Jeudi 28 juin 2012. Ce matin, pour changer, il pleut sur Paris… D’ici ce soir et à plus de 400km de là, les choses seront sûrement différentes… Je l’espère. Je cogite, et comme d’habitude je doute. Je n’aime pas les départs de brevets le soir, et pourtant je m’y suis préparé cette année en partant l’après-midi pour mes flèches Paris-Bordeaux, Paris-Bellegarde et Paris-Brest. Je me suis aussi préparé au manque de sommeil en enchaînant deux nuits blanches à pédaler sur la plupart de mes flèches, mêmes longues comme le Paris-Hendaye. Je me suis également préparé à grimper comme sur la flèche Paris-Briançon ou sur la Super Randonnée de Haute Provence. Bref, on peut dire que je me suis un peu préparé pour ce 1000 qui a du dénivelé… et pourtant je stresse !
Affronter un 1000 n’est jamais une chose facile, et cette fois il me faudra gérer simultanément :
- la météo, avec des pluies et orages probables,
- le dénivelé, je suis un très médiocre grimpeur,
- les délais, à cause bien entendu du dénivelé,
- le manque de sommeil, avec trois nuits à gérer,
- le manque d’endroits, à des prix raisonnables pour trouver où dormir une heure ou deux, mais surtout espérer se doucher la troisième nuit vers Brantôme,
- sans compter des genoux encore plus capricieux que d’habitude cette saison. C’est bizarre, il pleut tout le temps !
Dans l’après-midi je vais prendre mon train pour Poitiers, puis Lusignan, et faire tranquillement la liaison vers Ménigoute… que nous referons – dix courageux sont prévus – dans l’autre sens pour le départ du brevet… Et que je referai une troisième fois pour retourner vers Paris…
Jeudi 28 juin en fin d’après-midi. Finalement, nous ne sommes que sept au départ. Même si ce n’est pas la foule des BRM de 200km comme à Noisiel, il y a autant de chances de voir une tête connue, et il y en a, entre gourmands du bitume. Yvan qui nous a préparé cette folie, n’est pas dans son assiette ; pas de départ pour lui, dommage !
20h, cinq fous à vélos droits et deux fous à vélos couchés s’élancent… enfin c’est vite dit ; vu la distance à affronter, le départ manque de tonus ! Le groupe se disperse dans les premiers mètres, et chose inhabituelle pour moi, je me retrouve devant… Qu’importe. Assez vite, je suis rejoint par Patrice qui en est à son premier 1000. Comme il ne connaît pas le parcours, n’a ni carte routière ni GPS, il se joint à moi. J’ai mes cartes, mes souvenirs de traîne-savates à moto et à vélo, les environs ne me sont pas inconnues, tout comme le massif central, et pour finir je n’ai pas peur de me perdre. Donc tout devrait bien aller… en principe ! Le normand part un peu vite à mon goût, et je dois freiner constamment ses ardeurs. Les premières bosses sont au rendez-vous entre les passages de plats. Dans les champs, le blé mûr, sec, presque blanc, donne une couleur irréelle à ce début de soirée. Les grillons saluent notre passage, nous aurons bien besoin d’encouragements. La nuit est chaude, le niveau des bidons descend vite. Nous sommes encore jeudi, plus pour très longtemps, et c’est déjà le premier pointage photo à Montmorillon.
La lune s’est bien vite cachée, la nuit est noire, seules les étoiles brillent. Je suis bien content d’avoir remis ma roue à moyeu dynamo que je n’avais pas pris depuis le dernier Paris-Brest-Paris. La première partie de l’étape est plate, puis c’est le retour des bosses. Les hérissons sont de sortie cette nuit, et il y en aura des spectateurs, piégés dans la lumière du phare ! Les WC publics de Le Dorat nous ravitaillent en liquide. Avant Châteauponsac, nous sommes accueillis par la première belle grimpette du parcours. La nuit se passe sans problème. Petit à petit, j’arrive à faire rentrer Patrice dans mon rythme plus tranquille. À quelques kilomètres de Pontarion, nous avons droit à quelques gouttes de crachin ; insignifiant.
