Départ en début d’après-midi, dans l’esprit des BRM de 400km. Le but est de vous forcer à rouler de nuit… Même si en roulant peinard, un bon petit roupillon peut se prévoir largement. 14h, une bonne averse de grêle tombe juste au moment du départ de mon groupe. La lumière est celle d’une fin de journée, la route est grise de billes pleuvant en ordre bien serré, bien piquantes. Mes pieds sont mouillés tout de suite, baignent au bout d’une minute à peine, tandis que l’averse se prolonge bientôt en forte pluie en roulant vers Poissy. Je regrette de ne pas avoir mis mes surchaussures dès le départ, malgré la fraîcheur ; de les avoir gardées avec les jambières pour la nuit. Trop tard. Mes pieds resteront trempés sur tout le parcours. Il y a beaucoup de circulation en ville, et sur les vingt-cinq premiers kilomètres. Protégés à l’abri de leurs bagnoles, les conducteurs font comme si de rien n’était, et ce n’est pas une dizaine de cyclistes qui va les ralentir. Je ne me sens pas trop en sécurité ; vivement les petites routes. La pluie cesse en sortie de Villers-Saint-Frédéric. Les nuages se déchirent de bleu. La route est encore détrempée mais le ciel, lui, est redevenu sec. Voilà en guise de p’tit bonheur, un grand coin d’azur et des voitures en moins. Première petite bosse en passant par Montfort-l’Amaury. Pas besoin de passer par le centre-ville et ses pavés. Toujours un peu de bleu, un petit vent, l’air frais, et le goudron qui commence à s’assécher. Une deuxième averse s’abat à l’approche de Condé-sur-Vesgre. Plus courte, à peine de grêlons, mais encore très froide. En quittant la région parisienne pour l’Eure-et-Loir, du ciel tombe des gouttes épaisses semblant hésiter entre grêlons et flocons de neige fondue. Elles rebondissent en s’écrasant au sol, chaque gros grain éclate, se fragmentant en petites particules. Je passe par Coulombs… Cela en ferait presque une injonction : coulons ; normal, avec toute cette flotte qui vient de tomber ! Après Nogent-le-Roi et son centre historique aux maisons médiévales à pans de bois, les nuages noirs droits devant débordent de coulées verticales anthracite. Je ne suis pas pressé d’aller à leur rencontre. Pas envie une fois encore de me jeter dans la gueule du loup, alors je flâne un peu en route, n’ose pas trop approcher, je recule l’échéance. Les nuages s’obstinent à rester dans ma direction, de plus en plus près, puis imperceptiblement s’écartent sur ma gauche. Quand je passe aux environs de Tremblay-les-Villages le bitume est saturé d’eau, preuve que j’ai bien fait de ne pas me presser ; mes chaussures restent pourtant toujours aussi trempées. J’essaie de retrouver l’usage de mes pieds gelés depuis le départ, totalement engourdis. Les godasses trop serrées, les chaussettes épaisses imbibées, le froid, l’humidité… Tout doit un peu jouer dans ce naufrage.
Au terme d’une étape qui m’a semblé à peine vallonnée, je pointe vers la fin d’après-midi à l’entrée de Châteauneuf-en-Thymerais. Après une tartelette aux abricots aussi délicieuse que joliment présentée, j’enlève ma semelle droite pour laisser plus de place au pied. Pourvu que le côté brut de la godasse ne crée pas d’échauffement… Je verrai bien si les choses s’améliorent, au moins dans un premier temps. En repartant, mon pied reprend vite vie. Par contraste, le gauche paraît maintenant tout engourdi alors qu’auparavant, il semblait en meilleur état que l’autre. Je tire des grands bouts droits et plats à travers champs, puis le terrain se gondole en longues montées pas bien méchantes. Rémalard, où j’ai pointé l’année dernière sur le BRM 300km de Bois-d’Arcy est un village qui s’étale entièrement sur un axe en descente… dans ce sens ! Se laisser glisser à travers le bourg désert en tout début de soirée est une pure gourmandise. Le panneau de La Vasie me fait sourire : bien sûr que j’y vais… mais tranquillement ! Plus loin, assis sur le vieux muret de l’église de Courthioust, je me prépare à affronter la nuit : habillé plus chaudement, jambières et surchaussures enfilées pour une route nocturne sans doute très fraîche… Surtout avec les pieds encore glacés et détrempés du déluge du départ. Pendant ma halte, le bruit de crécelle des roues libres d’une dizaine de cyclos troue le silence. Je pense être dans les derniers. Immédiatement en repartant, une sensation de bien-être enveloppe mes pieds maintenant à l’abri du froid et du vent… même s’ils restent trempés. L’église d’Eperrais, avec son clocher très effilé comme d’autres dans ce coin du Perche, est d’une majesté folle dans la lumière du soir entre chien et loup. L’avenir qui se teint au bout de la route, droit devant, est maintenant rougeoyant. Le soleil plus véloce que moi, pourtant dans la même direction, va bientôt gagner la partie me cédant à la nuit. J’arrive à La Gravelle au crépuscule. En cheminant vers Pervenchères, je croise venant de face tout un groupe de cyclos bien équipés pour la nuit, ceux du BRM 400 de Laval parti tôt le matin. Bientôt j’effectue la petite trentaine de kilomètres me séparant d’Alençon, en compagnie d’un petit groupe qui s’est constitué par agrégations successives. Dans la nuit sans lune, brillent par-delà les nuages juste quelques étoiles qui n’éclairent rien.
