Jeudi 13 juin, départ pour Ménigoute. Dans mon train de banlieue, 5h du mat’ vaut l’heure de pointe. Une petite virée dans le Paris encore endormi et me voilà gare Montparnasse. Un peu en avance, j’emballe mon vélo dans un vieux bout de bâche pour avoir le droit d’aller jusqu’à Poitiers. Le quai s’affiche. Dans son linceul improvisé, l’engin fait le poids d’un cadavre. Je le traîne péniblement jusqu’au bon wagon. Il rentre aux forceps dans la case à bagages. Ma place assise est prise, je n’ai pas envie de me battre ce matin, j’en trouve une de libre plus loin. En fait, le mec s’était gouré de voie sur le quai en pensant aller à Nantes ; tout s’explique. Une heure et demie plus tard : arrivée à Poitiers. Dans mes souvenirs, le TER pour La Rochelle est sur le même quai, voie d’en face, 10mn de correspondance. Bingo. J’enfourne le vélo encore bâché et commence à déballer l’engin dans l’espace réduit du wagon, au milieu des allées et venues des voyageurs. Pourquoi n’aurais-je pas droit, moi aussi, d’être sans-gêne de temps en temps ? Car du coup ça m’en fait gagner, du temps, justement. Je remonte les roues, rien ne frotte. Beaucoup de monde, ça piaille, apparemment un voyage scolaire pour La Rochelle. Je replie mon bout de bâche. Tout a été rapide, nickel avant que le train ne démarre. Je descends à Pamproux, un arrêt plus loin que mon habituel Lusignan, pour voir si ça change quelque chose. Dès les premiers tours de roues, c’est aussi les premières gouttes de pluie. Le ciel semble avoir du mal à se maintenir au-dessus du sol, le bout des pâles des éoliennes tricote avec les nuages bas.
J’arrive au lieu de départ sous un petit crachin qui s’épuise. Le 1000 de Ménigoute, c’est un peu une institution, en tout cas pour moi. Une gourmandise qui a un goût de reviens-y. Un tracé de 1000km différent tous les ans, là ou d’autres organisations vous serviront toujours le même. J’y suis venu en 2012, 2013, et 2016… Cette édition-là m’a joué un mauvais tour ; gros coup de chaleur mal géré, le bonhomme a salement trinqué. Aujourd’hui, juste deux cyclos au départ, on est loin des 22 de 2013. Restons positifs, je bats mon record de trois participants sur un BRM 1000, celui de Râches en 2015 ! Je serai donc accompagné d’un vélomobile à trois roues, un avion sans ailes, une belle machine toute rouge tout confort, et le poids d’un cheval mort qui va avec. Autrement dit, nous ne serons pas du tout sur le même rythme. Le brevet s’annonce solo, il va y avoir du temps à tuer. 10h pile, notre duo est parti. Le parcours commence en douceur : les bosses ne font même pas peur, et la pluie n’arrive même pas à mouiller. À Vitré, je marque un arrêt cerises dont les branches de l’arbre dépassent sur la route. Miam, elles sont bonnes et juteuses. Quand on part pour 1000 bornes en solitaire, on a aussi le droit de flâner un peu ! Je traverse Saint-Maixent l’École et sa large avenue. J’y suis passé des dizaines de fois sur la route de La Rochelle, dans une autre vie. Puis je rate quelque chose dans la traversée de Périgné. Pourtant le village n’est pas si grand. Du coup, j’en profite pour faire l’appoint des bidons au cimetière, avant de repartir dans l’autre sens. Le détour est sans vraiment de conséquences, et permet à l’autre participant de me doubler en m’enrhumant sur le plat. Le jet rouge a pris son envol ! En entrant en Charente-Maritime, la pluie a cessé. Quelques rayons de soleil perforent parfois les nuages. Je passe par Villedieu et son clocher entièrement de pierres, nous sommes bien en Saintonge, Aulnay est tout proche.
