Vendredi 5 juin. Comment vous dire… Je me suis encore embarqué dans une histoire foireuse dont moi seul en ai le secret. Ce week-end, c’est le tour des derniers BRM400 français. Je n’en ai pas encore fait cette année, problème de disponibilité, c’est donc ma dernière chance. Dans ces trois brevets, deux (pourtant bien plus faciles) ne me disent trop rien, et il reste Grenoble. Après avoir fait mi-mai le 600 contre un vent mémorable soufflant à 80km/h, l’envie de goûter à nouveau à la montagne est bien tentante… avec un brevet bien costaud… aussi ! Comme je suis conscient de n’avoir strictement aucun talent de grimpeur, je sais que je vais me frotter une fois de plus à mes limites, comme sur le 400 d’octobre dernier, qui avait un dénivelé comparable autour des 6000m… et où je m’en étais sorti malgré tout avec 3h de marge sur le délai maximum, alors soyons fous !
Minuit, arrivée à la gare de Grenoble. Comme d’habitude, je rejoins mon coin tranquille pour faire passer les quelques heures me séparant du départ. Comme d’habitude, toujours pas moyen de m’assoupir un peu, mon restant de la bonne crève du milieu de semaine ne doit pas aider non plus. J’ai arrêté les médicaments au soir. Pas très bonnes pour le cœur, surtout à l’effort, toutes ces pilules contre les gros rhumes. On verra bien. Les heures passent, les autres participants arrivent, ce n’est pas la foule, nous ne sommes que sept au départ, ça flaire l’arnaque, façon de parler… Pleine lune, la nuit est claire, ça souffle un peu sur la place de Sfax alors qu’aucun vent n’est annoncé, étrange. Si j’en crois la météo, en changeant de cap pas trop tard à Laragne Montéglain, nous devrions pouvoir échapper aux orages en étant juste à la limite…
Nous partons par les berges du Drac. Le départ par la piste cyclable me semble familier puis devient plus nébuleux. À Saint Georges de Commiers notre groupe commence à s’éparpiller. À Notre-Dame de Commiers je me retrouve seul, bon dernier, ça c’est fait, je ne reverrai plus personne. À l’aube, l’église de Montenard se devine fantomatique dans le brouillard. Après le village, sorti de la nébulosité je me retrouve au-dessus de la mer de nuages qui remplit toute la vallée. L’aube est magique. Je souris comme un gosse qui vient de recevoir le plus extraordinaire des cadeaux. Je ne peux pas rester à ma contemplation bien longtemps, mais le spectacle est magique : tout ce blanc particulièrement bien mis en valeur par les couleurs naissantes de l’aube, toute cette masse cotonneuse juste en dessous de moi, toute cette immensité suggérée en contrebas et ensevelie par finalement pas grand-chose de concret, tout cela est si étrange et tellement fascinant. Il n’y a rien d’autre à voir que du blanc, mais paradoxalement toute la beauté du monde se résume là, à cet instant. La fin de l’étape est moins poétique, et j’arrive à Marcieu pour le premier pointage par question secrète.
Saint Arey, petit moment de doute, je pensais m’égarer en sortant du village… et c’est fait ! La route est un peu gravillonnée et surtout assez improbable, Je continue et trouve bien la Beaume, mais face à une petite bifurcation, j’hésite. Sur mon plan une petite route part à droite, celle-ci aussi ; elle longue le Drac, celle-là s’en rapproche aussi. Ça semble correspondre, pourtant comme j’ai encore un doute, je continue tout droit et j’aperçois la route se cabrer, ce qui confirme mon idée que je ne suis pas sur la bonne route, vu que sur ma carte la mauvaise route comporte les deux chevrons d’une belle montée. Demi-tour, je prends donc la petite route à la bifurcation. Elle n’a pas un revêtement terrible, bon, pourquoi pas ! La route descend bien vers le cours d’eau, puis au bout d’un moment, je me retrouve face à un panneau tout défraîchit, dont j’ai la curiosité d’écarter les branchages qui le recouvrent presque en totalité… Je suis devant l’entrée des « Houillères de Bassin du Centre et du Midi », ça ne s’invente pas ! Il fallait donc continuer tout droit, voilà comment perdre bêtement 1/2h et avoir une bonne côte à remonter. Après cette mésaventure, je passe par l’étroit Pont des Vignes, puis me retrouve dubitatif face à la bifurcation D168 / D168A que j’ai failli ne pas remarquer, tant le panneau était petit, mais un écriteau « La Jargne » sur ma gauche retient mon attention. Est-ce que cela correspond à « Les Jargnes » de la feuille de route ? Je suis tenté de continuer un peu plus loin, mais pour éviter de me perdre encore une fois, je vais au plus simple et tourne à gauche. Ce sera finalement la bonne route. Logiquement il n’y a plus d’autres pièges sur la feuille de route, tant mieux, car avec le dénivelé de ce brevet, je n’ai pas trop le luxe de perdre du temps à m’égarer. La montée vers Saint Sébastien me paraît fastidieuse dans le brouillard, même sur la fin où la route semble pourtant plate, elle monte encore. Je fais une pause à la fontaine pour remplir les bidons, j’ai l’impression que j’en aurais besoin, car une fois les brumes dissipées, il fait déjà bien chaud. Ma crève du milieu de semaine est revenue à la charge, la descente vers le Barrage du Sautet ne m’a pas laissé le temps de récupérer. J’en profite pour prendre quelques photos. La retenue d’eau me donne le vertige, presque à sa verticale sur le pont, sa hauteur semble incroyable. Grâce aux bonnes descentes de la N85 mes jambes recommencent à tourner à peu près rond. La température a déjà bien monté cette matinée, frôlant déjà la trentaine de degrés. Je passe par les ruines du château de Lesdiguières juste avant d’arriver pour pointer à Le Glaizil.
