Le grand problème avec les brevets très matinaux, lorsqu’on n’est pas tout près du lieu de départ… et pas particulièrement couche-tôt non plus, est de savoir s’il vaut mieux dormir un peu, ou non. J’ai d’autant plus de mal à trouver le sommeil dans ces conditions, que je sais que le réveil interviendra hélas toujours bien trop tôt… quoi qu’il arrive. Voilà, je n’ai donc pas eu l’impression de m’assoupir bien longtemps, et deux heures du matin sont déjà là. Mes pensées sont plutôt nébuleuses. 10°C au thermomètre, la nuit étoilée ne semble pas si claire. La pointe de beurre dessine comme des méduses dans mon café. Je les contemple, me disant qu’elles cherchent à m’hypnotiser. Je n’ai pas envie d’y résister. J’aurais bien envie de me recoucher, mais il faut y aller. La vie du randonneur est décidément très ingrate. Les pieds et les fesses passent rapidement au blanc de l’Aloplatine… et c’est parti. Accueil sympathique à Longjumeau, comme d’habitude. Pas beaucoup de participants, nous serons vingt-cinq.
Le départ est un peu éparpillé, pas un souffle de vent. Toujours aussi mal réveillé, je suis un petit groupe tout en ne remarquant pas qu’à la Folie-Bessin ils prennent la D446 dans le mauvais sens. Pourtant une partie de mon cerveau essaie de donner l’alerte, le chemin ne lui dit trop rien. En passant au-dessus de l’autoroute A10 ça devient plus évident, il y a vraiment quelque chose qui cloche… La nuit ne rend pas forcément la route familière, surtout sans y être passé ces dernières années, mais tout de même… Bref, demi-tour et nous voilà repartis dans le bon sens. Je continue à mon rythme, me laissant distancer peu à peu par les autres. À Janvry, dans les premières lueurs de l’aube, je sors du village tout droit, pourtant le tournant sec à gauche à la fontaine, me dit lui aussi quelque chose… Le souvenir me revient : j’ai failli y chuter lamentablement en crevant il y a deux ans lors du BRM 200. Alors je rebrousse chemin, c’est sans doute par là qu’il fallait aller. Sans panneau d’indication, le groupe a continué tout droit. Les silhouettes s’éloignent dans le petit matin. Ils sont déjà trop loin pour que je les prévienne, même en hurlant… bonne chance pour le détour les gars ! Perdu déjà deux fois en moins de 20km, c’est ce qui s’appelle un départ impeccable, il faut vraiment que je me réveille ! Le jour se lève sur les Yvelines, le brouillard aussi, il y aura ici et là quelques petites poches cotonneuses, agréables pour le décor, mais assez fraîches pour le corps. La température chute jusqu’à 6°C, mes doigts se retrouvent progressivement engourdis. Après Gabanseuil, sur fond de souvenirs du Paris-Brest-Paris, je manque de pression à l’arrière. Avec les doigts encore gelés, je n’ai pas le courage de réparer, pas envie non plus… Je regonfle à bloc, on verra bien ! Le miracle attendu n’aura pas eu lieu, mais j’aurai quand même fais un bout de chemin jusqu’à Houdan, où en sortant de la ville je me dis deux choses : et de une que j’ai été trop loin et surement raté la bonne direction, et de deux que je n’échapperai pas au démontage de la roue arrière ! Je ne trouve rien dans le pneu, je n’ai pas le courage d’épiloguer à la recherche d’un trou sans doute minuscule, alors je change directement de chambre. Remonter le pneu avec des doigts encore tout engourdis, sur une jante creusée au point où les bords comment à s’évaser sous la pression… est un grand moment de solitude… J’ai déjà attendu bien trop longtemps, cette fois c’est décidé, je m’occuperai de cette saloperie de roue en rentrant. Il y a encore du chemin à faire, mais l’idée que tout vienne à éclater subitement ne me dit plus trop rien ! J’ai envie de faire demi-tour, l’idée est tentante avec ce départ assez moyen. Céder à la facilité, aller se recoucher, quel bonheur ce serait ! Et bien non, il faut y aller !
L’entrée en Normandie est marquée par l’apparition de quelques degrés en plus, et de quelques bosses pas bien méchantes. Après Ivry-la-Bataille, je pensais rencontrer plus de circulation sur les grands bouts droits et plats de les D833 et D140, mais c’est tranquille – et monotone – ce samedi. Milieu de matinée, trouver le bar du pointage de Conches-en-Ouche ne pose pas de problème. Un petit café sera le bienvenu pour tenter de me réveiller. Deux habitués des lieux semblent bien décidés dans leur démarche de soutien du petit commerce ! Je n’ai pas le temps libre aussi militant… ni alcoolisé… Il est temps de repartir.
