Comme souvent pour une telle distance, j’hésite. Faire un BRM de 1000km est une chose rare, une gourmandise, alors ça se mérite… aussi il faut le choisir soigneusement ! L’été est parti en mode canicule, mes envies d’ailleurs se sont un peu liquéfiées dans la fournaise. Il faut dire que j’ai toujours du mal à supporter la chaleur au dessus de 25°C, je dois être un animal à sang froid ! L’idée de refaire le 1000 de Rouen allant à la rencontre de la Bretagne, me caresse l’esprit. Par beau temps, et sans le spectre de la pluie incessante subie en 2011, il y a là de quoi avoir une belle revanche ! Le parcours du 1000 d’Angers n’est pas mal non plus, avec ses petites bosses en première partie, y compris celles assez casse-pattes du Limousin, puis un retour tout plat pour finir. Une bonne cinquantaine de cyclos sont annoncés au départ – ça change des cinq de 2011 à Rouen – et Alain me propose de profiter de la vadrouille. Alors c’est tranché, Angers l’emporte ! Seul problème, ce sera un brevet grand luxe… pour moi… Et je n’en ai pas franchement l’habitude. Ce sera donc une mission découverte, il faudra juste que mon côté rustique s’adapte au confort prévu par mon binôme et le reste du groupe. A priori rien de mal là-dedans, sauf pour mes genoux qui n’aiment pas spécialement les arrêts trop longs à leur goût. C’est ma seule crainte, et ils ne se gêneront pas pour me le faire savoir à l’occasion, se grippant atrocement au moment de repartir !
Vendredi 10 juillet 2015, après une bonne heure de trains dans la banlieue triste, je sors de la gare, le soleil est là. Nous chargeons mon vélo sur la voiture d’Alain, et hop, direction Angers. Début d’après-midi, ce week-end de grands départs en vacances n’a pas l’air si terrifiant. Nous arrivons à notre hôtel, aux abords du lac de Maine. Je sais gérer les brevets de 1000km, j’en ai déjà fait quelques-uns, la météo devrait être bonne sur le parcours, alors demain tout devrait bien aller… en principe… mais je stresse toujours un peu avant le départ sur de telles distances, car avec moi, il ne faut jamais écarter le facteur poisse !
Samedi matin, quelques têtes connues des amateurs de longues distances. 8h, départ en groupe. Les plus rapides disparaissent tout de suite devant, nous ne les reverrons pas. Tout de suite la route est vallonnée, un avant-goût des petites routes qui nous attendront demain. Dès le début, je ne vous cache pas que je m’ennuie ! Non pas que le groupe dans lequel je suis soit de mauvaise compagnie, au contraire, mais je ne roule jamais en collectif bien longtemps. Question d’habitude, question de philosophie aussi… Et puis ça ne réussit guère à mes articulations. Mes genoux ont besoin de tourner à rythme régulier, et en souplesse, pour tenir la distance. Pédaler en force, même de temps en temps, et la tendinite est assurée ! Je me méfie aussi de l’hôtel, car au-delà de quelques heures d’arrêt en cours de route, mes genoux se grippent extrêmement douloureusement. Pour limiter les dégâts, j’ai prévu pour toute la durée du trajet des comprimés d’anti-inflammatoires, qui me seront bien utiles. Bref c’est une grande première pour moi, ce BRM façon « course par étapes » grand luxe, au lieu de mon habituel « non-stop » nomade. Une première étape vallonnée donc, la suite le sera encore plus. Pour le retour du plat, il faudra attendre la Sologne… Nous arrivons au premier pointage de Bressuire peu avant midi.
Après une matinée au ciel plombé, le bleu et le soleil reviennent enfin. La chaleur monte à 30°C. Sur un parking à Benet, de la famille des organisateurs nous attend pour faire le plein des bidons. Vu la température, cette attention est appréciable. Nous repartons pour Coulon. En traversant le village, on ne se croirait pas à l’entrée du Marais Poitevin. Le rythme est bon, je commence à me régler sur la progression du groupe. Epannes arrive vite dans l’après-midi, et nous y faisons un arrêt pour pointer.