Je vise l’église avec son vieux cimetière que je connais déjà, mais le centre-ville est dans mon dos. J’y retrouve le second cyclo en train de déjeuner. Pas encore faim, je repars tranquillement après un café. Début de deuxième étape avec l’apparition du vignoble Charentais. Apparition également d’un soleil plus franc entre les pavés de gros nuages. Après Varaize, terre et caillasses déversées laissent la route complètement dégueulasse… heureusement sans dommage pour les roues. En chemin vers Écoyeux, je longe la Pile Romaine d’Ébéon – édifice mystérieux soi-disant construit par une fée, qui ressemble aujourd’hui plus à un gros caillou étayé qu’autre chose – juste avant d’entrer Chez Audebert où je marque un nouvel arrêt dégustation de cerises. Il y a un peu de circulation venant d’en face ce début d’après-midi, mais beaucoup moins de passage dans mon sens. Le décor est très viticole sur cette étape. En passant par Les Béguillères, un tracteur épand son traitement âcre sur la vigne. Après Cherac, le vignoble partage davantage le territoire avec d’autres cultures. La route est toujours globalement plate depuis le début de l’étape. Arrêt au cimetière de Bougneau pour trouver… de l’eau bien sûr, et faire quelques ablutions dont la fraîcheur est bienvenue. À partir de Pons la vigne reprend ses droits, redevient omniprésente, puis j’arrive à Jonzac pour pointer en fin d’après-midi sous un beau soleil.
Je me perds un peu dans le village en repartant. Un retraité tondant sa pelouse me remet dans le bon chemin. Apparemment il en aiguille des cyclos égarés, merci à lui. Arrêt dans une petite épicerie à Fontaines-d’Ozillac pour me ravitailler avant la fermeture des commerces. C’est le retour des petites bosses faciles sur cette étape roulante. En toute fin d’après-midi, la lune bien ventrue est déjà haute dans le ciel face à moi, promettant une nuit claire. Je passe devant un joli moulin à eau en sortant de La Guirande. De gros nuages noirs en provenance de l’océan commencent à monter à l’assaut du zénith à mesure que je m’approche du contrôle de Coutras, en tout début de soirée.
Le ciel maintenant bien bouché semble fichu pour le clair de lune, et bientôt le crachin se met à tomber. Je passe au travers des vignes, cette fois du Bordelais, en route vers Lussac. Je me laisse glisser dans la belle descente en approche de Saint-Emillon, sous la bruine qui se renforce. À la tombée du jour, les vieilles pierres du village sont bien mises en valeur par l’éclairage public, mais la pluie gâche un peu le spectacle. Le mouillé chasse l’envie de flâner. Au loin, des éclairs commencent à zébrer la masse des nuages. La route est complètement détrempée. Même si j’en ai ma part, je dois passer juste après le plus gros de la pluie. Après Branne, les bosses sont toujours aussi faciles ; l’orage semble s’éloigner. De grosses volutes brumeuses s’échappent du bitume sous la lumière de mes torches. Une longue montée permet d’accéder à Romagne, toujours sous le crachin. Je trouve un robinet derrière un bâtiment communal à l’entrée du village. Je fais ma toilette à l’eau froide. L’air garde une température agréable pour un mec à poil qui vient de s’enquiller 250 bornes. Je lave l’ancien puis change de cuissard. J’en ai bien besoin, cette selle Brooks C17 en caoutchouc – plutôt qu’habituellement en cuir – ne tient pas ses promesses de confort, même si elle s’est un peu détendue à cause d’un rivet perdu il y a cinq jours sur le BRM 600 d’Andrésy. Avec mes 80kg – oh ça va, je suis plus grand que gros, d’abord ! – je me demande ce que peuvent ressentir les poids plumes assis sur un bout de bois pareil… En résumé, j’ai déjà mal au cul. Crachin et averses se partagent maintenant la nuit. En arrivant sur Cantois, les orages refont leur apparition. Les bosses petit à petit s’allongent. L’église de Saint-Germain-de-Grave est bien mise en valeur avec son clocher éclairé de l’intérieur. Quelques kilomètres avant le pointage de Langon, je contemple le panorama sur l’agglomération scintillant de l’autre côté de la Garonne.
