Fin de nuit, quelques gouttes de pluie sur la route. J’arrive à la bourre : 4h50 pour un départ à 5… et pas inscrit. Rien ne presse, l’organisateur en profite pour faire une photo du groupe ! Restons zen, je me rabats sur un café, façon d’essayer de rendre moins nébuleux mon réveil à 2h du mat’. Les formalités s’éternisent, je sens que c’est mal barré, mais bon, c’est moi qui suis en retard. J’ai mon carton jaune rempli à 5h15… et la quinzaine d’autres cyclos est bien entendu déjà partie. Ce n’est pour me gêner, mais d’habitude je prends au moins le départ dans un groupe… avant qu’il ne s’effiloche. Là, vu que tout le monde est devant, ça sent le brevet solo.
Cinq heures et quart donc, je démarre tout seul. Le vent promis par la météo est bien là… de dos pour l’instant, avec quelques rafales de travers. J’en profite avant que ça se gâte. Seules les grappes clignotantes des éoliennes se signalent sur l’horizon noir, pas d’autres loupiotes rouges sur la plaine, celles du groupe de cyclos doivent être déjà bien loin. Le premier contrôle a été déplacé, avancé à Connantre, km 46, en montant un poil plus au nord du tracé initial. Quelques bornes en plus, rien de bien méchant. L’église à l’entrée de Méry-sur-Seine apparaît à la faveur d’un petit virage. L’édifice, offre un premier îlot de lumière dans cet univers noir plombé de nuages lourds. J’en profite pour m’égarer un peu en ville. Les oiseaux joyeux chantent pour accueillir la pluie. Un jour d’opaline se lève laiteux sur la campagne, gris, en hésitant longuement avec la nuit. L’univers liquide, sinistre, me pousse à aller de l’avant et claque à mes oreilles. Le vent domestiqué dans ce sens me promet un retour furieux en changeant de cap.
Après le pointage de Connantre c’est vite reparti. Barbonne et les vignobles de champagne font leur entrée dans le décor ; puis c’est au tour de la première bosse, assez longue, en direction de La Forestière. Le crachin s’intensifie un peu, et le souffle se renforce en sortant de la forêt. Le colza en fleurs apporte une note de couleur dans le paysage triste. La moitié des moulins à vent d’un champ d’éoliennes reste imperturbable, immobile. Après quelques derniers assauts de la pluie vient un soleil pâle, la route diamantaire étale ses joyaux brillants sur les gros grains de bitume. Je longe une carrière submergée après Gouaix. L’eau étonnamment bleue turquoise contraste avec le ciel gris souris. Les oiseaux chantent, joyeux comme souvent en discutant autour de la pluie. Une péniche passe indolente en ronronnant sur la Seine. Les grands bouts droits vers l’ouest sont pénibles, le vent ne trouve pas beaucoup d’obstacles dans la vaste plaine agricole, à part moi, qui dérisoire pense tenir tête au souffle. Les rafales à 65km/h annoncées par la météo semblent un peu exagérées, mais ça ne doit pas être loin en dessous. Arrivé à Sergines, le crachin revient. Mes pieds n’auront pas eu le temps de sécher. Puis c’est le tour d’une averse piquante. Les grêlons tous fins ne font pas plus de quelques millimètres. Pourtant presque des coups d’aiguilles en atterrissant sur le nez et la chair tendre des oreilles. J’arrive pour pointer à Pont-sur-Yonne où les derniers cyclos repartent. Comme quoi mon retard du départ reste assez stable.
Je repars par une petite grimpette en direction de Saint-Sérotin. Un petit peu de soleil éloigne les nuages. D’un coup il fait chaud, mais je garde mon imperméable épais, car la pluie n’en a peut-être pas fini. Le vent revient très vite dès qu’on s’éloigne de la ville. Vallery se présente comme un joli village… surtout entre deux averses ! Avant Basoches-sur-le-Betz, Le-Grand-Village n’est qu’un gros lieu-dit, comme quoi tout est relatif. Puis je traverse l’A6, large saignée bruyante dans le paysage. Il y a encore de la circulation, tout le monde n’est pas parti profiter du pont du premier mai. Au bout de l’autoroute du soleil, en trouveront-ils, parce que pour moi c’est assez mal parti. Un peu avant Ervauville je rencontre mes premières vaches. L’image est inattendue. Je m’aperçois alors qu’en près de 200km je n’en avais pas encore vu dans cette campagne plate, principalement céréalière. Le froid est revenu avec l’eau. Je fais le plein des bidons dans le cimetière en sortie de Louzouer, puis j’ai le droit à une nouvelle averse de grêle en direction de Château-Renard ; très piquante, très oblique dans les rafales de travers. J’ai la joue droite complètement glacée. Le joli village est à deux pas, pour pointer et me ravitailler d’un sablé au beurre salé, parfait pour remonter le moral après les aiguilles de la grêle.