Notre petite quinzaine de cyclos continue à rouler plein sud. À St Jean d’Angely, je ressens cette impression d’écrasement de l’arrière du vélo, comme quand une automobiliste (pourtant pas blonde) n’avait pas tenu compte que je sois arrêté à un stop pour évaluer sa distance de freinage ! Comme je suis toujours là pour vous en parler (le vélo n’a pas eu la chance d’y survivre), je n’ai pas fini sous la voiture, ni écrasé par celles arrivant transversalement… Bref, cette fois une roue est venue se coincer dans mon dérailleur arrière… tout neuf. Bien entendu il ne le restera pas ! Je ne finis pas à terre, mais à force de rétablir comme je peux avec la jambe droite, le temps de pouvoir enfin s’arrêter, je me retrouve inévitablement avec l’arrière du mollet brûlé… ayant pris la couleur du caoutchouc du pneu ! Les hostilités sont lancées, ma série poissarde peut commencer ! … Ce qu’elle fait effectivement quelques kilomètres plus loin. En sortant d’Asnières la Giraud, je crève sans raison apparente de mon pneu arrière, tout neuf lui aussi, bien entendu ! Autant profiter de l’arrêt forcé, alors j’arrose un coup le bas-côté avant de réparer. Avec l’aide de Jean Claude et Richard revenus en arrière, et une nouvelle chambre à air, l’affaire est vite réglée, et nous pouvons repartir. Mes deux compagnons réduisent l’écart rapidement pour nous faire rattraper le groupe. Le début de soirée se profile déjà, et nous arrivons à Jonsac pour le repas et en profiter pour pointer.
Fin de la première escale grand luxe… mais après le restaurant, la nuit se passera à pédaler. Il ne faut pas exagérer non plus ! Nous repartons donc pour une nuit blanche. L’obscurité va bientôt tout envelopper, mais la nuit restera claire et chaude. L’étape est courte et la circulation quasi inexistante. Nous arrivons pour un pointage par carte postale à la Roche Chalais en milieu de nuit. Tout va bien, aucune somnolence en vue, question d’habitude.
Nous repartons pour faire un arrêt plein des bidons au cimetière de Trocane St Apre. Certains en profitent pour fermer un peu l’œil, je préfère faire un brin de toilette au robinet, et regraisser le cuissard. La deuxième moitié de cette étape est bosselée. La nuit est agréable, mais un brouillard très léger fait son apparition aux alentours de St Pierre de Côle (sur la Ronde Aliénor d’Aquitaine, ce passage beaucoup plus brumeux m’a paru particulièrement froid). À l’aube, je sens comme une grosse secousse dans la chaîne qui me renvoie le choc dans les pédales. À ce moment-là, je pense qu’un petit caillou s’est retrouvé projeté entre chaîne et pignon, en roulant, alors que c’est en fait un premier rayon qui a cassé à l’arrière… et qui s’est fait hacher par la transmission ! Je ne m’en apercevrai que bien plus tard. Nous arrivons à Thiviers au petit jour, après une nuit sans autre problème.
Une vingtaine de kilomètres plus loin, un petit-déjeuner bien copieux nous attend… au pied du château de Jumihac. Un chapiteau et une grande table ont été installés pour nous sur la place. C’est décidément la grande classe ! De quoi remettre joyeusement en route un cyclo qui a pédalé toute la nuit. Pour quitter le village, il faut par contre affronter une belle montée, comme placée là juste pour la digestion ! Sur cette étape, les bosses sont peu nombreuses, mais plutôt longues. Les descentes aussi, faisant perdre une centaine de mètres de dénivelé… qu’il faudra bien entendu regagner aussitôt après ! Nous arrivons donc en ordre dispersé au pointage de Chateauneuf la Forêt.
Après pointage et ravitaillement, je repars avec Alain. Nous passons par Neuvic-Entier. Le nom du village me fait sourire. Parce qu’il y en a d’autres qui auraient été coupés en morceaux ? En sortant de Bujaleuf, le GPS d’Alain fait un caprice. Une voiture s’arrête pour nous renseigner. Ses occupants veulent nous faire passer par St Léonard de Noblat, pour rejoindre Bourganeuf. Vieux souvenir de Flèche Luchon – Paris, il me semble qu’à part pour faire un bon détour, il n’y a rien à gagner à aller par-là ! Nous continuons hésitants, puis après un point sur la carte, St Léonard n’est effectivement pas franchement sur le chemin, et la D13 est beaucoup plus loin que nous l’attendions sur le road-book… mais finalement nous sommes bien sur la bonne route ! Le long des plans d’eau, l’abri des arbres nous offre une ombre bienvenue dans ce chaud après-midi. En approchant de Bourganeuf, nous rejoignons des routes moins pittoresques. Maintenant, plus moyen de se perdre, à moins de le faire exprès, mais tout est toujours possible ! Nous arrivons à Dun le Palestel, où j’ai le souvenir d’un bourg assez grand, mais où seule la boulangerie était ouverte, dans laquelle j’ai eu une conversation philosophique autour du Coca-Cola light ou pas, et les vertus du sucre pour le voyageur à vélo, face aux diktats des édulcorants dans l’alimentation moderne ! Aujourd’hui, pas de commerce pour nous accueillir, rien… Nous pointerons donc à la carte postale. Sur la place, nous partageons un robinet avec une Dame au charmant accent anglais remplissant ses arrosoirs.
