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Après le Paris-Brest-Paris, quoi de mieux qu’un petit tour en montagne pour capitaliser les efforts de cette « promenade » de 1200km ? Après la Bretagne, la montagne donc, que je n’ai pas revue depuis mon tour du Dauphiné de l’année dernière, une très belle balade itinérante de 1100km, tranquille, à laquelle je vous conseille de jeter un œil…
Quand on parle vélo et Vaucluse – ou pour les moins dégourdis en géographie : vélo et (Géant de) Provence – ce qui vient tout de suite à l’esprit comme association d’idées c’est bien le Ventoux, sommet mythique s’il en est, faisant fantasmer le cyclo bien au-delà de nos frontières. Un mythe que je ne m’explique pas totalement, mais je suis un grand naïf, et à mes heures de mauvaise foi, aussi un emmerdeur. Il y a plus haut, il y a plus beau, il y a plus long, il y a plus dur, il y a, il y a, il y a même d’autres sommets sur le Tour de France, théâtres d’âpres batailles. Alors ? Reste la calvitie légendaire du mont chauve battu par les vents, et là, c’est autre chose, difficile de rivaliser. Mais bon, pas forcément de quoi en faire tout un plat… Et puis il y a une injustice, bordel, c’est seulement un site avec une tour assez moche et une antenne plantée dessus. Même pas un col. Le vrai col dans cette histoire, c’est le Col des Tempêtes. Pauvre col à qui on a volé la vedette et dont tout le monde passe devant en s’en foutant royalement. Et moi, les injustices, je n’aime pas ça… Bref, je vais me faire ce tour du Vaucluse en tournant autour, autour du Ventoux bien sûr, qui restera visible sur quasiment tout le parcours, et que je vais quand même gravir, parce qu’on ne pas passer son temps juste à tourner autour du pot !
Le Ventoux sera donc la vedette de ces BCN / BPF, mais avec plus de 4000m de dénivelé pour 250km, le circuit que je vous propose vous fera passer pas d’autres sommets (officiellement reconnus par le Club des 100 cols), mais pas de panique, certains sont très modestes :
- le Col des Trois Termes
- le Col de la Liguière
- le Col des Tempêtes (dans les deux sens, na !)
- le Col Notre-Dame des Abeilles
- le Col des Aires
- le Col de Veaux
- le Pas du Voltigeur
Sympa, non ? Alors c’est parti ! Rentré du travail à 21h passées, forcément, pas le temps de réembarquer le vélo sur Paris, de l’emballer et de prendre un TGV. Le jour suivant, un mercredi de mi-septembre à l’aube, le vélo momifié dans son bout de bâche, j’attends d’embarquer pour Orange, point de chute pour commencer – et finir – ces BCN / BPF du Vaucluse, pardon, du Comtat Venaissin, ça fait plus chic. Arrivé sur place après 11h, forcément, je ne pourrai pas boucler ce parcours en une demi-journée. Je serai au Sommet du Ventoux au soir, à attendre le lever du jour pour y pointer avant d’en redescendre… et de terminer la boucle tranquillement le lendemain. Le quai s’affiche et un type de la SNCF m’interpelle : « attention à votre housse, elle n’est pas réglementaire, les contrôleurs peuvent vous empêcher d’embarquer ». Il y avait longtemps ! Nous couper de plus en plus de destinations pour les vélos n’est pas encore suffisant, il faudrait en plus que je me balade avec sur le dos une housse bien conforme pendant toute la randonnée. Pourquoi cela semble si difficile à comprendre, à chaque fois, qu’un cycliste n’a pas forcément de point de chute, peut faire son aller-retour le jour même ou le lendemain et avoir à bouffer du kilomètre sans s’encombrer d’une putain de housse lourde, encombrante et surtout « réglementaire ». Réglementaire ; de quoi ça a l’air d’abord, je ne sais pas, le mec n’a pas été foutu de me le dire. Je comprends très bien qu’on me demande de protéger le wagon et les autres passagers d’une chaîne qui pourrait être pleine de cambouis, par contre je ne comprends pas qu’on puisse toujours chercher à emmerder le monde gratuitement. Le voyage en train comme parfois semble interminable. Plus de 3h. 3h20 pour être exact, mais un bon bout de chemin quand même, on ne peut pas tout avoir. Après Montélimard, la montagne se précise le long des rails. D’un côté nous longeons la roche blanche arasée, verticale ; et le Rhône de l’autre, calme comme un grand lac. Bâche repliée, le vélo est remonté en un quart d’heure après avoir échoué à la gare d’Orange. Gare très laide. Apparemment des travaux ont commencé, en espérant qu’elle soit plus accueillante par la suite.
