Le cycle des Flèches de France « vintage »,
épisode 18.
le vélo pour revenir de Bordeaux : | Cycles Flèche d'Or (1956) |
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nombre de vitesses : | 1 x 3 |
développement maximum : | 6,15m (46/16) |
développement minimum : | 4,10m (46/24) |
poids du vélo : | 13,4kg |
dénivelé du parcours : | 690m/100km |
Cette Flèche je l’avais faite il y a une bonne dizaine d’années dans le sens Paris – Bordeaux… Je sais, la faute est impardonnable, mais bon ! Il n’est jamais trop tard pour réparer cet outrage, alors je m’y recolle dans le bon sens avec un vélo d’époque, qui aurait pu pourquoi pas, s’aligner sur le mythique Bordeaux – Paris côté « amateurs ». Point de vue route, comment dire, si vous espérez la présence de pas mal de villes, de villages, d’endroits remplis de vie pour vous ravitailler, autant le préciser tout de suite, cette Flèche n’est pas faite pour vous. Ce serait plutôt une remontée vers Paris au milieu du néant campagnard. Si vous pensez à un parcours plat ou vallonné, là aussi ce ne sera pas ça. Ni l’un ni l’autre en fait, mais les deux à la fois, intercalant presque tout du long de – belles – montées entre des bouts droits s’étirant – s’éternisant – en longueur. Bref, tout se résume là, et il n’y a pas grand-chose d’autre à ajouter… Allez, je vais quand même essayer de vous raconter quelque chose.
Départ en début de nuit. Sortir de Bordeaux est assez facile, sauf que je ne trouve jamais de panneau… On sait qu’on est en périphérie quand on est déjà loin de la ville. Pas de photo donc, au cas où la carte postale de pointage se perdrait… mais bon, il n’y a pas de raison ! Une fois l’urbanisation laissée derrière, après quelques villages voilà Saint-Germain-du-Puch qui s’étire en longueur le long d’une petite route assez improbable, alors qu’on se croit rendu à la campagne. Le centre apparaît tardivement, et à la sortie du bourg on rejoint les grands bouts droits pour cette fin d’étape menant au contrôle de Libourne. Les routes sont plus agréables, plus larges, ce qui par cette nuit sans lune n’est pas plus mal ! En résumé, un début de parcours quasiment tout plat pour cette mise en jambes… mais ça ne durera pas. La ville endormie est agréable, bien éclairée, je flâne un peu avant de pointer, et c’est reparti juste avant minuit.
La nuit est profonde, la route paisible, et à partir de Guîtres quelques petites bosses douces apparaissent de temps en temps. Premiers travaux sur la route principale de La Clotte. Le terrassement à été fait, ça passe sans problème sur la terre et les cailloux tassés. Les ténèbres sont si denses qu’en sillonnant les bois je ne vois rien, mais entends le bruit des sabots qui dérapent sur l’asphalte. Le grand animal a traversé et je n’ai même pas vu sa silhouette, à peine le passage d’une ombre que j’ai dérangée. Progressivement, les petites bosses se font de plus en plus longues et de plus en plus marquées en se dirigeant vers Chalais. À Rioux-Martin la traversée du village non éclairé est largement en descente. Le répit fait du bien… mais il faut compter – à l’entrée du bourg – avec des chicanes piégeuses dans la pénombre avec la prise de vitesse. Les bosses reprennent ensuite, bien marquées. Une petite escale au cimetière en sortie de Deviat permet de faire le plein des bidons avant d’arriver au contrôle de Blanzac-Porcheresse vers la fin de nuit.