J’arrive dans le village en milieu de nuit, et c’est reparti direction Mont-de-Marsan, par des longs bouts droits et plats à partir d’Uzeste. Les derniers soubresauts du relief sont maintenant derrière moi. Je marque un arrêt de 10mn de microsommeil à Préchac, bien suffisant pour cette première nuit. Passé Souis, l’odeur des grumes de pins débitées flotte un instant dans l’air. La route s’assèche et le chant joyeux des oiseaux semble vouloir rappeler la pluie. Un peu avant Luxey, un gros gibier détale dans les fourrés avant que j’aie eu le temps de le voir apparaître dans la lumière de mes torches. En fin de nuit, l’approche de Mont-de-Marsan se fait laborieuse, et j’y pointe à l’aube. J’entre en ville par son église pseudo-futuriste flanquée d’un campanile attenant. Je ne sais pas comment je fais, ça n’a rien de bien compliqué au fond, mais je me retrouve dans une direction totalement opposée, et dois refaire toute la traversée de la ville dans l’autre sens. Quand on la fait deux fois de long en large, Mont-de-Marsan n’est finalement pas si petite ! Je trouve une boulangerie ouverte, des pâtisseries délicieuses pour boucher le p’tit creux de la nuit, mais pas de tampon à m’offrir pour ma carte de route… la frilosité de certains commerçants m’agace, comme s’il y avait des informations tops secrètes sur leur fichu cachet ! Tant pis, j’en resterai au pointage photo du petit matin.
Vendredi, deuxième jour, je suis maintenant sur le grand axe qui remonte vers Sabres. Les vignes se sont évanouies dans la nuit, remplacées par la forêt ; comme les gros nuages gorgés d’eau, remplacés par un peu de bleu sur un moutonnement clair. Moi qui voulais vite fait m’échapper de Mont-de-Marsan avant l’aube pour éviter la circulation en repartant, hé bien c’est raté ! Beaucoup de passage de bagnoles qui se rendent à l’embauche. Autant de conducteurs pressés qui me doublent. Certains de façon hasardeuse, dangereuse. Je sens le souffle des engins, quand on me frôle. Toujours les longs bouts droits. Du parfois laborieux de la nuit, on passe au très chiant du matin à cause du trafic. En même temps il faut faire avec, il n’y a pas trop le choix d’itinéraire dans le coin. La journée s’annonce longue, une journée au purgatoire. Les lignes droites semblent infinies. Plates. Toujours plates. Pas de répit pour soulager les fesses de cette foutue selle en caoutchouc, vu qu’il n’y a jamais une descente ! Je trouve un filet à fruits que je mets en lambeaux, pour réparer les fermetures de ma sacoche dont les deux tirettes se sont cassées pendant la nuit. Le résultat n’est pas terrible, mais au moins ça fonctionne. Nouvelle toilette et changement de cuissard à Transac. Je lave l’autre et l’accroche à sécher derrière le vélo. En voyageant rustique, le gilet fluo fait finalement une assez bonne serviette ! Un peu de temps perdu, mais pour repartir beaucoup plus frais… le reste du bonhomme apprécie, mais le cul déjà bien massacré en avait surtout besoin. Là, je m’aperçois qu’une sangle velcro de ma godasse droite a lâché. Je m’improvise un rafistolage pour qu’elle ne se prenne pas dans le pédalier… on verra ! Mon pied flotte un peu, il faudra faire avec. Je me laisse surprendre par une petite butte raide avant l’entrée de Pissos. Seuls les derniers kilomètres en direction de Moustey comportent un bout rabougri de piste cyclable qui m’évite la circulation… et mériterait 50km de plus, depuis Mont-de-Marsan. En bifurquant enfin sur une petite route après Moustey, je suis presque étonné du calme, du silence, de l’absence de bruits furieux de moteurs. L’ambiance m’apparaît irréelle. Seul le chant des oiseaux transparaît filtré derrière le petit vent qui siffle à mes oreilles, me permettant de rejoindre tranquillement le pointage de Belin-Béliet.