Départ sous un petit vent, et un soleil pas trop chaud, filtrant à travers quelques nuages diaphanes. Très vite, sorti de la ville, la montagne est là. Ondulation bleutée droit devant, promesse de Ventoux pour ce soir. Le Mont Chauve semble encore caché, je ne distingue pas son antenne. Patience, j’ai trois pointages à réaliser avant de m’attaquer à lui. Après m’être extrait facilement d’Orange et de son urbanisation, c’est le calme plat. Plat à tout point de vue sur la voie verte de Jonquières à Sarrians, voie où des trains circulaient jadis. De grosses chicanes en bois ont remplacé les passages à niveaux d’antan, j’imagine. Goulets d’étranglements contre-productifs, empêchant d’avoir une bonne vue transversale en approche, le temps de se contorsionner pour pouvoir passer. Pourquoi le cycliste est-il toujours le grand perdant des aménagements routiers ? Pourquoi tout semble fait – sous couvert de bonnes intentions – pour chercher à le freiner dans ses envies, à le décourager de prendre la route ? Pourquoi le vélo devrait-il être un simple outil de promenade et pas un véhicule à part entière ? Écologie, écolo-quoi ? Questions sans réponses ! Un pont enjambe l’Ouvèze. Le cours d’eau est complètement à sec, mauvais coucheur, son lit vide bien que le monstre endormi sous les graviers blancs soit capable d’inondations dantesques. Autour de moi, le décor ressemble à un grossier cliché de la Provence à touristes : vignobles généreux, oliviers aux feuilles argentées, soleil et montagnes bleues au loin. Les grappes sont violacées, certaines vignes en sont déjà eunuques. Ne manque pour l’instant que la lavande et le stéréotype sera complet ! En passant Sarrians, la montagne sur ma gauche se précise à travers le voile atmosphérique : langue de sommet jaune blanchâtre posé sur un vert profond. Le Ventoux est bien là qui m’attend… N’exagérons rien, il en voit tellement passer de vélos, et encore pas mal en septembre, alors un de plus un de moins ! En tout cas c’est bien lui que je vais contourner toute l’après-midi pour y grimper ce soir.
