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L’Alsace, ses cours d’eau navigables et ses voies vertes qui les bordent, ses pistes cyclables accompagnant souvent les grands axes, le calme plat de la vallée formée par le Rhin, tout un programme tranquille à l’écart de la circulation… oui mais pas que ! Je n’ai pas tracé ici un circuit pour rigolos, car mine de rien ça va grimper dès le départ. La seconde moitié du parcours sera peinarde, mais avant ça, il aura quand même fallu grimper 6700m de dénivelé pour les 400 premiers kilomètres (4000m rien que pour les 200 premiers) ! Vous vous en doutez, il y aura donc quelques petits sommets de cols à grappiller au passage, rien qu’une douzaine, rien que pour vous, avec ou sans panneau visible sur la route. Avec par ordre d’apparition :
- le Col du Ballon-d’Alsace (1171m)
- le Col de Bussang (727m)
- le Geishouse Höh (763m)
- le Col Amic (828m)
- le Col du Hagg (1233m)
- le Col du Moorfeld (1197m)
- le Col du Hahnenbrunnen (1186m)
- le Col de la Schlucht (1139m), pointage bonus du département des Vosges.
- le Collet du Lac Vert (1225m)
- le Col du Calvaire (1144m)… qui n’en est pas un, de calvaire à monter !
- le Col du Langthal (283m)
- le Col du Pfaffenschlick (375m)
Et si vous n’en avez pas encore assez, ce circuit passe vraiment tout près – à moins d’1km – du Col du Schaentzel (à deux pas du Château du Haut-Koenigsbourg) et du Col du Kienberg (en chemin vers le Mont Sainte-Odile). À vous de voir !
Un matin comme un autre, les paupières encore lestées du plomb du sommeil dans mon train de banlieue parisienne. Problème de je ne sais encore quoi, terminus imprévu, et avancé surtout. Généralement quand ça commence ainsi, le RER se transforme en tortillard. Bon, heureusement j’ai prévu de la marge, j’ai bien fait de me lever à 4h du mat’. Correspondance entre gares, et vlan, je me vautre en arrière dans les escaliers, que je dévale sur le dos en portant – enfin c’était le principe – le vélo ! Je garde toujours mon casque en transit, et cette fois ça a eu du bon, autrement mon crâne tapait violemment une marche ! Le terminus du tortillard a failli se changer pour moi en terminus et corbillard ! Moralité, gardez toujours votre casque, même le vélo sur l’épaule. Vous aurez peut-être l’air con, mais ça pourrait aussi vous sauver la vie. Bref, Paris a son charme et personne pour me ramasser. Je me demande un instant si dans toutes les capitales du monde on peut agoniser sans que personne ne semble le remarquer ? Moment de flottement avant d’arriver à me relever. Néanmoins, pas trop de mal pour le bonhomme qui a l’occiput un peu endolori, mais le dos bien solide. Le vélo, lui, n’est pas trop du même avis. Je l’entends finir de gémir, la chambre à air explosée, le feu rouge en miettes, et le compteur délirant complètement. Aucun des trois ne s’en remettra, il faut bricoler ! Heureusement, j’ai du temps pour réparer, car la poisse continue. Il y a un cafouillage dans la préparation du train qui se fait attendre un bon moment. En me rendant sur le quai, surprise, pas assez de places pour vélos malgré mon billet l’ayant prévu. Ben voyons, ça continue ! Une chouette matinée en perspective. Il va falloir que je passe les 4h du voyage sur un strapontin à manœuvrer le vélo pour laisser monter et descendre les autres voyageurs… à chacun des 10 arrêts ! Donc aucune chance de pouvoir finir ma nuit peinard ! Problème technique en cours de route, le TER s’arrête en rase cambrousse une éternité, on n’est plus à ça près… Je sens que cette randonnée va être très chouette !
Je sors de la gare et c’est enfin parti. Avec pas mal de retard pour le train, et retard également sur mon plan de marche déjà bien serré pour le premier jour. Il ne faudra pas trop traîner aujourd’hui. Bref, pas loin de midi je quitte Belfort, c’est parti pour une première étape permettant à peine de se mettre en jambes. Vite avalée… forcément elle ne fait que 8km ! Malgré tout de quoi chasser l’urbanisation après Essert, entrevoir un bout de forêt, et sur la route plate voilà Cravanche.