Début d’étape jusqu’au Barp par l’ancienne nationale 10 maintenant démembrée, puis direction Lacanau. Bordeaux est tout près, mais avant il faut que je remonte toute la pointe de Grave ; une bagatelle de plus de 200 kilomètres de détour ! Toujours beaucoup de circulation depuis Belin-Béliet, toujours les grands bouts plats monotones, et de la forêt, de la forêt, de la forêt. À Saumos, je prends la piste cyclable étroite pour Lacanau. Enfin de nouveau tranquille quelques kilomètres. Je sais, ce n’est pas bien, mais ce n’est pas un raccourci ; seulement je n’en peux plus de ces routes archi-fréquentées, stressantes et qui demandent énormément de vigilance, car le conducteur moyen semble décidément trop con pour tourner le volant même quand il n’y a personne en face ! En somme, c’est une question de survie. J’arrive à Lacanau en début d’après-midi, au terme d’une étape encore toute plate. Rien d’ouvert, le village désert semble pris de léthargie.
C’est reparti, toujours par les grands bouts droits. Dernière étape de ce vendredi au purgatoire, et en toute fin d’après-midi je suis au bout de la pointe de Grave. Royan est en face, à portée de bac, sur l’autre rive de l’estuaire de la Gironde. Encore 200km de détour, en passant par Bordeaux. Je n’ai pas revu l’autre participant depuis le premier pointage. Il a pu me doubler pendant mes arrêts ou pendant que je me suis perdu, ou probablement a-t-il abandonné, mais je ne le sais pas encore.
C’est reparti du Verdon-sur-Mer, petite station balnéaire déjà endormie. Le vent du large est très frais, alors je remets mon imper’. La circulation s’est complètement évaporée. La route des berges de l’estuaire de la Gironde est au calme. Enfin en sécurité pour avancer. L’église de Saint-Vivien-de-Médoc est assez inattendue avec son clocher années 50 remplaçant l’ancien, foudroyé. En traversant le village, un bonhomme promène son chien et me lance un « Bonsoir, combien de kilomètres encore ? » Je lui fais : 400. Sans doute n’imagine-t-il même pas que tout est d’une traite. Vite fait le vignoble, celui du Médoc, fait son apparition. Je passe par Port-de-Richard, minuscule port de plaisance planté dans l’herbe le long d’un chenal, tout mignon. Les autres qui suivent, auront une allure sans charme et plus boueuse. Je fais le plein des bidons au cimetière de Valeyrac, et trouve un distributeur de baguettes sur la grande place de Saint-Christoly ; de la flotte et un sandwich au pain, j’ai le nécessaire pour passer la nuit ! En quittant le village, un soleil rouge se couche sur les vignes et empourpre la végétation. Puis j’aperçois toute rousse de la lumière du couchant, ma première cabane de pêche au carrelet. Le relief sorti de mon esprit depuis bien longtemps, je monte une petite côte pour accéder à Cadourne. C’est le retour du terrain bosselé cheminant à travers la vigne. De l’autre côté de l’estuaire, les lumières des villes brillent déjà tandis que la nuit va s’installer. Dire que je ne serai là-bas que demain matin. Je me perds un peu dans Pauillac. Les travaux de voirie n’aident pas non plus, mais je m’y retrouve assez bien. À Soussans, je passe devant la Tour Eiffel vantant les travaux du ferronnier local. Je l’avais déjà vue sur la Ronde Aliénor d’Aquitaine en venant dans l’autre sens. Encore quelques dizaines de kilomètres – décidément descendre de la Pointe de Grave est bien long – et j’atteins Bordeaux au cœur de la nuit.