Cette étape comporte 4 cols pour une soixantaine de kilomètres, présentée ainsi il y a de quoi avoir peur, mais seul le col du Noyer offre une réelle difficulté. Je le connaissais beaucoup plus facile dans l’autre sens, mais dans celui-ci la montée est irrégulière, il y a beaucoup de passages alternants les faux plats et la dizaine de pourcents. Dans cette côte saccadée je n’arrive pas à trouver mon rythme. La chaleur monte encore cette fin de matinée, impitoyable, pas un coin d’ombre, 38°C et plus sont bien là au soleil. Le niveau de mes bidons baisse vite, moi qui ne suis pas à l’aise avec déjà dix degrés de moins, je ne suis pas à la fête. Des petits papillons bleu pastel volent autour de moi, ils n’ont pas de mal à prendre les devants. L’ascension est pénible, ce sera le seul moment ingrat de ce brevet, mais le paysage minéral autour du sommet est vraiment magnifique. L’avant-dernier kilomètre est un calvaire, avec une déclivité continue à 12 % dans la fournaise. Saloperie de col ! Je me traîne lamentablement à 5km/h. À cette vitesse les mouches ont remplacé les papillons, elles ont trouvé une victime idéale, pas moyen d’échapper à leur harcèlement ! J’atteins le sommet du col à midi pour une pause photo bien méritée. En redescendant, je manque presque la petite route à droite. Après un petit dérapage et un demi-tour, je m’arrête au hameau du Pin où j’en profite pour refaire une fois de plus le plein des bidons. Dans Saint Étienne en Dévoluy, je prends la D17 dans le mauvais sens. Il faut dire qu’il n’y a strictement rien d’indiqué, et que la route suit naturellement cette direction. L’autre sens étant masqué par un tournant plus sec… je fais donc la visite complète du village, avant de me rendre compte de mon erreur. Demi-tour, je ne suis plus à ça près ! Remis sur le bon chemin, le col de Rioupes n’est qu’une formalité. Les nuages blancs deviennent de plus en plus présents, rien d’inquiétant, mais la température descend de quelques degrés, 35 c’est mieux que 38 ! Tant qu’il n’y a pas d’orage en vue, tout va bien. Le col du Festre est lui aussi facile, la longue descente rapide me permet enfin de reprendre du temps. Avec la vitesse, la chaleur et le vent me brûlent les yeux, j’en maintiens un ouvert en alternance. En route pour le col d’Espréaux, les nuages se sont dispersés, la fournaise est revenue à la charge. Je m’arrête au Moulin du Pied de la Poua, l’eau de la fontaine est bien fraîche. Je me débarrasse de la sueur cristallisée incrustée à la peau, la rendant rêche comme du sable. Je ne peux plus rien avaler, seul le liquide passe encore, je bois peut-être trop, mais comment faire autrement avec une chaleur frôlant les 40°C ? L’odeur de la résine des pins, chauffée par le soleil, devient assez entêtante. La deuxième partie de l’ascension est un peu laborieuse. Un serpent annelé vert et noir à la tête rouge profite de la chaleur du bitume, mieux vaut faire attention en s’arrêtant dans le coin ! Un autre un peu plus loin a eu moins de chance, il s’est fait écraser. Après la descente du col d’Espréaux, je m’arrête pour pointer à Barcillonnette. Toujours pas d’orage en vue, je pense à ce moment-là pouvoir y échapper.