À peine plus de chemin pour atteindre le pointage suivant. Les montagnes forment quelques ballons recouverts d’arbres, promesse de relief, et promesse du Ballon d’Alsace en milieu d’après-midi. La route est encore sage avec une seule bosse en approche de Rougemont-le-Château.
En passant par Masevaux, la montagne est maintenant présente tout autour dans le paysage. Les choses sérieuses vont pouvoir commencer. Premier tronçon de piste cyclable, très agréable. Le bitume remplaçant l’ancienne voie SNCF est lisse, large, bien entretenu, seuls les quelques portillons dits de sécurité gâchent un peu le reste. Les kilomètres s’écoulent tranquillement – presque trop comme une torpeur invitant à la sieste – sous le soleil du début d’après-midi. Puis vers la sortie de Sewen, la route se met à monter doucement vers le Ballon-d’Alsace. Le passage devant le Lac d’Alfeld, est marqué par un bon replat, il y en aura un autre bien plus loin (passé 1050m). L’eau est d’un vert profond apaisant. La montée du col se fait largement à l’ombre de la forêt de résineux, puis de feuillus passés les 900m d’altitude. Détail insignifiant, mais la protection du soleil est toujours appréciable en grimpant sous le cagnard ! L’approche du sommet du Col du Ballon-d’Alsace se fait par une pente plus calme, et la vue se dégage comme la forêt disparaît.
Moment pour récupérer, je repars dans la descente vers Bussang. De nouveau se présente une portion de voie verte agréable. En bout de piste, la FFC a même aménagé une petite station avec gonfleur, point d’eau, toilettes publiques et propositions de circuits dans les environs. L’initiative est sympa. En sortie du village, de Bussang donc, la route grimpe vers le col de… Bussang ! La montée n’est pas très exigeante, par contre après, la route descend bien. Comme tout trajet en montagne est un éternel recommencement, ça grimpe fort en sortie de Saint-Amarin. Geishouse se mérite, et juste avant lui, son col qui n’est pas indiqué sur la route. Passé le cimetière, la route qui monte vers le Hagg et le Grand Ballon est barrée. Réservée aux ayants droit comme il est souvent indiqué sur les petits chemins alsaciens. Vu l’état dégradé de la route que j’entrevois avant qu’elle ne tourne vers les hauteurs, je n’ai pas trop envie de me fourrer dans un « piège à cons » où personne ne doit passer. Le début de cette journée a déjà été assez calamiteux comme ça, pas besoin d’en rajouter ! Tant pis, demi-tour pour continuer à traverser Geishouse. Comme il n’y a pas 50 routes qui y passent… forcément je ne monte pas, et au contraire redescends dans la vallée et me retrouve à Moosch. Toute l’ascension vers le Grand-Ballon est à refaire… c’est moche justement ! Tout ce temps perdu n’arrange pas mon retard qui s’accumule de plus en plus, mais bon, il faut y aller. Après le Col Amic, certaines portions de route – en virage, c’est plus drôle – sont pavées. Paver un col, quelle idée de génie, surtout dans les épingles ! Sur le sec en montée d’accord, mais en descente sous la pluie, je n’y vois pas d’autres intérêts qu’une totale stupidité. Puis le Grand-Ballon se présente, encore loin, avec la silhouette de son gros dôme trônant au sommet… Un gros ballon sur le Grand Ballon, quoi ! Le voilà enfin, tant attendu et maintenant à ma portée.
La route ne redescend pas tout de suite, elle va cheminer autour de 1200m d’altitude pendant une quarantaine de kilomètres. Je progresse sur la ligne de crête du Grand-Ballon au Lac-Blanc. Enfin une route globalement plate, on ne va pas chipoter. L’après-midi est déjà bien avancée, je peux en profiter pour accélérer le rythme, mais je sens que ça va être compliqué de pointer encore au jour en plaine à Riquewihr, comme je l’avais prévu. Dans le soir, les installations des remontées mécaniques prennent l’allure d’arbres surréalistes plantés par Tim Burton. Le jour touche à sa fin en haut du Col de la Schlucht. C’est un bonus, comme j’y passe j’y pointe, mais il compte pour la Lorraine (département des Vosges), pas pour l’Alsace. C’est une vieille connaissance, je l’avais déjà franchi de nuit, alors là j’en profite.