Pernes-les-Fontaines, premier contrôle de ce circuit après une étape toute plate. En m’arrêtant au panneau d’entrée de ville, un figuier déborde largement sur la route. D’un pourpre foncé presque bleu marine, les fruits sont petits et à peine ridés. J’en goûte un. Juteux. Le soleil a bien fait son œuvre, alors à mon tour je fais ma cueillette pour déguster en chemin, et en garder pour plus tard. En repartant, le terrain se fait tout de suite vallonné, puis en passant près de Vénasque – en obliquant sur la D177 – j’entre sur le territoire de la montagne à proprement parler, projetant ses parois rocheuses en bord de route. Je suis dans la montée du Col des Trois Termes. Dans les quelques passages à l’ombre, le bitume dégorge, encore humide des pluies de la veille. J’avais peur que toutes ne se soient pas évacuées aujourd’hui, mais la météo a tenu ses promesses. La fraîcheur des résurgences du sol tempère un peu les 30°C du plein soleil. Vers le sommet du col, le décor regagne en végétation, se fait moins minéral, moins caillouteux. Le Col des Trois Termes est court et facile, même si c’est le premier col que je grimpe depuis un an. Juste après mon arrivée, il est pris d’assaut par une colonie de cyclistes belges flanquée de leur énorme camion suiveur. Septembre déjà s’avance, et la montagne n’est pas encore désertée des flots de touristes – avec ou sans vélo – et le voisinage du Ventoux les attire toujours comme un aimant. La pathétique virée des gugusses pédalant en quête du mythique sommet du Géant de Provence n’a certainement rien à foutre – et en premier leur tour-opérateur – d’écologie ou de bilan carbone. Le seul qui les intéresse, de carbone, doit résider dans les fibres du cadre de leurs vélos ! Vive le tourisme de masse, avec comble du ridicule ce troupeau gavé de GPS comme s’il risquait la moindre éventualité de s’égarer, mais les réseaux sociaux avides méritent bien la primeur de leur avancée. Comme il en faut pour tous les goûts, je préfère être au calme et les laisse partir devant. Bon débarras ! Ensuite, pour la fin de cette étape, je n’ai plus qu’à me laisser glisser jusqu’à Gordes.
Le petit village de vieilles pierres est plein de touristes : à pied, en voiture, à vélo. La troupe de cyclos belges est installée à l’ombre en terrasse, parce que bon, l’effort ça épuise et ça donne soif ! Je ne les reverrai plus, tant mieux. Les vieux pavés ont le dos bombé de ceux qui ne s’en laissent pas conter. Les ruelles du bourg sont pentues et casse-gueule, surtout avec mes godasses et leurs cales plastiques aux semelles. Je titube jusqu’à une boutique pour faire tamponner mon carton, attendant que la commerçante ait fini de réassortir soigneusement son étal, façon sans doute de juger de la patience du client de passage. Puis elle daigne enfin répondre à mon bonjour avec cinq minutes de retard à l’allumage et un fort accent du Sud, se disant sans doute que j’ai celui du Parigot à couper au couteau. En redescendant du village en direction de Roussillon, je me retrouve face à Gordes que je viens de quitter, trônant en haut de sa butte. D’ici, la vision du bourg est plus sereine. On ne le dirait pas si grouillant de vie, si pollué de touristes. Depuis la montée du Col des trois Termes, j’avais perdu de vue le Ventoux, disparu du paysage même si on le voit de presque partout dans ce département du Vaucluse, et à l’approche de Roussillon le voilà qui réapparaît, toujours là même invisible, légende vivace, monstre du Loch Ness de Provence. L’étape est toute courte, toute plate, avalée vite fait sous le grand soleil. Moins de dix kilomètres entre les deux pointages – c’est le mystère du choix des sites de ces BCN / BPF – avec juste une descente en quittant Gordes pour aller cueillir Roussillon, en haut de sa butte lui aussi. Butte rougeoyante, pour ce petit village de l’ocre.
