : 35g
- – 38 dents TA moderne : 50g
- – 40 dents TA ancien : 63g
- – 42 dents TA ancien : 70g
- – 46 dents TA ancien : 87g
On le voit, les séries modernes sont préférables (pour rouler au quotidien), même si la différence se joue surtout au niveau du plateau porteur.
Les autres marques aux BCD obsolètes sont dans la même gamme de poids, avec par exemple 150g pour un 52 porteur en 86 ou 122mm chez Stronglight, ou en 128mm chez Nervar. Le surpoids des modèles anciens est surtout amplifié par les montages aux cheminées redondantes des versions triples plateaux (liaisons entre 1er et 2ème + 2ème et 3ème ou entre 1er et 2ème + 1er et 3ème) là où Spécialités TA n’utilise qu’une seule série de cheminées traversant les 3 plateaux.
En définitive, on peut espérer 500g pour un montage 40-26 et moins de 600g pour un 52-42 ou un 50-38-26. Associé à un axe carré pas trop lourd, ça reste très compétitif !