Kilomètres réalisés : 3100
Provinces BPF validées : 5
Départements BCN validés : 9
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Le week-end du 14 juillet me voilà en selle pour la répétition générale de mon Tour de France. Un truc qui suit vaguement le contour du pays, sans avoir affaire au grand carnaval, au bal des hypocrites, et à la gloire de la chimie moderne. Bref un truc de passionnés, sans médias, ni tricheur, ni spectateur. Bref, pour l’instant ce ne sera qu’un simple galop d’essai pour tester sur deux jours et deux nuits le matériel : la tente et le couchage tous deux sur mon dos, un petit boîtier magique qui à l’aide du moyeu dynamo rechargera téléphone batterie d’appareil photo et piles de la frontale ; pour tout ce qui demande de l’électricité en autonomie… sauf bien entendu pour les cartes routières ! Ce sera le test du bonhomme également. Pas pour la distance, mais au contraire pour me forcer à m’arrêter, sans que mes genoux ne se transforment en pastèques pendant la nuit. Pour cela, j’essaierai un nouvel anti-inflammatoire. Seul l’essai du cuissard n’est plus au programme. J’étais bien tenté par l’épaisseur et la densité du fond des nouveaux Louison Bobet, mais faute de budget, je partirai avec mes vieux Assos série 5 un peu avachis… Il faut parfois faire des sacrifices.
Jeudi 13 juillet 2017, direction gare Montparnasse après le travail pour prendre le dernier tortillard qui va au Mans. Comme j’ai de l’ambition, je ne vais pas tourner autour 24h mais une quarantaine ! La gare est bondée de parisiens traînant leur vie sur roulettes bedonnantes, de bobos à sacs à dos, et au milieu, jour de chance : mes arceaux de tente rouge vif accrochés au cadre du vélo ne sont pas pris pour un lance-roquettes par les intellectuels du plan Vigipirate. Je pends mon vélo comme un jambon à une poutre de chalet montagnard, et le train part pour sa livraison d’âmes à chacun des onze arrêts. Dans le verre des immeubles se reflète la fin du jour incendiée. Les journées raccourcissent déjà, la vague du temps s’en retourne doucement d’un domaine de clarté à celui de la nuit. Six mois de marée pour en contenir combien de 6h ? Pas envie de calculer. Pas ce soir. Les tronçons de bitume qui nous accompagnent de-ci de-là sont gorgés des derniers pleurs du ciel.
À part quelques gouttes, normalement mon tour en Sarthe et Mayenne devrait être sec. En tout cas, pas de déluge promis pas la météo… Notre convoi égrène les gares et ses passagers tandis que la pénombre semble s’assécher. La Lune ne semble pas décidée à apparaître par les vitres du wagon qui ne me renvoient que mon reflet fatigué. Après une éternité noire et mélancolique, le terminus me recrache au bord de minuit.
Le centre-ville du Mans est noir de monde. Une véritable marée humaine gorge les rues de têtes de pas et de bruits. Malgré la foule et les quais que je ne peux pas suivre, en un quart d’heure j’arrive à m’extraire de la grande ville, à l’instinct, sans me perdre. Sur le chemin de Ballon, je m’arrête dans les bois pour monter le camp. Je m’éloigne de la route pour plus de prudence, question de camouflage, bien que la tente soit de couleur gris marronnasse. Les résineux offrent de petites clairières suffisantes pour y dresser la tente sur un matelas de fougères. Je me passerai donc du mien, gonflable. Une fois installé, la musique se fait entendre… et oui, nous sommes bien le 14 juillet, ou peut-être les dernières minutes du 13 ! Il faut faire avec. Une bestiole émet des « tsig, tsig, tsig, tsig, tsig » de métronome sous la toile du sol, et tient un tempo agaçant revenant bien rythmé toutes les trente secondes… beaucoup plus énervant que la fête du village voisin et le passage des voitures. J’ai l’impression de m’être assoupi juste un instant quand le réveil sonne. Le lit de fougères est finalement assez confortable pour quelques heures de sommeil, mais sans doute trop léger pour y rester plus longtemps.
La fin de nuit est claire et fraîche. La Lune se devine maintenant entre les grands arbres. Plus de musique, plus de bêtes, rien que le silence et mes mouvements dans le sous-bois. Le camp est replié en vingt minutes. Je fais tranquillement ma douzaine de kilomètres restants pour rejoindre
Ballon.