L’étape est courte, une quinzaine de kilomètres à peine, mais j’arrive au Lac-Blanc entre chien et loup. Trop tard pour pointer mes Provinces Françaises, interdit de nuit ! Il me faut attendre le lendemain matin, pas le choix. Et merde, je suis en retard d’une étape sur le tableau de marche prévu ; sur l’option pessimiste en plus de ça ! Pas bon pour mon retour en train. Vu le coût du trajet j’avais pris le billet d’avance, mauvais plan. J’ai deux journées pour me rattraper, mais demain c’est encore la montagne qui est au menu, alors ça va être difficile… En attendant, j’étale mon sac de couchage sur le caillebotis du bâtiment de la Station du Lac-Blanc, à l’abri des regards, de la fraîcheur et du vent dans le repli formé entre le mur et la toile tendue devant l’édifice. Je me trouve quand même à plus de 1100m d’altitude alors que j’avais prévu de faire halte dans la vallée, la température n’est pas la même. Je repars au petit matin du Col du Calvaire pour pointer au Lac-Blanc à deux pas.
Je me laisse glisser pour rejoindre la vallée au petit matin, en faisant attention à la route et ses nombreuses poches de gravillons. Place à une étape cette fois globalement en descente pour n’avoir à remonter qu’en cheminant dans le vignoble à Kientzheim et Riquewihr où se trouve le prochain pointage. Le soleil rasant l’horizon donne au paysage des teintes chaudes. L’or caresse les collines et les vignes.
À l’approche de Ribauvillé des ruines de châteaux sont accrochés au loin sur les hauteurs au milieu des arbres, avant-goût défraîchi du Haut-Koenigsbourg. En bifurquant à Saint-Hyppolyte sur la D1bis1 le ton est donné, l’ambiguïté n’est plus permise, je me dirige vers le Haut-Koenigsbourg. La pente, ainsi que le château trapu visible droit devant sur sa butte, le confirment. En haut, je découvre un vaste panorama s’ouvrant sur la vallée où je vais descendre pour poursuivre mon chemin sur la route des vins.
Dans la vallée je traverse des villages viticoles, passe sous les tours des anciennes portes fortifiées. Les vieilles pierres sont agréables, les passages pavés parfois moins. À mi-étape, je me ravitaille dans la petite supérette de Dambach-la-Ville ; en solide surtout, le fruit du travail des vignerons attendra. En obliquant sur la D854 à Barr, la route ne s’élève pas tout de suite, puis s’y met largement avant la sortie de la ville qui se fait attendre, en direction du Mont Sainte-Odile. Même si le sommet se trouve plus haut d’une centaine de mètres, la montée me paraît moins fastidieuse que pour atteindre le château du Haut-Koenigsbourg.
J’attaque la dernière étape comportant un relief notable, mais pas tout de suite, pour l’instant ça commence par du plat. Ce sera pour plus tard, pour le final vers le Haut Barr. En attendant la route est tranquille. Après la circulation dense de Rosheim en tout début d’après-midi, je goûte au calme plat de la voie verte sur une vingtaine de kilomètres pour me rapprocher de Saverne avant de commencer à grimper. Arrivé aux ruines du Haut-Barr dissimulées parmi les rochers, je n’ai plus qu’à me laisser glisser dans la descente pour repasser par Saverne. C’est en fait le pointage alternatif autorisé à la place du Haut-Barr… mais ça serait dommage de ne pas avoir à grimper une fois de plus sur les hauteurs, non ?
En repartant de Saverne, la première moitié d’étape est faiblement vallonnée, puis une grimpette se présente pour s’extraire de Rothbach… Les villages suivants auront presque tous cette particularité. Il n’y a plus vraiment de relief, mais ça n’empêche pas quelques bosses ! Passé Niederbronn-les-Bains, les reliefs montagneux tout proches se sont resserrés autour de la forêt comme j’arrive près du pointage d’Obersteinbach, via le Col du Langthal… invisible par l’absence de panneau comme l’absence d’ascension. Je me trouve le plus au nord de ce circuit, à 1km à vol d’oiseau de l’Allemagne.