Tout de suite en repartant, une longue montée se présente en deux temps pour s’éloigner du village. Au franchissement de la N10, le profil s’assagit pas mal malgré quelques petites ondulations du relief à l’approche de Hiersac. Synchronisation parfaite, 6h30 précises – fin de la première nuit blanche – l’éclairage public se met en marche juste quand je rentre dans Asnières-sur-Nouère. Les bosses reprennent irrégulièrement après Sireuil. En approche de Marsac un vaste panorama s’ouvre sur la vallée, avec pour compléter le décor à l’aube encore à venir, les villages éclairés et le soleil s’apprêtant à percer les nuages. Le spectacle appelle la contemplation, un court arrêt s’impose. À l’entrée de Montignac-Charente les champs sont inondés, et les alignements de grands arbres forment une haie d’honneur impressionnante le long de la route au petit jour. Aux abords de Valence aussi, le Son-Sonnette est largement sorti de son lit. Dans Beaulieu-sur-Sonnette – je ne vois pas ce qu’il y a de beau dans ce lieu, à part le château de Sansac bien avant le bourg, mais passons – je m’égare par inattention en ne remarquant pas le changement de direction. Je file tout droit comme un bienheureux, et m’en rends compte largement après le village. Au final le détour n’a pas trop d’importance. Champagne-Mouton – ni l’un ni l’autre dans les environs – le panneau est retourné. La tête, je dois également l’avoir à l’envers, car il ne faudrait pas que ça devienne une habitude mais je me perds encore, en tournant en rond cette fois… sans vraiment de conséquences là non plus, à part une perte de temps qui s’accumule. Bon, dans le sens du retour sur Paris rien ne presse, il n’y a pas de train – de grande ligne – à prendre alors tout va bien ! En route vers Benest, je traverse l’Or. La fortune est à portée de main ; toute une promesse ! Hélas, rien de bien brillant là-dedans, le petit cours d’eau est insignifiant et limite boueux… et je m’en éloigne pas plus riche pour autant ! Les bosses sont toujours là, sporadiques ; la prochaine n’est jamais prévisible, mais jamais bien loin non plus… Ce n’est pas la grande forme ce matin. Ciel morne, je traîne un coup de pompe magistral depuis près de 3h, rien que ça ! Pas de fringale, pas trop d’explications. Trahison de l’aube, le corps se rebelle sans raison apparente. Le passage de la nuit blanche est d’habitude moins féroce, même si la lassitude peut s’installer à la reprise du jour. Après ces longues heures de galérien obstiné, la mécanique du bonhomme se remet enfin plus sérieusement à la tâche… mais c’est pas le Pérou… enfin presque, car le petit cours d’eau, le Payroux mérite bien un arrêt photo. Je sais, je suis bon public – bien fatigué aussi – alors autant se trouver quelques prétextes pour un instant de récupération. Patience, dans une vingtaine de kilomètres le contrôle de L’Isle-Jourdain sera là. L’étape s’achève en remontant la belle cuvette dans laquelle la petite ville est blottie, pour aller pointer dans le centre-ville… parce qu’il ne faut quand même pas jouer les feignasses en se contentant de la périphérie !
En papotant cinq minutes à la supérette, il semblerait que je sois le premier cycliste de l’année à se présenter pour lancer la course au tampon… au moins dans cette boutique ! Puis midi passé, c’est reparti sur un air de déjà-vu. Comme sur l’étape précédente – et presque toutes en fait – de longues bosses disparates continuent à s’intercaler dans de bons moments de plats. Les trois vitesses du vélo, un Cycles Flèche-d’Or de 1956 sont suffisantes… mais pas superflues ! De gros travaux sont en cours au centre-ville de Lussac-les-Châteaux. Pas envie de faire un détour, le bourg me semble assez gros pour pouvoir s’y perdre. Je tente le coup, finalement ça passe à pied avec un sourire aux terrassiers ; merci Messieurs. Une fois remis en selle, le répit d’une bonne quinzaine de kilomètres très roulants jusqu’à l’approche d’Antigny est le bienvenu après le coup de mou monumental du début de matinée. Encore quelques travaux de voirie à l’entrée d’Angles-sur-l’Anglin, qui eux, n’empêchent pas le passage. Beaucoup de bagnoles sont stationnées devant les ruines de la forteresse, mais curieusement il n’y a qu’une poignée de touristes dans les rues en milieu d’après-midi. Le village est lové dans sa cuvette, mais la remontée pour s’en extraire me semble toujours plus facile dans ce sens. Depuis mon dernier passage lors des BCN / BPF du Poitou, la boulangerie a périclité. Tant pis, je poursuis mon chemin. Les bosses persistent ponctuellement et commencent à devenir usantes, sans être pour autant plus fréquentes. En sortant de La Roche-Posay, la petite route menant à Lésigny (qui dans le sens nord / sud est directe) est coupée. Pour aller tout droit – chacun prend ses responsabilités, hein – il faut contourner les barrières et progresser à la rencontre des stigmates de nombreuses chutes d’arbres… et même d’un glissement de terrain résultant d’une coulée de boue. Comme le déblaiement a largement avancé, ça passe. Un méandre de la Creuse plus loin et en entrant en Indre-et-Loire, à Barrou, un vieux au béret rivé sur le crâne, la clope vissée au bec, est sorti sur le pas de sa porte. Assis sur sa chaise, il regarde le monde s’agiter autour de lui, tel un symbole archaïque du bon vieux temps campagnard, aujourd’hui fantasmé. En quittant le village, il faut attaquer une côte de 2km continus pour accéder au Grand-Pressigny où les ruines et l’abbaye dominent les hauteurs. Après avoir grimpé de l’autre côté de la vallée, les vieilles pierres de La Celle-Guenand se présentent bientôt. Le soleil descend vers l’horizon, la lumière reste chaude et en sortant du village tout l’univers est jaune. Les champs de colza sont en fleurs, indissociables de l’odeur musquée qui va avec. En début de soirée arrive le contrôle de Loches (également site des BCN / BPF de Touraine). Une fois de plus, la route est barrée pour traverser le centre-ville, mais passer ne pose pas de problème vue l’heure tardive.