Nous repartons en direction d’Aigurande, où nous attend notre hôtel. La vingtaine de kilomètres qui reste, comporte deux où trois descentes et autant de montées, et rien d’autre ! Avec Alain, nous tournons un peu en rond dans le bourg pour trouver notre hébergement, et rejoindre les premiers arrivés. Nous craignons un peu que les derniers soient là tardivement, mais le groupe se reformera au complet pas trop tard. La route commence à attaquer les organismes. Comme je dépanne quelques cyclos, ma petite pharmacie de bord se retrouve littéralement pillée… Au moins je repartirai plus léger le lendemain !
L’hôtel est un lieu de caractère qui a su garder un charme un peu désuet… à se demander comment il a pu composer avec les normes hôtelières de plus en plus strictes. Heureusement que ce genre d’établissement arrive encore à subsister face aux grandes chaînes, aseptisées et standardisées. Je m’endors très rapidement, et émerge spontanément du sommeil deux minutes avant la sonnerie du réveil. Départ à 4h du matin, il reste 400km à accomplir. Comme prévu, mes genoux sont raides et ont du mal à se remettre en route. Pour ne rien arranger, sur la route de Crozon / Vauvre, deux rayons cassent subitement à l’avant. Malgré l’obscurité, le bruit caractéristique ne laisse aucun doute ! Et merde, et de trois… Il me semblait pourtant en avoir dans la sacoche. Tant pis, je retire les rayons rompus au ras de leur écrou, je desserre un peu les patins de frein, la jante les lèche un peu, mais ça passe. Par contre, comme les deux rayons cassés se suivent, je n’ai pas intérêt à taper un trou sur cette portion de jante, sinon elle risque de s’écraser ! Je fais bien attention d’éviter tous les trous de la route – au moins ça occupe l’esprit et éloigne la somnolence – et la fin de la nuit se passe sans autre avarie. Je profite de l’arrêt pointage à La Chapelle St Ursin pour vérifier que mes rayons survivants tiennent bon sur les deux roues. Malheureusement, quelques heures plus tard, mes roulements de pédalier commencent à se gripper en tournant carré, émettant de sinistres bruits de martellements dans les moindres bosses… Le pédalier devenu chaloupé, n’arrange bien entendu pas le fonctionnement du dérailleur, déjà malmené depuis St Jean d’Angely. Dans ces conditions, la fin du parcours semble de plus en plus délicate à entrevoir… mais j’ai déjà connu pire !
À partir de cette étape, la route est maintenant plate et bien roulante. Nous arrivons à Pierrefitte / Sauldre peu avant midi pour pointer. Rien d’ouvert dans le village, à part le bar. Il me revient un souvenir nocturne, glacial, des environs dans une nuit de novembre par –5°C. Aujourd’hui, en pleine journée et sous un soleil d’été, le village est à peine plus vivant !