Le chemin se fait légèrement gondolé en passant par le dernier col de ce parcours, le douzième quand même, celui du Pfaffenschlick – plus difficile à prononcer qu’à franchir ! – dans la pénombre naissante, puis la route devient progressivement plate aux abords d’Haguenau. J’aborde 200km faciles qui me mèneront jusqu’au sud de Mulhouse, à Kembs. Repos bien mérité après un début où il a fallu bien grimper (4000m de dénivelé rien que pour les 200 premiers kilomètres, 6700m jusqu’ici). J’ai réussi à refaire une bonne partie de mon retard en ayant quitté le Lac-Blanc au matin, mais le temps que je l’atteigne, il sera trop tard pour pointer à Strasbourg. Je m’improvise donc une pause nocturne à Brumath, en attendant le petit matin. C’est reparti en fin de nuit, 1h de route pour arriver dans la capitale alsacienne que j’aborde au petit jour.
Après y avoir pointé, je repars de Strasbourg par la voie verte qui longe le Canal du Rhône au Rhin, tracé absolument plat comme prévu. Le soleil est encore bas sur l’horizon. Le calme et la fraîcheur matinale sont très agréables. Je quitte la piste cyclable le temps de faire une petite visite à Diebolsheim – dernier pointage du Bas-Rhin – puis je rejoins à nouveau la voie verte toujours cap au sud.
À mesure que je m’approche de Colmar, la montagne se fait de plus en plus distincte, se détachant en une longue bande de dentelle bleu gris tendue sur l’horizon. Simple épouvantail, puisque je ferais demi-tour avant de l’atteindre. La circulation en ville est dense en toute fin de matinée. Colmar ne me donne pas envie de m’y attarder. Trop de bruit, trop de circulation après une matinée passée au calme de la voie verte.
L’étape est aussi courte que plate pour rejoindre Neuf-Brisach, petite cité Vauban enserrée dans ses fortifications octogonales, et articulée autour de sa Place d’Armes. Différence d’ambiance avec Colmar que j’ai quittée il y a une heure.
C’est reparti plein sud. Première moitié d’étape plate malgré les montagnes qui se font remarquer… mais du côté allemand. Avec la patience du temps et des époques écoulés, le Rhin a nivelé le terrain de ce côté-ci de la frontière. Puis la route redevient joueuse après Kembs et voici le retour des courtes grimpettes pour traverser les villages à partir de Brinckheim et surtout Kappelen. D’autres bosses s’enchaînent pour faire prendre progressivement de l’altitude. En fin d’étape, la montée est continue depuis Bouxwiller pour atteindre Ferrette.
J’aurais pu repartir pour les deux derniers pointages du Territoire de Belfort par une route plus directe, Mais je préfère traverser Ferrette en passant par les hauteurs. Grimper un peu plus, un peu moins, je ne suis plus à ça près ! L’étape est vallonnée en semblant suivre les crêtes. Par moments le paysage prend un petit air de campagne suisse, il faut dire que la frontière est à deux pas. Après Moos, une belle cuvelle m’attend pour franchir la Largue blottie au creux de son lit. Rien de très méchant, c’est la dernière vraie ondulation de la route sur ce circuit. Réchésy n’est plus très loin.
De Réchésy à Delle l’étape est courte et globalement en descente, c’est l’altitude qui le dit. Une dizaine de kilomètres à peine, vite avalée, et l’après-midi touche à sa fin. Entretemps, je m’arrête un instant à Florimont, pour y lire la légende du moulin – très connue paraît-il dans le sud du Belfortain – que je vous résume ici très grossièrement. Un châtelain découvrant une magnifique petite cascade décida d’y construire le plus parfait des moulins. Son épouse tenta de le faire renoncer à son projet, en vain… et pour cause, elle avait l’habitude de s’y réunir avec d’autres pour célébrer la sorcellerie. Finissant par être découverte elle fut bien entendu exécutée, mais il lui arrive toujours, dit-on, de revenir hanter les lieux. Bon, c’est pas tout ça, mais comme le jour baisse il vaut mieux que je reparte !
Reste à rejoindre Belfort en début de soirée, 15km à peine, la route est facile et la boucle est bouclée. Si vous n’y avez pas pointé au départ, c’est le moment de le faire… Fin de l’aventure, reste le retour en train, presque aussi calamiteux qu’à l’aller, mais c’est une autre histoire !
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Le parcours Openrunner N°15178393 réalisé : 665 km
La feuille de route détaillée
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