Les montées se font maintenant plus courtes et plus faciles, moins nombreuses aussi, tandis que la nuit s’installe doucement. Avant de piquer du nez, je marque une pause préventive le long des quais à Chisseaux. En repartant, l’air s’est rafraîchi. Des nappes de brouillard font une timide apparition dans le paysage, petits fantômes bienveillants flottant au-dessus de la route sombre en direction de Vallière-les-Grandes. Minuit passé, la lune en simple trait courbé est partie se coucher, laissant aux cieux une multitude d’étoiles. Le profil de la route s’est bien assagi, il ne reste que quelques bosses de loin en loin… avant une fin d’étape plate sous un brouillard extrêmement dense qui se met en place progressivement en deuxième partie de nuit. L’aube tarde à revenir dans cette nébulosité, lorsque j’arrive au contrôle de Marchenoir.
Rien pour pointer dans le petit bourg, et la brume me fait manquer une direction. Allez hop, demi-tour ! Encore un peu de temps perdu, mais toujours rien de grave. Le soleil naissant repousse lentement le brouillard, et Villampuit m’offre un arrêt décrassage aux toilettes publiques… pour bien démarrer la journée après cette deuxième nuit blanche ! Dans la Beauce et sa platitude, quasiment tous les panneaux de villages sont renversés. La grogne paysanne est-elle plus légitime ici qu’ailleurs ? Même si certains champs voient la lavande remplacer le blé, le céréalier beauceron est-il le plus à plaindre ? La matinée se fait belle, monotone dans cet univers purement horizontal où les villages se suivent et se ressemblent tous. Autant la journée d’hier était restée fraîche sous un ciel largement bouché, autant aujourd’hui, midi passé, il fait chaud. Pas grand-chose en Beauce, alors un arrêt s’impose dans ce désert agricole, pour faire le plein des bidons au cimetière en sortie de Boinville-le-Gaillard. En repartant, l’approche du pointage de Saint-Arnoud-en-Yvelines se fait en suivant un itinéraire assez improbable. J’arrive malgré tout à ne pas m’égarer, sans même vraiment hésiter sur les petites routes tracées au milieu de rien.
Moins de quarante kilomètres, presque une formalité si ce n’était le retour des longues bosses sur cette dernière étape. Début des hostilités avec une longue grimpette assez raide pour s’extraire puis s’éloigner de Bullion. Il faut pédaler et prendre le temps, et encore plus pour gravir cette D938, interminable et aux gros pourcentages, infernale en milieu d’après-midi dans le passage incessant des bagnoles. Pas de quoi se sentir en sécurité, pas moyen de fuir au plus vite dans cette montée ingrate. À Magny-les-Hameaux les choses s’inversent. Après un court passage en forêt, la redescente est abrupte, puis ça recommence. Chateaufort après le village, ça remonte encore… plutôt fort ! Rouler sur le plateau de Toussus-le-Noble marque le retour au calme. Une dernière petite descente en forêt entre Les Loges-en-Josas et Jouy-en-Josas présente le dernier relief du parcours à quelques kilomètres de l’arrivée.
Voir ICI pour la Flèche réalisée dans l’autre sens avec un vélo moderne.