Le samedi à peine commencé, traverser la métropole n’est pas si compliqué. Il faut un peu de patience pour atteindre le pont Chaban-Delmas et ses piles gigantesques, qui permettent en soulevant son tablier, de faire passer de très grands voiliers. Sans GPS, la suite se complique. Sur l’autre rive de la Garonne, la banlieue devient territoire étranger. Lormont, Bassens, Ambarès. Terres de métal et de béton, zones industrielles à n’en plus finir. Je dois sans doute rater quelque chose. Je me retrouve sur les grands axes en compagnie d’une noria ininterrompue de camions, des centaines, qui sait des milliers, heureusement filants dans l’autre sens pour nourrir le ventre affamé des usines. Et moi je remonte le flot, caillot dans les veines, fasciné par l’ambiance étrange. De nuit l’industrie, les raffineries, l’inox des cuves, apparaissent dantesques, grouillantes d’activité. Cet organisme surréaliste, cette Bête avide et insomniaque semble ne devoir jamais s’endormir. La route est longue, puis je n’ai aucune direction pour Saint-Vincent-de-Paul ou Cubzac. Je me suis égaré dans les entrailles du monstre, certainement engagé déjà trop à l’ouest, trop loin dans le Bec d’Ambès. Alors j’improvise une nouvelle direction, la mienne. Au pif, vraiment perdu. J’explore des territoires hostiles d’acier et de fumée crachée, Terra incognita où Bordeaux est devenu chimère. Finalement je m’en sors en rejoignant Cubzac-les-Ponts de façon un peu improbable. Ouf, de nouveau sur le parcours. Beaucoup de temps a filé. En fin de nuit – la deuxième – sur le chemin de Bourg-sur-Gironde, je m’arrête une heure pour déplier mon duvet – je me suis embourgeoisé cette fois-ci ! – pour dormir à la belle étoile dans l’herbe grasse, caché au creux de la haie d’une parcelle de vignoble. Je suis réveillé par un bruit régulier : ploc, ploc, ploc… avec la régularité d’un métronome des gouttes toquent à la surface de mon sac de couchage, puis vient à ma conscience une sensation d’humidité percolant à mon visage. Je m’étais complètement abandonné, pensant être réveillé avec le jour, au lieu de me faire déloger par la météo plus tôt que prévu. La pluie a fait ressortir des escargots de partout. J’en écrase pas mal en repliant mon camp spartiate dans un bruit écœurant de bestioles écrabouillées. Il y en a partout, une invasion jusque sur le vélo. En m’approchant de Plassac, belle descente dans laquelle je me laisse filer, offrant ensuite un panorama sur l’estuaire. J’arrive à Blaye au petit jour après quelques creux et bosses. Les commerçants du marché terminent leur installation en face des remparts. Je pointe et me ravitaille avant de repartir, toujours sous le crachin.
Le vignoble pue littéralement les produits chimiques. L’odeur est âcre, désagréable, entre le soufre et le métal froid, le rance et le plastique. Revenu en Charente-Maritime, la pluie cesse. Je fais ma toilette à Saint-Bonnet-sur-Gironde, dans des installations assez dégueulasses. Mon cuissard de rechange est tout humide du crachin. Après Mortagne-sur-Gironde, je longe au plus près la côte. L’estuaire tout proche en contrebas paraît d’ici boueux. La rive d’en face se dégage dans un léger voile atmosphérique. Comme hier après-midi, le vent amené par l’océan me glace, et les 21°C en paraissent facilement dix de moins. Sur la route, la vigne en descente donne l’impression de se jeter à l’eau. J’essaie de profiter de mon passage pour rendre une petite visite à Talmont-sur-Gironde, mais les vélos sont comme au Mont-Saint-Michel, persona non grata… Allez vous faire voir ! Dans cette étape finalement assez vallonnée, la grimpette en sortie de Meschers-sur-Gironde me cloue sur place. Royan arrive en début d’après-midi, pour le pointage et le ravitaillement.