Je pointe sans trop m’attarder puis repars seul en direction de la Croix-de-Médavy, dans la forêt d’Écouves, qui m’avait laissé une étrange impression de malaise en y passant également de nuit pour rejoindre site BCN / BPF de Soligny-la-Trappe. Sensation hostile de forêt vide, sans aucuns bruits d’animaux, sans bruissements de feuillages, sans chants d’oiseaux, sans vie, sans rien. Je verrai bientôt si ça se confirme. En route, je me fais doubler par deux gars de Fleury-les-Aubrais qui font aussi un BRM 400. Et de trois, donc. C’est l’effet magique des années de Paris-Brest-Paris. Les ténèbres sont hantées par les acharnés de la pédale dans les environs. Arrivé à la Croix-de-Médavy après une dizaine de kilomètres en faux plats ascendants, les cyclos de la banlieue d’Orléans continuent tout droit et je vire à droite direction Sées. C’est là que je tombe sur le contrôle secret du Club d’Andrésy. Enfin secret est vite dit, car l’endroit se devine facilement sur une carte… vu le détour qu’on pourrait économiser sinon ! Les deux gars se sont fait un bon feu dans la cahute forestière pour lutter contre le froid, en attendant le passage des randonneurs. Je me colle un instant devant l’âtre. La chaleur arrive immédiatement à traverser mes cinq couches de vêtements et me fait le plus grand bien. Je prends un petit café histoire de marquer la pause et m’aider à tenir éveillé dans cette deuxième moitié de nuit. Puis c’est reparti direction Sées. L’impression de malaise laissée sur mes BCN / BPF normands se confirme : aucun bruit, aucune vie ne semble émerger de cette forêt, étrangement stérile en apparence… à moins que ses habitants ne soient d’une discrétion incroyable ! Il reste une petite quarantaine de participants derrière moi, je pensais être plus à la traîne que cela, finalement tout va bien. Après un milieu d’étape tranquillement vallonné, la route s’aplanit. En sortant de la forêt, comme lors de mon précédent passage, la cathédrale de Sées se devine sur la plaine obscure, émergeant à peine dans une silhouette brune. En traversant la ville, je passe devant l’édifice seulement éclairé par les lumières incidentes de la ville, alors qu’en face sur la grande place, la mairie ressort mieux de l’obscurité. Au cœur de la nuit il ne fait pas plus de 2°C ; pas beaucoup pour un mois de mai. Un panneau fantaisiste indiquant Courtomer par Aunou-sur-Orne me vaut un petit détour… ce qui me permet ensuite de rejoindre un groupe composite de trois plus deux cyclos qui s’écartent et se rapprochent au gré des petites bosses du terrain, avec moi au milieu. Nous cheminons une bonne partie de la nuit ensemble à passer par l’Aigle, Rugle, et jusqu’au pointage de Breteuil.
Le trio file devant, je m’arrête en compagnie des deux autres pour pointer avec le panneau d’entrée de ville en fin de nuit. Ils passent pas mal de temps à prendre leur photo, j’ai aussi des difficultés à obtenir la pancarte et le vélo visibles simultanément… du coup me revoilà seul. Une mauvaise interprétation de la feuille de route me fait hésiter dans le village, n’arrange rien, et les quelques gouttes ressenties en cours de nuit s’intensifient. Le crachin me suit jusqu’à Hellenvilliers. Le début d’étape est plat jusqu’à l’approche de La Couture-Boussey. L’aube se lève sur des nuages aux moutonnements gris rosé impressionnants. Les grosses grappes de barbe à papa semblent toutes proches, saisissables du bout des doigts, prêtes à être cueillies, en récompense pour ceux qui viennent de traverser la nuit. Il ne fait toujours pas bien chaud : 3°C. Bonnières-sur-Seine approche au gré de quelques petites bosses, puis en suivant les bords de Seine, c’est bientôt au tour de La Roche-Guyon pour le dernier pointage.
Le petit matin clair est redevenu une fois de plus bien gris quand je repars. Il reste quarante kilomètres. Un air de déjà-vu sur le BRM 300 d’avril dernier. Même dernière étape, même fin, mêmes belles montées en sortie de Vétheuil pour s’éloigner des bords de Seine, et pour fuir Meulan par « le Paradis ». Dernière averse dans les bois de l’Hautil. Hâte d’en finir, agacé par cette deuxième selle Berthoud qui m’a l’air aussi inconfortable que la première – celle qui m’a tant fait souffrir sur le Paris-Brest-Paris de 2015 – et agacé par cette traversée forestière où la route n’en finit pas d’être en faux plat montant. Contrariété irrationnelle avant l’arrivée sur Chanteloup-les-Vignes pour enfin me laisser glisser dans cette belle descente en zigzags… où ce n’est pas le moment de déraper sur le sol mouillé à quelques minutes de la fin. Et voilà un deuxième BRM 400 de validé, une semaine après celui bien humide aussi, de Fontaine-les-Grès.
le parcours ICI
le lien Openrunner LA