En repartant de Pontarion avant l’aube, la circulation sur la D941 est calme. Le lever du jour s’accompagne d’un peu de brouillard. Nous rejoignons un autre participant, pour une pause-café à Aubusson. Dès la sortie de la ville, nous avons immédiatement droit au retour de sérieuses bosses. La température, à peine rafraîchie par la nuit, repart à la hausse. Le ciel est curieusement changeant d’une heure à l’autre, tantôt menaçant, tantôt bleu, tantôt bouché. Patrice commence à faiblir face aux toboggans interminables. Les rayons du soleil sont mordants. Sur l’ancienne N89, la circulation est dense. Patrice est lessivé… Nous atteignons péniblement, vendredi un peu avant midi, Rochefort-Montagne blottie au fond de sa cuvette… qu’il faudra bien remonter en repartant. Nous faisons une grande pause pointage, ravitaillement, repas, repos… Le tout en un du randonneur !
Après la pause, Patrice se sent un peu mieux, et me dit de ne pas l’attendre, de partir devant s’il est de nouveau défaillant face au col de Guéry. On verra, mais il aura sans doute le temps de revenir. De toute façon, j’ai prévu mes pauses photo aux sommets des cols, je suis tellement mauvais grimpeur que c’est un rituel quasi obligatoire, pour souffler quelques instants et garder un souvenir ! Pour l’affronter le col de Guéry, je ne cherche pas, d’entrée je mets mon (très) petit plateau et j’y vais doucement, mais sûrement. Après les premiers lacets, Patrice est de nouveau en déroute. Mauvais signe ! Je grimpe donc à mon rythme, on verra là-haut. Avec son long replat, ce col me fait penser à un mini Lautaret. Dans la fournaise, les passages abrités par l’ombre des résineux, sont les bienvenus. L’odeur de la sève chauffée par le soleil est un délice. Vers le sommet, un petit vent se lève et les nuages s’amoncellent. Le sommet du col de Guéry est pris d’assaut par les touristes, les cars, et les groupes scolaires. Dans cette agitation, je ne vois pas le panneau du col, tant pis pour ma photo. J’attends… Je m’attarde… Et toujours pas de Patrice en vue. Après un bon moment, je repars seul à l’assaut du col de la Croix Morand. Les nuages disparaissent, et le cagnard est de retour avec 36°C au thermomètre. Petite pause photo au sommet du col de la Croix Morand, et c’est reparti, pour enfin, une bonne descente ! Saint-Nectaire ne plaisante pas avec le fromage… pas plus qu’avec les dos d’ânes visiblement, qui ressemblent en fait à des dos d’éléphants. Après ce rodéo urbain, la montée proprement dite pour le col de Toutée commence dès Manglieu. Je suis pris d’un long moment de découragement – les jambes vont bien mais la tête cogite – face à ma vitesse ridicule, face au chemin restant encore à accomplir, face à la chaleur accablante et au goudron poisseux ventousant littéralement mes pneus au sol. Après la descente du col de Toutée, j’aborde avec fatalité la montée vers Saint-Amant-Roche-Savine pour enfin atteindre l’étape.
C’est la fin du vendredi après-midi. Je ne m’attarde pas trop, pour pouvoir bénéficier du jour au moins jusqu’à La Chaise-Dieu. Je me dis que si le Bon Dieu a placé sa chaise ici, elle doit sûrement être en hauteur, pour qu’il puisse observer tout à loisir ses créatures… ou pas. Face au trio que j’ai déjà franchi, le col des Fourches est une plaisanterie ; tant mieux. Petit détail cocasse mais peu ragoûtant : pendant mon arrêt photo au panneau du col, une voiture passe en trombe à grand renfort de klaxon, s’arrête en urgence peu après… pour que sa passagère descende vomir (si, si, regardez bien la photo) ! Sur cette étape de longs passages sont très roulants ; enfin. Mon moral remonte. Le long de la route, le nombre d’hôtels abandonnés est impressionnant. Le monde est-il devenu si pantouflard ? Avant Langeac, la bonne descente en ligne droite à 7 % est un vrai régal. La date a basculé de justesse au samedi matin, et je m’arrête pour dormir cinq minutes sur un banc sur les hauteurs, juste à l’entrée du village. Je n’oublie pas, en repartant, de faire ma photo de pointage de Langeac. Ça y est, la moitié est faite… dans le fond il n’y a plus qu’à rentrer !