En repartant, je m’arrête à l’ombre pour dévorer ma quiche aux poireaux en sortie de Breuillet. Qui n’a jamais fait 800km à vélo, ne comprendra pas le bonheur tout simple de la quiche froide… pour affronter les 200km restants ! Le rivage m’attire, je fais un petit crochet par le port de La Tremblade. À Ronce-les-Bains, j’ai une irrésistible envie de baignade. Je me fabrique une image mentale de tout le bien que ça ferait à mon croupion massacré par la selle après 850km ! Mais non, pas le temps pour ça, pas le slip de bain surtout. Arrivé à Marennes, les quelques bosses de début d’étapes sont un souvenir. Les fortifications de Brouage s’étalent au milieu des vaches, comme jadis en bordure d’océan. Je suis de retour en terrain familier. Je passe tout près de la base aérienne de Rochefort-Saint-Agnant où j’ai fait une bonne partie de ma carrière de bidasse rallongée. Puis je traverse le viaduc de Matrou, à l’époque en construction. Les voies pour vélos sont étroites, sans aucune séparation, et en descendant avec le vent, je suis ballotté dans une stabilité précaire et des bagnoles qui me frôlent. À Rochefort que pourtant je connais bien, je me perds en essayant de trouver la petite route d’Aigrefeuille-d’Aunis, alors que tous les panneaux ramènent sur les grands axes. Arrivé au village, à cause des travaux de voirie du centre-ville – des pancartes ont-elles été démontées ? – je ne trouve aucune direction d’indiquée. Je me dirige à l’instinct pour ressortir par la bonne route. En passant par Benon, je suis intrigué par la tour des Six-Sots, construite comme un phare maritime en pleine terre pour abriter une horloge, fruit d’un démêlé judiciaire stupide local. Les ruines de l’abbaye de Maillezais sont visibles à des kilomètres sur la plaine, aussi bien en venant du sud comme ici, que du nord lors de mes BCN / BPF du Poitou de l’automne dernier. Au loin, une grappe de grands immeubles blancs posés sur la plaine forme l’avant-poste de Fontenay-le-Comte, comme quelques dents plantées dans leur gencive d’herbe. Sur ma gauche un champ m’intrigue : l’odeur d’abord, âcre, caractéristique, puis les feuilles effilées et dentelées… Cool de la beuh ! Du cannabis, mais sans doute du chanvre industriel sans rien de bien planant, j’imagine ! Quoi que le mieux caché est parfois aussi ce qui est le plus visible ; allez savoir ? Après pointage en début de soirée, c’est reparti pour la dernière étape, direction Ménigoute.
Cette fin de parcours, qui me semble familière dans l’autre sens, se fera sous le signe des montées. Malgré quelques descentes, j’ai l’impression de ne pas m’arrêter de grimper. La route devient ingrate. Depuis le départ, les petites bosses n’étaient que des plaisanteries, elles deviennent maintenant presque autant de raidillons. Le vélo grimpe bien, ce n’est pas la question – c’est celui que j’ai pris sur la Super Randonnée de Côtes de Bourgogne et ses montées à 20 % ! – mais le relief me surprend. Je n’avais pas ce souvenir de routes vraiment bosselées, comme si on avait amplifié le truc. Il ne doit pourtant pas y avoir de grands mouvements telluriques dans les Deux-Sèvres, enfin je ne crois pas… Je marque un dernier arrêt cerises à Saint-Hilaire-des-Loges. Elles sont restées toutes jaunes à maturité, pour la plupart, éclatées. Délicieuses, juteuses, avec une légère amertume en fin de bouche, surprenante mais pas désagréable. À Arty, un clébard me prend en chasse. Après 1000 bornes, je suis encore capable de tailler un sprint. La lune est quasi ronde pour ce soir. Un samedi soir sur la route. Contrairement à la nuit dernière, celle-ci sera claire, sèche. Plus j’approche de la fin, et plus les bosses semblent marquées. La fatigue, peut-être. Rejoindre Saint-Georges-de-Noisné me paraît vraiment laborieux tandis que la nuit tombe lentement. Dans le village rendu aux ténèbres, je tombe sur une nana préparant dans la pénombre son barbecue sur le trottoir, puis m’égare un peu avant de retrouver le bon chemin. Ménigoute n’est plus si loin, même si les panneaux l’indiquant de bien loin m’agacent dans l’impatience d’en finir. Le dimanche à peine entamé, et c’est fait. Dernière toilette et cuissard frais dans le village, pour ne pas empester le rat mort dans le premier qui me ramènera toute à l’heure de Poitiers à Paris. En attendant, je déplie mon duvet dans le couloir des toilettes publiques, pousse un petit roupillon, et c’est reparti tout doux à 3h du mat’ pour arriver sans stress à la gare de Poitiers avec pas mal d’avance. Fin de l’aventure, et un 1000 de plus en poche !
le parcours ICI