Après le pointage de Gordes et son amabilité toute relative, à Roussillon je retrouve ce qu’il semble être une coutume locale : faire poireauter le client de passage comme s’il était devenu l’homme invisible, en ayant l’air le plus débordé du monde mais en réalité ne faisant pas grand-chose. Après un certain temps, qui approche les cinq minutes chrono, on condescend à s’intéresser à votre personne… et à regret ! Jusqu’ici, la chaleur du sud se vérifie davantage dans l’air que dans les âmes. Et c’est reparti, cette fois en direction du Ventoux, pour de vrai. Fini de tourner autour du pot, quoi que, il faut déjà que je remonte jusqu’à Sault. Je chemine en plaine – et au milieu des vignes comme souvent sur ce circuit – jusqu’à Saint-Saturnin-lès-Apt où la route devient en faux plat, avant d’attaquer la montée du Col de la Liguière en sortie de village. L’ascension suit des pourcentages inégaux, sans pour autant permettre des moments de récupération. Les deux derniers kilomètres sont faciles, dans une montée globalement laborieuse. Sans doute à cause de l’envie de vouloir déjà être dans la descente jusqu’à Sault, pour pouvoir enfin en découdre avec le Ventoux alors que les heures de l’après-midi filent plus vite que j’avance ! Tout de suite dans la descente du col, flotte dans l’air, presque palpable, l’odeur puissante de la lavande. Les champs doivent y être pour quelque chose, et la petite distillerie de bric et de broc, sans doute aussi. La lumière commence à rosir le sommet chauve du Ventoux, puis la campagne autour de moi, et Sault est enfin là, après une descente en pente douce. Je longe seulement le bourg – je fais juste un saut par Sault ! – j’y passerai vraiment demain matin, en redescendant du Géant de Provence… En attendant, il faut maintenant y grimper ; vraiment. Le soir s’installe en un clin d’œil. La montée commence doucement, puis la route se cabre peu à peu. La nuit tombe vite derrière les sommets, laissant un horizon rose intense léchant les crêtes et leurs dentelles d’arbres noirs. Tout se passe rapidement alors que j’ai à peine commencé mon ascension. Ma solitude venteuse s’entoure de pénombre, seule la lune presque pleine m’accompagne. Les villages étalés sur la plaine s’illuminent dans mon dos. La civilisation est là, derrière, en pointillés orangés. Le bleu profond du ciel a déjà viré au marine. Pas de circulation, juste le chant des grillons, je suis bien. Au bord de la route, un panneau récapitule la montée en quelques chiffres. Rien d’effrayant, ce soir je m’en fiche. Ce versant semble plus doux à monter que lors de ma Super Randonnée de Haute Provence, par Malaucène. Il faut dire que j’avais alors plus de 400km dans les jambes, et aujourd’hui… 300 de moins ! Dans le bleu de plus en plus riche, définitivement foncé, dans cette noirceur pas totalement assumée par le clair de lune, j’assiste à la patiente éclosion des étoiles. Mon souffle se cale sur le va-et-vient des jambes qui tricotent sans forcer. Je sens ma cuisse encore fragile de sa défaillance – trois semaines plus tôt – sur le Paris-Brest-Paris. Rien ne presse. Même si je suis en retard sur mon avancée prévisionnelle, je n’aurais pas pu de toute façon pointer de nuit au sommet du Mont Ventoux. Je suis obligé d’attendre l’aube, règlement des BCN / BPF oblige… À 1200m d’altitude, le vent frais atténué par les arbres se met à souffler fort, le petit replat me fait du bien. À mi-chemin dans la montée, par les trouées dans la végétation, j’aperçois une grappe de villages blottis dans la plaine. Sault et quelques autres, qu’ils semblent si loin déjà. Une voiture belge en descente – la première que je croise – me klaxonne. Je coupe mon effort, m’arrête. Le conducteur m’indique qu’un peu plus haut ils viennent de rencontrer une troupe de cinq sangliers. Prudence. Je le remercie et repars avec la frontale allumée plein pot. En plus de mes deux torches, je ne devrais pas me faire surprendre. Finalement rien, à part un cerf de ferraille sur un belvédère. Bientôt de curieuses têtes d’épingles scintillent sous mes phares, dansent sur le bitume. Une multitude, des légions. Je suis intrigué. Des lucioles n’ont rien à faire au sol, alors je m’arrête. En fait ; d’innombrables araignées, minuscules, grises