Nous repartons pour Nouan le Fuzelier dans l’espoir de trouver de quoi nous ravitailler. Ce sera chose faite à la supérette. Nous improvisons un pique-nique sur un coin de bitume à l’ombre. Le soleil, pourtant pas si accablant en roulant, est par contre assez cuisant à l’arrêt. Amboise, la circulation de cette fin d’après-midi est pénible, et le restera toute la fin de cette étape. Je ne comprends pas tous ces automobilistes excités d’avoir à ralentir quelques secondes, pour passer un groupe de cyclistes, alors qu’à l’inverse nous devons bien supporter le passage de centaines et de centaines de voitures, parfois assez agressives. Question de point de vue sans doute. Nous arrivons enfin à Parçay-Meslay pour le pointage et le ravitaillement au restaurant routier. Même pour gagner du temps, pas moyen de faire tamponner la carte avant d’avoir mangé et réglé la note… La confiance règne ! Je n’ai pas très faim, comme souvent en cours de brevet. Je me force un peu. Mon foie est habitué à bien faire son travail, alors il sait que j’attends souvent de lui un peu de néoglucogenèse. Il se débrouille toujours pour trouver de la graisse à recycler en sucres…
Après le repas, je quitte le groupe qui va rejoindre ses différents hôtels pour la nuit. Afin d’éviter de finir hors délais en cas de nouvelle avarie, je préfère continuer à rouler sans trop brusquer le vélo, pour rejoindre l’arrivée tranquillement, vers la fin de nuit si tout va bien… Ou plus tard, en ayant une bonne marge pour improviser en cas de nouveaux soucis mécaniques ! Il reste 120km à faire, aussi fermer l’œil maintenant me semble être une trop grande solution de facilité. Scrupules idiots, scrupules de puriste. Je repars donc en solitaire, soulagé de ne pas avoir à surveiller le placement des uns et des autres, qui me coûte beaucoup d’attention et d’énergie. En suivant les indications du road-book, le contournement de Tours est facile. Deux ou trois dernières bosses m’attendent, et la centaine de kilomètres restante sera définitivement plate. Dans la traversée de St Antoine du Rocher, je trouve directement la D228, beaucoup plus simplement que sur la description du parcours… C’est généralement plutôt l’inverse ! J’arrive à Semblançay à la tombée du jour. C’est maintenant le moment d’affronter les grands bouts plats à travers les bois. De loin en loin, dans les bas-côtés, des bruissements trahissent la présence de gros gibiers, mais mes torches n’en éclaireront aucun. Tant que je ne me retrouve pas avec un cervidé au milieu de la route, ou bondissant sur moi, tout va bien… C’est définitivement la crise, même si de temps en temps il y a des relents braillards parvenant à mes oreilles, pas de feu d’artifice cette nuit, il y en aura peut-être plus demain… Patrick Sébastien semble être une valeur sûre des bals du 14 juillet cette année. Malgré le caractère monotone de cette longue traversée en forêt, je ne suis pas assailli par le sommeil. La route est bien roulante, le léger vent n’est pas trop gênant, au contraire, il rafraîchit délicieusement l’atmosphère. Après Longué-Jumelles, je m’attendais à avoir un peu de descente, pour rejoindre les bords de Loire, mais finalement non. J’arrive aux Rosiers / Loire pour le dernier pointage. Beaucoup de piétons y déambulent cette nuit de fête. Je trouve une boîte aux lettres sur la grande place, pour y glisser ma carte postale, puis je fais le tour du petit bâtiment où elle est adossée. Mon flair est bon, j’y découvre des toilettes publiques, propres, vastes et modernes, où je m’enferme avec le vélo pour y faire ma toilette. Il y règne une douce chaleur, alors se laver à l’eau froide n’est pas désagréable. J’en profite pour remettre le cuissard lavé la veille, encore humide, mais comme je n’ai pas de serviette non plus, je suis tout dégoulinant d’eau. La nuit n’est pas si fraîche, pas de problème, le tout séchera donc, et le bonhomme avec… en cours de route !
C’est maintenant la dernière étape, le retour sur Angers se fait en suivant les bords de Loire par la D952. La route passante à d’autres moments, est déserte cette nuit. Quelques voitures passent très rarement en sens inverse. Il me reste une trentaine de kilomètres, et huit heures de délai. Avec le bitume de bonne qualité, ce n’est logiquement pas cette route qui achèvera mes roues mal en point. Je pensais que la proximité du fleuve m’apporterait un peu de fraîcheur, mais c’est le vent de trois-quarts face qui sera là pour me ralentir un peu. Bientôt l’urbanisation revient dans le décor. La traversée d’Angers me paraît bien longue, d’autant plus que je n’arrive pas à savoir vraiment si je me trouve toujours en périphérie, ou si je suis déjà entré dans la ville. Bien avant l’aube, la circulation commence à reprendre. Les feux tricolores sont nombreux. Au redémarrage à l’un d’eux, un taxi éclate une bouteille, m’envoyant des éclats de verre… qui naturellement me feront crever. Il fallait bien que je rencontre un dernier souci, mais ce n’est pas une petite misère qui m’arrêtera ! Je me remets en route après la réparation, et le Château d’Angers est enfin là. En arrivant de ce côté, dans la pénombre, ses tours monumentales prennent comme des airs de cheminées de centrale nucléaire. Je traverse la Maine, toujours sur les indications du road-book, assez précis pour ne pas se perdre, même sans vraiment connaître la ville… Et me voilà en fin de nuit à l’arrivée, devant le vélodrome. L’aube de ce 14 juillet est atone, le calme matinal tranchant avec le symbole du jour. Curieuse impression. Je n’ai plus qu’à profiter de la douche et faire un petit somme en attendant l’arrivée du groupe. Et un BRM 1000km de plus en poche, en attendant la suivant, celui de Râches, et le Paris-Brest-Paris !