La D830 est assez circulante jusqu’à La Neuve-Lyre. La température monte doucement jusqu’à 25°C, l’après-midi ne sera pas froid. Le petit vent qui se lève rafraîchit à peine l’air. Premier arrêt cimetière à la sortie de Monnai, pour m’asperger un peu et faire le plein des bidons. Je passe par La Jambonnaie… pas un cochon à l’horizon, je n’y ai vu que des vaches, étrange ! Encore une étape tranquille et plate, malgré encore deux ou trois bosses en fin de parcours. Je pointe à Vimoutiers en tout début d’après-midi.
Décidément la Normandie n’est plus ce qu’elle était, le soleil commence à taper dur ! Avant de repartir, la protection solaire s’impose. Pour sortir de Vimoutiers, il faut attaquer une bonne grimpette qui fait prendre 100m de dénivelé. Je passe au voisinage de Croutes… puis de Camembert… au moins le coin est cohérent… et me donnerais presque faim par association d’idées. Et puis tant que ce n’est pas une espèce de vulgaire plastique, la croute c’est encore le meilleur du fromage, ne vous en déplaise messieurs les hygiénistes et les américains ! Le grand ciel bleu affiche 27°C ; nouvelle pause au cimetière à la sortie de Trun. Après un début d’étape plate, en entrant en suisse normande le terrain se fait un peu plus vallonné, mais toujours rien de bien méchant, je retrouve enfin la Normandie bosselée que j’aime (même si elle me semble parfois casse-pattes). Je passe par Falaise en suivant le centre-ville, mais pas jusqu’au bout, je me perds à chaque fois en essayant de traverser la ville, alors tant pis pour le Château de Guillaume le Conquérant, cette fois j’improvise en obliquant à gauche… et je m’en sortirai assez bien. La D511, malgré sa couleur rouge sur la carte, ne comporte pas trop de circulation. La route touristique pour rejoindre Condé / Noireau est visuellement très agréable, Ça change de la monotonie de la Normandie céréalière, et l’ombre apportée par les arbres ne gâche rien… au contraire, avec ce soleil écrasant. Après le pointage Coca-Cola de Condé / Noireau, cap au sud.
Sur une petite place, un groupe de braillards chantent désespérément faux… la Fête de la musique n’a pas toujours que du bon. Tout de suite le ton est donné : la côte de St-Pierre-du-Regard me surprend, s’étire en longueur, ses 125m de dénivelé sont bien là, pas de doute. La délicieuse descente ombragée qui suit est bien trop courte à mon goût. Les bosses se succèdent sous un soleil toujours impitoyable. En sortie de La Carneille, nouvelle pause cimetière pour faire quelques ablutions et le plein des bidons. La tête presque sous le robinet, je ne vois pas la vieille Dame arriver. Je m’excuse pour mon sans-gêne, mais elle ne s’en formalisera pas vu les fortes chaleurs. Son fort accent du terroir est agréable, nous discutons un moment puis nous quittons comme deux vieux amis. À Briouze, les travaux de voirie me font inévitablement crever dans la grosse caillasse se partageant les lambeaux de bitume. Et de deux ! Rien à redire, le pincement de la chambre est propre et net. Une rustine, et c’est reparti. Contre toute attente, je ne me perds pas dans la Ferté-Macé… peut-être grâce à la déviation du centre-ville, rendu piétonnier pour la Fête de la musique qui s’installe là aussi. Javron-les-Chapelles, en fin d’après-midi la température commence doucement à baisser, il fait encore 22°C. Je marque une pause pour regraisser le cuissard. Villaines-la-Juhel, je passe devant ce qui sert de point d’accueil au Paris-Brest-Paris tous les quatre ans. Aucune agitation aujourd’hui, le contraste est saisissant, presque dérangeant. Il n’est pas très tard, mais la ville semble étrangement bien déserte pour un samedi en début de soirée. En traversant la déviation de la Fête de la musique, je me retrouve sur une grande place animée, seule trace de vie dans toute la localité. Pause pointage et Coca-Cola dans un bar, où la patronne est visiblement débordée par les festivités. Les cyclos semblent être de trop… l’amabilité aussi ! Couché au pied d’un arbre, le participant en pignon-fixe qui pourtant marche bien depuis le départ, essaie de faire une petite sieste. Apparemment il en a un peu bavé dans les bosses, et se repose un peu avant de repartir. C’est bien ce que je commençais à me dire, c’est sans doute le Dauphiné Gratiné d’il y a quelques semaines qui me fait paraître les bosses plus plates !