Une petite montée permet de s’extraire de Château-Renard. C’est le retour du jaune criard du colza en fleur, et de son odeur un peu âcre pour mes narines agressées par le froid. J’arrive à Châtillon-Coligny par un faubourg que je ne lui connaissais pas, moderne, laid, et finalement le village perd beaucoup de sa saveur, traversé dans cet axe-ci. L’étape est faiblement vallonnée. Elle commence tout doucement avec quelques petites bosses insignifiantes qui s’accentuent vers la fin. Je crois bien que je n’ai pas eu de pluie sur cette étape. C’est magique… mais ça ne durera pas ! Le ciel devient gris anthracite en m’approchant de Saint-Sauveur-en-Puisaye. Je ne passe pas très loin du chantier de Guédelon, et de son projet de construction d’un château médiéval selon les techniques de l’époque.
Toute fin d’après-midi, pointage et expresso avant de repartir de Saint-Sauveur-en-Puisaye. Le vent est comme sur étape précédente, beaucoup moins pénible, toujours aussi fort dans les oreilles, mais plus favorable. Je verrai en obliquant définitivement au nord, à partir de Toucy, pour savoir si les 125 derniers kilomètres seront agréables, poussés dans le dos, ou pas. S’il y aura de la pluie, ou pas, c’est une autre histoire ! Même si je ne suis pas très fan des grands axes, celui amenant vers Toucy est assez tranquille en début de soirée. Le bourg est vivant, les restaurants ont leurs clients, la pluie ne décourage pas les ventres de se remplir. Nouvelle belle averse en sortant de la ville. Je quitte Toucy par La Guillotine. Je ne sais pas si c’est de bon augure, tandis que la nuit s’apprête à entrer en scène dans la longue montée. Je tire ensuite des grands bouts droits sur la D955. Dans la pénombre, la route commence à se charger de bagnoles. Pas beaucoup dans mon sens, le trafic vient surtout d’en face, moins gênant à part pour les phares. En soirée j’atteins Joigny, toujours sous la flotte, pour le dernier pointage.
Il reste une petite centaine de kilomètres à parcourir. C’est reparti en longeant l’Yonne pour une première partie d’étape vallonnée avant le retour du plat. Quelques étoiles se sont levées en direction de Brienon-sur-Armançon, mais la nuit reste toujours aussi opaque. Opaque, froide et humide. Çà et là, de la route détrempée monte quelques volutes blanchâtres, promesse qui sera tenue ou non, de brouillard au petit matin. En principe j’aurais fini bien avant. La nuit est maintenant bien installée, profonde dans les heures et dans le noir, et le vent en profite pour aller dormir. Je n’ai pas sommeil, mais j’aurai aimé sentir plus d’aide que celle d’un souffle assoupi dans mon dos. À Bellechaume je m’arrête devant un distributeur plus par curiosité qu’autre chose, et je prends un paquet de bonbons gélifiés, autant pour calmer un petit creux que pour tromper l’ennui des 70km restants… en ayant quelque chose à mâchouiller. Il brouillasse toujours dans la longue montée, récompensée ensuite par une descente amenant à Arces. Après Coulours, au cœur de la nuit, je me méfie des virages des Hauts-de-Flacy, que je connais de jour en montée dans l’autre sens. Villeneuve-l’Archevêque est plongée dans la pénombre. La lassitude s’installe dans la nuit froide et humide. Il me reste 45km à tirer des grands bouts plats à travers des villages noirs et aveugles. En m’approchant du dénouement, j’aperçois au loin les farandoles rouges des éoliennes comme il en clignote un peu partout dans la plaine, à l’approche de Troyes. En sortant d’Echemines je grimpe la dernière bosse, insignifiante, avant les cinq kilomètres de descente ramenant à Fontaines-les-Grès, au terme de 400km bien trempés. C’est la fin d’un circuit facile, sous d’autres conditions météo… Il ne me reste plus qu’un BRM 600km à réaliser pour boucler les brevets qualificatifs du Paris-Brest-Paris.