Jour de fête au matin, le village est complètement endormi et le jour pas pressé de se lever. Je laisse le château dans la lumière naissante et repars à l’entrée du village faire ma photo de pointage. En retraversant le centre-ville, l’aube imprègne déjà les murs de lumière.
À Lucé-sous-Ballon je suis le petit panneau de bois indiquant le Circuit des Deux Amants… Tout un programme ! Plus tard je passe par les Petits Bois Fades… tellement petits et fades que je ne les voie même pas ! Les lieux-dits se suivent, toujours aussi enchanteurs : Le Cimetière,
Mortefontaine… Les noms ne sont pas très positifs par ici. Quelques rochers font leur apparition au travers de la végétation. J’arrive dans les Alpes Mancelles. La Vallée de la Misère n’est pas loin… Décidément !
Saint-Léonard-de-Bois s’éveille doucement, la boulangerie est encore seule ouverte. Je ressors avec un délicieux sablé et mon carton violet tamponné.
En repartant, une surprise m’attend dans le bas-côté, et soudain une vache se met à courir devant moi ! Je laisse quelques mètres de distance sait-on jamais. Mon escorte n’est pas bien rapide, et un demi-kilomètre plus loin elle tourne dans un chemin de ferme : de retour au bercail sans doute. Un cyclo local me rattrape. Je lui explique faire le tour de la Sarthe et la Mayenne en deux jours…
et le principe des plus de cinq cents pointages du Brevet des Provinces Françaises, il trouve l’idée délirante ! Il y a des moments où je le comprends… De Saint-Pierre-des-nids au
Pré-en-Pail la route ne finit pas de s’élever pour redescendre au dernier kilomètre. Pour le pointage, je n’oublie pas de changer de carton, étant passé de la Sarthe à la Mayenne.
Le ciel gris depuis l’aube, devient de plus en plus menaçant, avec presque un air d’orage qui se prépare en montagne. Pour l’instant le vent ne se lève pas, se contentant de rester tel quel : léger, contraire et agaçant. Je repars du Pré-en-Pail pour une étape aux petites bosses faciles, et l’approche de Saint-Fraimbault de Lassay offre une belle grimpette.
Le centre-ville de
Lassay-les-Châteaux est bouclé par les festivités locales. Je n’avais pas prévu ce genre de détail. Je renonce à me frayer un passage avec mes cales instables dans la foule compacte. Je connais le village… Alors ce sera sans doute pour dans deux ans ; au prochain Paris-Brest-Paris.
Le ciel offre quelques éclaircies puis se rebouche aussitôt. L’étape est faiblement vallonnée, agréable malgré le vent, avec une belle descente en direction de Marcillé-la-Ville. En arrivant sur Grazay,
trône au milieu de la prairie et des vaches le Château de la Cour avec son étonnante galerie de bois à l’étage, formant comme un balcon.
Jublains n’est plus qu’à quelques kilomètres pour le prochain pointage.
Le chemin est truffé de lieux-dits, et l’étalage des nuées de noms sur les panneaux ne semble pas aider à grand-chose quand une bonne vingtaine se trouve noyée dans l’inventaire. Après une douzaine de kilomètres, et je traverse Mayenne avec des airs de vieilles connaissances. Combien de fois y suis-je déjà passé à moto ou side-car, sans oublier une fois de plus les Paris-Brest-Paris ?
Toujours cette même vue en traversant le pont, le Presbytère Notre-Dame fièrement dressé sur l’autre rive, et cette longue montée en ligne droite passant au travers de la ville. À vélo ce n’est pas pareil, mais même sans moteur la remontée est tranquille. Je m’arrête cueillir quelques petites prunes pendues aux branches perchées au-dessus du trottoir. Beaucoup sont déjà à terre sans être tout à fait mûres.
Tant mieux, le petit goût acide me changeant du sucré me fait le plus grand bien. J’arrive à
Ernée en début d’après-midi. Le centre-ville est mort, jour de fête oblige, c’en est même étonnant, vu le nombre de commerces et la grosseur de la ville. Seuls les drapeaux tricolores s’agitent au dehors dans le gris – toujours heureusement sans pluie – mais je sens la limite fragile. À court de liquide, je profite d’un distributeur et un ticket de carte bleue fera l’affaire.