comme l’asphalte, se dandinent sur la route. Scénario digne d’un film d’horreur pour qui en a la phobie ! C’est peut-être pour brouter ces bestioles comme autant de friandises, que les sangliers déambulent cette nuit. Vers 1400m d’altitude, je ne peux pas profiter du long replat pour récupérer. Les rafales de vent sont trop puissantes, il faut continuer à pédaler sec. La transhumance des arachnides se poursuit en dépit de l’altitude et du souffle. Avec huit pattes, sans doute qu’on résiste mieux au vent ! J’avais prévu de m’arrêter pour passer la nuit peinard après Chalet-Reynard, dans l’abri de la fontaine de la Grave, mais je ne me vois pas passer la nuit au milieu de bestioles grouillantes me courant sur tout le corps. C’est un peu trop pour moi, je n’apprécie pas les araignées à ce point ; non, sûrement pas ! Puis le paysage se minéralise, sans doute plus assez accueillant pour les araignées, et les milliers d’yeux courant sur la route se dispersent. Le Ventoux rougeoie par son antenne. J’entends des clochettes en contrebas. Aussitôt des aboiements. Des patous veillent aux troupeaux. Je ne vois rien, mais sens les avertissements canins se rapprocher. Et la liberté de circulation, putains de clébards ! Vous croyez que les loups savent faire du vélo ! Les crocs ne sont pas loin, et dire que la Fontaine de la Grave est là, toute proche. Après avoir échappé aux araignées, je ne vais pas pouvoir m’y arrêter avec des chiens au cul ! Finalement, aucun ne remontera sur la route. Quelques centaines de mètres plus loin, mon point de chute apparaît dans le faisceau des torches. Rien qu’un timide clapotis à la fontaine. Rien qu’un filet d’eau pour se débarbouiller et remplir les bidons, mais c’est suffisant. Le silence est retombé sur la nuit, je peux faire escale à la Maison Cantonnière de la Grave. La pierre a conservé la chaleur de la journée. Même sans porte ni fenêtres, à l’intérieur il fait bon. Des pancartes détaillent la flore d’altitude, son adaptation au milieu. Je m’instruis à la lampe torche. Des gorets ont fait un feu de camp, étalé leurs saloperies, éclaté du verre au sol. Les endroits laissés à la libre disposition des voyageurs sont tellement rares et des connards se comportent ainsi… même pas pour squatter, pour occuper, pour marquer leur territoire ; mais juste par bêtise, juste pour salir, franchement ça me dépasse. Vingt-deux heures passées, je fais le ménage dans un recoin, écarte les tessons, et installe mon couchage sur la dalle de béton. Avant de dormir, je vais contempler le ciel. Le nez au vent, je m’imprègne du silence laissé par les patous. Les étoiles ne sont pas si nombreuses. Peut-être à cause du clair de lune, de la pollution lumineuse de la vallée qui apparaît maintenant remplie de lumière, comme une mer jaune orange, lointaine à mes pieds. Je retourne passer la nuit à l’écart du monde, en compagnie des chauves-souris jouant sous les planches de la toiture.
Cinq heures du matin, je finis mes figues de la veille, glanées à Pernes-les-Fontaines. Elles ont un peu souffert du voyage. L’air s’est à peine refroidi, un peu plus dehors, mais tout va bien. Je suis réveillé, les chauves-souris sont parties, et la Fontaine de la Grave gazouille tranquillement. Il est temps de reprendre l’ascension, de la terminer. Cinq kilomètres de sérénité. La montée depuis Sault est définitivement facile, comparée au souvenir que le départ de Malaucène m’a laissé aux genoux… Je suis en haut du Géant de Provence en fin de nuit. J’attends l’aube qui se dessine par petites touches, qui caresse les sommets, qui joue avec les lignes de dentelles brodées d’arbres des crêtes, qui projette le reflet des sommets en ombres chinoises dans les vallées. Et dire que le règlement des BCN / BPF interdit de pointer de nuit. Pour quoi faire ? Pourquoi se priver de tels moments ? Pour ne pas savoir qu’ils existent et s’interdire d’en jouir ! Long moment contemplatif… en faisant abstraction d’organisateurs bataves revenus dans le champ de ma conscience ; venus installer leur groupe électrogène, leur sono, leurs stands et tout le merdier nécessaire à leur grand cirque itinérant. Après la troupe belge d’hier, décidément je vais me farcir tout le Benelux sans-gêne en une sortie !