En repartant, trouver Saint-Flour n’est pas bien difficile. La ville est indiquée tout de suite… à 55km de là. Dans trois villages, des chiens pas enfermés viennent me chercher des noises. Drôle de coutume pour les voyageurs nocturnes ! Je hurle plus fort qu’eux, sans demander mon reste, mais sans doute en réveillant la moitié des habitants ! Avec l’arrivée du jour, ce samedi matin s’annonce sportif. Au menu, la triade les cols de Serre, du Pas de Peyrol, et de Néronne. Étant un lamentable grimpeur, je m’y attaque humblement et tranquillement. Ici l’orgueil n’est pas de mise. La route est humide, il a dû pleuvoir dans la nuit, au moins j’y ai échappé. Le col de Serre est long – en y incluant le col d’Entremont – depuis Murat. Le plat de résistance est formé par la deuxième partie du Pas de Peyrol, depuis le col d’Eylac. Avec le pourcentage à deux chiffres, l’image du Ventoux me revient en mémoire… Et se rappelle au bon souvenir de mes genoux. Vers le sommet, des nuages noirs sortis d’on ne sait où, referment subitement leur piège, tels un couvercle sur une marmite géante. On n’y voit plus grand-chose ; Zeus ou Jupiter, je ne sais pas lequel des deux, possède un sacré humour ce matin ! Le froid est là, un brouillard à couper au couteau aussi. Je ne suis pas bien fier. Vais-je finir noyé, écrasé en étant invisible dans cette brume, ou simplement au fond d’un ravin ? Malgré la purée de pois, je suis étonné d’arriver à prendre une photo, un peu laiteuse mais sans plus, du sommet ! En perdant de l’altitude, les nuages s’éloignent vite et le soleil revient. Le col de Néronne ne fait prendre qu’environ 70m de dénivelé, et le sommet, plat, désespérément plat, se fait attendre, et n’apparaît que quand je ne m’y attends plus du tout. La matinée du samedi est déjà bien entamée et j’arrive à Salers pour pointer, me ravitailler, et avaler un bon café de rigueur.
Au vu de son profil, l’étape Salers – Meyssac paraît à première vue tranquille, mais en fait ce n’est qu’une série de toboggans interminables sans véritable perte de dénivelé, sauf à l’approche d’Argentat. Ensuite je retrouve une vieille amie, cette route fastidieuse d’Argentat à Meyssac que je connais déjà, mais qui m’enthousiasme toujours aussi peu. Je me revois très bien tourner à gauche dans cette montée atroce après des centaines de kilomètres à pédaler… Et la voilà, identique à mon souvenir ! Je pense que le col de la Jeanne doit se trouver là, juste après, mais je n’ai jamais vu le panneau. Mais pourquoi n’a-t-on donc jamais construit cette portion de route ridicule qui manque de Brivezac à La Garnie, au lieu d’avoir à faire tout ce long détour ingrat ?
Après pointage et ravitaillement à Meyssac, c’est reparti. Les environs déclenchent à nouveau des souvenirs, mais plus agréables ceux-là : Noailles où je tourne en rond sur une petite route prétendue D158, mais il doit y avoir plus court, et surtout la vue nocturne (même si je passe aujourd’hui de jour) sur une Brive-la-Gaillarde lointaine et illuminée, puis Saint-Pantaléon-de-Larche… Et je me fais piéger de la même façon à Noailles, comme prisonnier d’une fatalité, avant de trouver la D158. Il y a toujours des bosses sur cette étape, à part les 15km qui suivent Larche. Avec le vent contraire qui se lève, les montées prennent dans mon esprit l’allure de mini-cols. Le jour baissant, des orages silencieux zèbrent le ciel. Vers Saint-Pierre-de-Côle, le tonnerre se fait maintenant entendre. Cette nuit est spéciale, pas à cause de l’orage sec, pas à cause du passage de juin à juillet, mais à minuit il y aura une seconde de plus de samedi à dimanche, une seconde intercalaire. La plupart des gens ont passé cette minute exceptionnelle de 61 secondes à dormir… En y pensant, quel gâchis ! J’aurais droit à ma première petite pluie en arrivant sur Brantôme. Je ne sais pas si c’est à cause de la pluie ou de la nature du panneau, mais je n’arrive pas à faire une photo de pointage correcte, le résultat n’est pas terrible.