L’étape est peu vallonnée. En changeant de direction j’espère avoir le vent dans le dos, mais je ne sens pas vraiment la différence. La température d’une vingtaine de degrés en paraît facilement cinq de moins avec la force du souffle. Deux kilomètres à peine et le bonhomme – qui n’a pas roulé depuis un mois et demi – commence déjà à fatiguer…
et dire qu’il en reste trois cent cinquante ! Le monument proposant l’eau de source de Port-Brillet semble à sec depuis bien longtemps. Heureusement je ne comptais pas dessus pour le ravitaillement, et trouve mon bonheur au cimetière de Loiron. Les bosses sont courtes et faciles, je commence à les trouver plus agréables. Le soleil apparaît enfin, par petites touches timides, avec toujours ce vent et cette sensation de fraîcheur trompeuse. Dans les champs la moisson prend par endroits une teinte dorée incroyable, bien que le soir soit encore loin, à aller chercher droit devant sur la route.
Ménil comme d’autres villages, à lui aussi été gagné par une torpeur de jour de fête. Je ne m’attarde pas, dans l’espoir de pouvoir pointer en fin de journée à Sainte-Suzanne… Ce qui me permettrait surtout d’avoir une marge plus confortable sur le train du retour, demain en fin d’après-midi. Mais tout ça à condition de trouver là-bas quelque chose d’ouvert, et de ne pas traîner en route !
En repartant, je rince soigneusement et rempli un bidon d’eau claire au cimetière de Saint-Michel-de-Feins… Vous comprendrez un peu plus tard l’importance de ce détail ! En attendant, sur cette étape les bosses deviennent progressivement plus longues et plus incisives, mais je ne veux pas trop ralentir. En sortie de Grez-en-bouère passe bruyamment un TGV, puis un autre en sens inverse, fuyants d’ici tellement plus vite et plus facilement que moi. Je suis envahi d’un long moment de solitude. Il faut parfois peu de chose pour détraquer l’esprit d’une grande randonnée à vélo.
En passant par Saint-Denis du Maine, un château m’accueille au détour d’un virage, irréel comme dans un conte, comme bâti de carton-pâte, gardé en face par un portail surmonté de deux têtes de pierres chevalines.
Sainte-Suzanne se montre enfin, sa cité médiévale juchée sur les hauteurs. Je ne suis pas à une butte près. En haut, j’espère y trouver un peu de vie. Et il y en a : des touristes et des commerces.
Je peux pointer et siroter tranquillement mon Perrier menthe avant de trouver un coin où planter ma tente pour une deuxième nuit de test.
À quelques kilomètres, je trouve facilement un emplacement isolé de la route et des chemins forestiers dans le Bois de l’Essart. Le campement est vite monté, et le vélo mis dans la tente. La nuit étant tombée, c’est là qu’intervient mon bidon remplit à l’eau claire. Comme je devais me dépêcher pour arriver à Sainte-Suzanne, je n’avais pas le temps de faire un arrêt décrassage aux toilettes publiques en cours de route… D’ailleurs je n’en ai pas vu. Donc en étant prévoyant, avec une dosette de savon liquide et mon bidon, j’ai fait une toilette complète d’homme des bois. Si, si, et il ne manquait que le shampoing ! En décembre j’aurais sans doute hésité à me laver nu dans les bois, mais je n’allais tout de même pas me coucher avec le poids et la senteur de 300km de sueur ! La nuit s’annonce calme, malgré un peu de circulation. Pas d’insecte agaçant, pas de feu d’artifice, pas de fête ni de musique… Rien, à part le bramement d’une grosse bestiole, mais le bois est bien assez grand pour qu’on y tienne à deux, non ? Le sol est encore assez moelleux pour que je ne gonfle pas mon matelas, mais je rentre tout de même en milieu de nuit dans mon sac de couchage tellement mince qu’il tient davantage du sac-poubelle, mais qui me tient bien chaud. Avant l’aube je replie le camp et reprends la route.