Une fois mes photos prises, je préfère fuir le ronronnement du groupe électrogène et la foire qui se prépare. Il en faut pour tous les goûts, mais ce n’est pas du mien. Avoir grimpé jusque-là pour ça, et merde… Je n’ai plus qu’à redescendre d’où je viens, jusqu’à Chalet-Reynard, puis à faire une boucle du côté de Flassan et repasser par Sault pour pointer à Brantes. C’est le petit matin et la Fontaine de la Grave s’est endormie. Plus rien ne coule, alors qu’il y a deux heures à peine elle chantait encore. En redescendant, je croise des palanquées de cyclistes du troupeau batave à divers degrés de fraîcheur. Il y a du monde ce matin, bien plus qu’hier. Beaucoup de monde pour un jeudi de mi-septembre ; qu’est-ce que ça doit être aux meilleures heures d’août ! La descente se poursuit jusqu’à Flassan, puis Villes-sur-Auzon. Une bonne descente, puisque je suis 400m plus bas qu’en partant de Sault. Il reste à peine quelques centaines de mètres d’altitude. Je vais regagner la ville à une vingtaine de kilomètres de là, en passant par le Col de Notre-Dame des Abeilles que je connais dans l’autre sens. Si vous souhaitez vous faciliter le parcours et court-circuiter ce col, vous avez la possibilité de passer par Monteux et les Gorges de la Nesque. Un décor plus joli et quelques kilomètres supplémentaires, mais avec 400m de dénivelé en moins… Ceci dit, la montagne on y vient pour grimper, non ? Après l’avoir quitté il y a une heure, revoilà le Ventoux au sommet de son mont chauve, droit devant, au loin. Long à approcher, à apprivoiser, mais si facile, si rapide à fuir. Malgré une fin plus facile, l’ascension de Notre-Dame des Abeilles n’est pas si tranquille, souvent à 8 % dans les huit premiers kilomètres. C’est qu’il y a plus de 600m de dénivelé à regagner. En redescendant du col, le panorama s’élargit sur la vallée avec vue sur Sault – au loin au fond de la cuvette – que je traverse cette fois pour de bon, après l’avoir frôlé hier. La route est redevenue plate, et après Aurel je fais une petite excursion en Drôme, puis revenu dans le Vaucluse j’attaque le Col des Aires, tout doux, avec ses 150m de dénivelé. Juste après, tout de suite dans la courte descente, apparaît le village de Brantes accroché à sa falaise.
Le centre du patelin est minuscule. J’en suis presque déjà ressorti à peine entré, sans m’en rendre compte, lancé dans la descente. En bas du lacet j’aperçois un bureau de Poste rural, vestige de service public à se demander comment il a pu subsister dans ce monde de rentabilité forcenée. Il est heureusement ouvert et j’ai la flemme de remonter vers le bourg. La dame qui tient les lieux est aux abords, dehors, s’apprêtant à rentrer. Je m’excuse de la déranger, lui demande si elle a un tampon avec le nom du village, comme souvent ils sont devenus illisibles, codés. Il y en a un qui traîne à l’intérieur, mais qui a fait son temps. Pas certain que la date aille jusqu’en 2019, mais on va voir ! Elle retrouve vite son antiquité, un bon assommoir en laiton. Le genre à s’imprimer directement sur la lettre sans le moindre effort, rien que par son propre poids. Pour le mettre au jour, elle déniche de son fatras un petit casier de bois comme jadis ceux des imprimeurs, et entreprend de changer à la pince à épiler mois et jour. Avec un peu de patience et fasciné par ces gestes d’antan, j’ai au bout du compte droit à un joli cachet bien marqué sur mon carton… à l’heure près, parce qu’on se fiche un peu de l’horaire sur les BCN / BPF, et parce qu’il ne faut pas trop abuser de la bonté des gens. Et puis il faut toujours penser à ceux qui passeront plus tard pour le même motif. Je la remercie sincèrement d’avoir pris du temps pour moi, pour la leçon de chose, et vais refaire le plein des bidons à la fontaine un peu plus loin, juste avant la sortie du village. Et c’est reparti. En sortie de Saint-Léger-du-Ventoux, une étrange horloge attend je ne sais quoi au bord de la route, hors du temps face aux sommets, face au Ventoux tout près, me montrant son autre versant cette fois. Si près, dans les cinq kilomètres à vol d’oiseau. Tout près, avant qu’il ne disparaisse dans mon dos. Puis j’arrive au Col de Veaux, via un nouveau court passage en Drôme. Dernière montée du parcours, rien d’insurmontable, mais aucun passage à l’ombre. Le Pas du Voltigeur n’est qu’une formalité avant Entrechaux, où début d’après-midi et beau soleil obligent, il fait plutôt…chaud ! Vaison-la-Romaine n’est plus très loin pour le dernier pointage.