Une bonne moitié est faite, il n’y plus qu’à rentrer… en solitaire. En trois cents kilomètres je ne reverrai plus aucun des participants jusqu’à mon arrivée à Longjumeau ! Nouvelle pause bidons au cimetière d’Averton. La température tarde à repasser sous les 20°C. Bonne nouvelle, les bosses sont maintenant plutôt dans le sens de la descente. Dans le jour baissant, je prends des nuées de moucherons plein des yeux ; seule la nuit m’en débarrassera. Fresnay / Sarthe, le terrain redevient plat. Le crépuscule s’installe sur Beaumont / Sarthe. Je profite des W.C publics au prieuré de Vivoin, avant de ne plus rien y voir. Beaucoup de voitures en transit sur les routes obscures ce samedi soir. J’ai rarement vu autant de circulation nocturne. Beaucoup d’animation dans les villages cette première nuit d’été, du coup je ne sais pas si les »Pédale ! Vas-y pédale ! » sont des encouragement… ou non ! Un petit vent contraire s’est levé. Le dimanche à peine entamé, je fais mon pointage photo à la Ferté-Bernard.
En repartant, j’ai du mal à traverser la ville. Elle est assez étendue, et j’ai dû rater quelque chose dans la nuit ; j’ai eu l’impression de tourner un peu en rond avant d’en sortir, mais tout finit bien. Le vent s’est calmé aussi mystérieusement qu’il s’était levé. Cette étape est un peu vallonnée. En passant par Montmirail, aucune numérotation des routes ne correspond, ni avec ma carte, ni avec la feuille de route. Tant pis, je trouve tout de même les bonnes directions. Rien de grave donc. 2h du matin, la circulation s’est subitement évaporée. Plus aucune voiture ne sera à l’horizon pendant de nombreuses heures… 3h du matin, un gros croissant de lune orangé s’est enfin levé, nébuleux. À peine plus d’une heure avant l’aube, il était temps que cette nuit – pourtant bien étoilée – s’éclaire un peu. À Souday le vent reprend, il ne me lâchera plus jusqu’à mon retour à Longjumeau. Deuxième pointage photo au cœur de la nuit à Mondoubleau.
Après la Chapelle-Vicomtesse le cap vire au nord-est… bien dans l’axe du vent, qui en profite pour se renforcer ! Un magnifique soleil se lève sur l’horizon rougeoyant, un vrai privilège de randonneur. La fraîcheur des 9°C ne se fait pas trop sentir. Logron, une première voiture réapparait dans mon univers. Cette étape a priori assez roulante m’a semblé un peu casse-pattes, peut-être l’effet du vent qui commence à se faire sentir ? À Bonneval, je trouve une boulangerie déjà ouverte ce dimanche matin pour me ravitailler et pointer. En récompense de la nuit blanche, un pain aux raisins encore légèrement tiède fera mon délice.
Il me reste 100km, je trouve souvent la dernière étape d’un long brevet particulièrement fastidieuse… et aujourd’hui je me méfie d’autant plus de cette platitude souvent venteuse en Beauce. Cette fois-ci pas de miracle, les paysages agricoles sont plats et monotones, l’heure ne tourne pas. Sans prévenir, mon genou gauche se fige et m’envoie comme des coups de poignards atroces. Une pause massage d’anti-inflammatoire s’impose. L’effet est limité, il faudra faire avec. Je passe par Voves, ces derniers 80km je les connais pour les avoir parcourus sur le BRM 1000 de Longjumeau à son inauguration, il y a quatre ans déjà, mais de nuit. Cette fois-ci de jour, avec un vent qui ne décolère pas, et un soleil qui repart plus cuisant que la veille, le moral est plutôt en berne… En arrivant à Dourdan, je me dis que le plus gros est fait, il ne reste plus que trente-cinq petits kilomètres ; mais ils semblent se multiplier à l’infini à mesure que je m’échine à les égrener lentement, un à un, contre ce vent toujours pas décidé à lâcher prise, et cette douleur aussi têtue au genou. En ressortant de la ville, je sais ce qui m’attends encore, avec cette morne ligne droite sans intérêt et pleine d’automobilistes jusqu’à St Chéron, puis les belles grimpettes à prendre sans trop de brutalité pour ne pas aggraver l’état de mes genoux. Comme d’habitude, je ne rentre pas à Longjumeau au plus court, je n’arrive jamais à retenir ce chemin direct qui est assez tortueux. Rien de grave, mais pour résumer : je ne suis pas mécontent de rentrer !
Le parcours ICI (c’est celui de 2011, mais le tracé est identique)