La fin de nuit est fraîche : 10°C. Je comprends mieux mon besoin de m’enfiler dans mon sac à viande ! Mes tours de roues sont paisibles dans la pénombre, puis j’approche d’un souffle bruyant et d’une ligne colorée, oasis proche mais inatteignable d’une aire d’autoroute. À vrai dire, j’aurais bien pris un bon café ! Des camions en grosses chenilles multicolores tranchent le noir avec furie. En passant le pont au-dessus de cette frontière, je retourne au calme nocturne. Je m’arrête à Thorigné-en-Charnie pour trouver un peu de réconfort, adossé à la porte du transformateur EDF, pour profiter de son doux ronronnement à la chaleur relative.
Le clair de lune est là… Pas trop clair. Il y a juste quelques étoiles dans le ciel, pourtant bien dégagé. La pollution lumineuse semble incroyable par ici, bien que tous les villages soient plongés dans le noir. Je roule tranquillement, pour ne pas arriver à
Solesmes avant le lever du jour.
L’Abbaye Saint-Pierre trône majestueusement sur les hauteurs des bords de la Sarthe. Le village est endormi, se remettant de son quatorze juillet. Je le laisse profiter paresseusement de son samedi matin en poursuivant ma route. Je passe par Parcé-sur-Sarthe où je trouve un Christ sur sa croix, protégé d’un haut abri de pierre comme gardant l’entrée du bourg dans sa curieuse guérite. L’étape est courte et
Malicorne-sur-Sarthe se présente bientôt.
Le soleil maintenant levé bien droit devant moi est assez désagréable, j’ai ses rayons plein les yeux. Les passages ombragés en forêt sont les bienvenus, et l’odeur des pins coupés est délicieuse. La série de toboggans présente depuis
mon départ de Sainte-Suzanne – en fin de nuit – commence à être usante à cause de mon manque d’entraînement. J’arrive à
Poncé-sur-le-Loir en toute fin de matinée, pointe et prends une langue de chat à la boulangerie – en fait une sorte de pain aux raisins qui n’aurait pas été enroulé – puis pars en face, aux toilettes publiques, faire une toilette… De chat également. Et puis un peu plus… Le décrassage complet me fait du bien. Le temps pris n’est pas perdu, quand il est bon pour le moral !
En repartant, je longe une petite ligne SNCF comme il y en a tant : dévorée par l’herbe folle, témoignant d’un autre temps et d’une autre logique. Le plein soleil commence à taper fort. Malgré la crème solaire je rougis de partout. Tant que je roule je ne sens pas la morsure, mais les arrêts la réveillent. Tant pis, il faut faire avec pour encore quelques heures. Les bosses sont encore longues et peu prononcées, cachant des nez de côtes que j’ai l’espoir naïf de voir à chaque fois plus prononcés, mais au tracé finalement trop plat pour que je puisse en profiter pour récupérer ! Le village de
Montmirail est assorti aux vieilles pierres du village endormies sous le soleil.
Mes deux cartons de pointages sont maintenant remplis, mais une dernière étape m’attend, pour regagner Le Mans et y prendre mon train de retour sur Paris. Un tracé pas forcément plaisant, mais difficile d’échapper complètement aux grands axes. De Vouvray-sur-Huisne à Montfort-le-Gesnois j’emprunte une dizaine de kilomètres de la passante D323 – en fait l’ancienne N23 si mon souvenir est bon – à l’abri de la petite bande d’asphalte du bas-côté. Je fais ensuite une petite boucle par les chemins de traverse pour éviter le nœud des grands axes, puis reprends la grande route à Yvré-l’Évêque, à deux pas du Mans. Une fois en ville, je ne sais pas comment je me débrouille, mais je rate la gare… en principe tout droit devant. Je commence à deviner mon erreur puis change de route. En rencontrant un piéton, je lui demande le chemin… j’étais finalement sur la bonne route, des panneaux me l’indiqueront bientôt !
J’ai maintenant près de deux heures à patienter avant l’arrivée de mon train. Mes choix de couchage (même si je n’ai pas testé le matelas gonflable, mais ce sera forcément mieux avec), de tente légère (malgré la condensation), d’autonomie électrique (avec éclairage et rechargement téléphone + appareil photo + piles frontale), et de chargement accessoire léger dans le sac à dos pour éviter les sacoches ; sont validés… Mais il ne faut jamais oublier : en randonnée à vélo ou à pieds, tout ce qu’on emporte en trop est autant de boulets qu’il faudra ensuite traîner !
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