Je suis limite sur l’horaire, mais comme cette étape est plus rapide, j’espère pouvoir regagner du temps. Après Monêtier-Allemont, les nuages commencent à s’amonceler, surtout par l’arrière. Je me laisse asperger par les arrosages automatiques déréglés des exploitations d’arbres fruitiers, un délice ! Le vacarme d’une ribambelle interminable de voitures de rallye, en sens inverse, est assez pénible. Étrange que des véhicules sans immatriculation puissent rouler sur des routes ouvertes à la circulation. Ce manège bruyant se poursuit jusqu’à Laragne-Montéglain, où je crois m’en être débarrassé… Mais je les aurai ensuite dans mon dos en repartant, ce qui m’amusera encore moins ! En attendant je me ravitaille en liquide en ville, toujours écœuré par la nourriture solide. Les nuages montent de plus en plus gris dans mon dos. Après Eyguians, ils m’ont rattrapé et la pluie se met à tomber. Le pneu arrière en profite pour crever. J’aime toujours autant réparer dans ces conditions : la roue est dégueulasse de crasse, j’ai du mal à trouver l’origine de la crevaison qui passe inaperçue avec l’eau et la boue, impossible de coller la moindre rustine, et forcément rien sur le bord de la route pour se mettre à l’abri et bricoler tranquillement. Bref, je me débrouille tant bien que mal. Pendant ce temps-là l’orage se précise, il faudrait que j’arrive à repartir vite fait ! À Orpierre, je me réfugie un moment sous le porche d’une maison, en attendant que les éclairs s’éloignent un peu. Malgré cette perte de temps, j’ai réussi à regagner un peu d’avance. Je ne m’attarde pas trop, la pluie commençant à faiblir et la foudre à se faire moins sonore, je me remets en route pour Villebois les pins, lieu du pointage suivant.
Les éclairs se remettent à tomber bruyamment dans les environs. Je pense avoir le temps de passer le col du Reychasset, en espérant que l’orage reste bloqué par le relief, ce qui sera le cas jusqu’à Verclause… où la foudre venue par l’arrière, et remontant par les côtés finit par m’encercler totalement à Rémuzat. Dès lors, je fais des sauts de puce sous la pluie battante, de village en village, à chaque fois que l’orage s’éloigne un peu… mais comme il va dans la même direction que moi, je perds pas mal de temps à chaque arrêt. Les villages s’égrènent lentement au gré de mes pauses forcées : Cornillon, La Motte Chalancon, La Charce… Le soir s’installe, à Establet j’attends un peu plus, en approchant des crêtes je deviens une cible idéale pour la foudre. Bellegarde en Diois, je marque une nouvelle pause sous un porche. Le rideau de pluie tombe juste devant mon nez, je ne repars pas très rassuré vers les crêtes, pour passer le col de Prémol. J’ai hâte de regagner la vallée pour être plus en sécurité. L’orage n’en finit pas de me précéder, prenant tout son temps, mais je ne voudrais pas non plus me faire rattraper par l’arrière par une autre poche orageuse ! Je continue mes sauts de puce dans la nuit noire pour regagner la vallée : Jonchères, Poyols, Montlaur en Diois, Recoubeau-Jansac, Pont de Quart. Trouver un abri n’est pas toujours facile. La température est retombée à moins de 15°C, la pluie fraîche accentue la sensation de froid, l’imperméable me colle à la peau. Après Die, la foudre semble se faire progressivement un peu plus lointaine. Je m’arrête pour pointer à Chamaloc sous un fin crachin.
En repartant les éclairs se font toujours aussi nombreux, mais deviennent plus silencieux. Je me demandais comment j’allais passer le col de Rousset en sécurité, car sans pouvoir m’abriter, mais apparemment ça devrait aller. L’effort de la montée me redonne un peu de chaleur, mais pas assez pour que l’imperméable se transforme en sauna, tout va bien. L’ascension du col est longue mais régulière, je l’avais déjà gravi de jour, par un vent fort qui m’avait laissé une impression vraiment pénible. Cette nuit le vent souffle aussi par moments, mais je grimpe beaucoup mieux, même si le crachin ne me laisse pas tranquille. Je ne sais pas si c’est à cause de l’orage ou non, mais la route comporte de nombreuses pierres vers le haut du col. En passant par le tunnel, je ne me débarrasse pas de la pluie fine. La route du Vercors m’est familière avec cette belle descente en lacets vers La Balme de Rencurel, suivie de la remontée vers Rencurel. Le ciel s’assèche au moment où j’y arrive pour pointer.
C’est la dernière étape, il reste une cinquantaine de kilomètres, et le col de Romeyère à passer. Pas de temps à perdre, après ma multitude d’arrêts forcés, je suis toujours très limite sur le temps. Je connais aussi ce col en y étant passé de jour lors de mon Dauphiné Gratiné. Cette fois-ci, c’est la fin de nuit. Dans la descente en ligne droite, je peux regagner un peu du temps perdu dans la montée, puis m’attend le redoutable défilé des Ecouges qui avait terrifié le claustrophobe que je suis. Je suis rassuré par la traversée avant l’aube, il y a moins de contraste entre l’intérieur et l’extérieur, alors je m’y engouffre sans hésiter. Le passage est toujours aussi étroit, et je comprends mieux cette sensation de descente aux enfers que j’avais éprouvée la première fois, car le tunnel est nettement en pente. Une fois ressorti, je me laisse glisser sur la D35. La descente sinueuse sur l’improbable petite route, m’amène directement sur les berges de l’Isère, que j’ai juste à suivre pour rejoindre Grenoble par la piste cyclable.
En résumé, voilà encore une magnifique folie qui nous était proposée par Jean-Philippe. La prochaine du même genre est prévue pour début octobre.
À ne surtout pas manquer… à condition d’oser !
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