Avant de passer par le centre-ville pour tamponner mon carton, je fais un détour par la cité médiévale… malheureusement en travaux. En face, les vieilles maisons semblent avoir été construites comme s’il y avait eu une urgence à s’installer en bord de rivière, comme si un enfant pressé avait été l’architecte de ces juxtapositions paraissant hasardeuses vu de loin. Du haut du pont romain, l’Ouvèze si débonnaire filet d’eau, baigne dans la caillasse. Comment imaginer les crues meurtrières d’il y a quasiment 27 ans jour pour jour ? Le tourisme a depuis longtemps repris ses droits, et le beau soleil égaie l’image de carte postale. Seul dans le mur au-dessus du vieux pont, un petit panneau en fonte indique le niveau torrentiel atteint en 1992. Dernière étape, plus rien à valider, plus rien à prouver, juste à rejoindre la gare d’Orange pour reprendre mon train vers Paris. Une petite trentaine de kilomètres de plat à travers le vignoble. Dans certaines parcelles, la récolte est en cours. Je m’arrête à Travaillan pour faire un décrassage total du bonhomme au robinet des toilettes publiques. Les premières que je croise. J’en profite, j’ai le temps. Le village semble désert ce jeudi après-midi. Mes fringues passent aussi au lavage avec le reste de mon bout de savon, et je renfile le tout ; trempé. Vu la trentaine de degrés, je serai sec avant d’être retourné à Orange, pourtant à dix kilomètres de là. Je termine dans une bonne sensation de fraîcheur, et au moins je n’empuantirai pas les autres voyageurs du train. Reste à remballer le vélo dans le bout de bâche qui a lui aussi vu le Ventoux, après l’avoir traîné sur mon dos toute la randonnée. Je rentre par un TGV duplex, comme à l’aller, en n’ayant toujours pas compris pourquoi les casiers pour bagages volumineux sont systématiquement situés en haut. Sans doute que le plus lourd et le plus encombrant est plus facile à monter d’un étage qu’à faire descendre de deux marches ! Une logique qui en vaut une autre, en tout cas c’est celle de la SNCF, pas la mienne….
Attention, sur ce parcours il n’y a pas trop d’endroits où trouver de l’eau, surtout sur la première moitié. Pas de cimetières, donc pas de robinets. Juste quelques fontaines… Qui peuvent d’ailleurs ne couler que par intermittence :
⇒ au croisement D930 / D943 en direction de Sault : petite fontaine à droite (si elle coule), et juste à côté un robinet au mur.
⇒ après Chalet-Reynard dans la montée du Ventoux : Fontaine de la Grave.
⇒ Aurel : fontaine en traversant le bourg.
⇒ Brantes : fontaine au pied de la descente, juste avant la sortie du village.
⇒ Saint-Léger-du-Ventoux : fontaine en traversant le bourg.
⇒ Travaillan : fontaine dans le centre du village, et toilettes publiques juste derrière dans la cour.
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Le parcours Openrunner N°10165359 réalisé : 250 km
La feuille de route détaillée
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