En repartant, les orages ont disparu, mais la pluie a gagné la partie. J’enfile mon affreux poncho rouge, en plus de mon imperméable, car j’en ai plus qu’assez de la pluie cette année, alors autant rester parfaitement au sec… Et c’est parti pour trois heures de flotte plus ou moins forte. C’est ma troisième nuit à rouler, le sommeil a assez attendu, il réclame son obole. Comme la D939 fait 60km jusqu’à Angoulême, j’y suis pour un moment, alors je m’accorderai plusieurs pauses de quelques minutes d’assoupissement. Dans la nuit cependant, un détail m’a échappé, il fallait passer par Torsac pour rejoindre Angoulême. Du coup je ne sais pas si je me suis raccourci ou rallongé la route, sur le plan c’est équivalent, mais cela explique pourquoi je n’ai rien reconnu du plan de la traversée d’Angoulême… car je ne suis pas du tout arrivé au bon endroit. En m’orientant à l’instinct, je parviens enfin à m’extirper d’Angoulême et des petites rues de sa banlieue triste. À quand le retour des routes plates ? En tout cas ce ne sera pas pour cette fois. La nuit se termine fraîche, et le petit matin est glacial. Tôt le dimanche matin, j’arrive à Aigre. À première vue, la ville semble morte, mais j’arriverai à trouver une boulangerie ouverte. J’interromps le patron, les mains pleines de farine, encore à son fournil. Nous discutons cinq minutes de mon épopée. Depuis combien d’heures n’ai-je pas parlé à un être humain ?
C’est le départ pour la dernière étape, sur un long brevet c’est souvent celle que j’aime le moins, que je trouve la plus fastidieuse, interminable ; sauf curieusement sur la SRHP (Super Randonnée de Haute Provence) où je serais presque reparti pour un tour (mais sans affronter à nouveau le Ventoux ! ). N’échappant pas à la règle, cette étape est donc longuette. Je connais bien la D45 de Sauzé-Vaussais à La Mothe-Saint-Héray, et je n’ai jamais apprécié toutes ces bosses… sauf à moto, forcément ! Ce dimanche matin de juillet, la circulation automobile est infernale. Il ne faudrait pas que je m’endorme et que je commence à zigzaguer ! À Pamproux je me perds complètement, je ne sais pas comment, mais c’est grandiose ! Je tourne en rond dans Saint-Martin et ses environs, personne pour m’indiquer le chemin… Vive la grasse matinée du dimanche matin ! On n’est jamais totalement perdu en France, et je finis avec un peu d’obstination, par retrouver mon chemin. Le GPS c’est la route sans saveur, sans l’imprévu, sans l’inattendu, sans la découverte… et sans se perdre ; quelle misère ! La vie est déjà assez triste comme ça, mais à tout prendre je préfère m’égarer par ma propre faute, plutôt que par celle d’une machine. Bon d’accord, se tromper de chemin si près du but c’est idiot, complètement stupide même, mais je n’ai pas dit que je ne l’étais pas ! Une bonne dizaine de kilomètres et c’en sera fini de ce brevet. Le soleil est brûlant, au sens premier du terme, heureusement que j’achève mon périple, sinon je crois que l’après-midi aurait été infernal. Mais d’ailleurs, où en sont les six autres ? En fait, je ne le saurais qu’après, je suis arrivé le premier… Mais sans vraiment le chercher.
Résultat, sur les 7 au départ :
- 3 homologués (dont je fais partie),
- 3 abandons (hélas, dont les 2 vélos couchés),
- 1 largement hors délais (Patrice, d’une grande pugnacité face à l’Homme au Marteau, qui en partant moins vite et avec un vélo plus adapté avait de quoi réussir).
En conclusion, un 1000 n’est jamais un brevet facile et gagné d’avance, sans aucun rapport avec le côté « colonie de vacances » que peut avoir un Paris-Brest-Paris pourtant plus long. C’est pourquoi trop peu de randonneurs s’y frottent. Rien que le fait d’en prendre le départ mérite le respect.
le parcours ICI