Les Flèches de France « vintage » : Paris – Marseille

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Le cycle des Flèches de France « vintage »,
épisode 14.

 

le vélo pour aller à Marseille :Gitane type Fédéral - (1977)
nombre de vitesses :3 x 5
développement maximum :7,90m (52/14)
développement minimum :2,60m (34/28)
poids du vélo :12,4kg
dénivelé du parcours :1050m/100km

 

Athis-Mons au départ. Le jour va se lever dans quelques heures. L’agglomération parisienne est encore calme, endormie ; l’instant parfait pour la fuir… Une première moitié d’étape sans intérêt jusqu’à Bondoufle, des grands axes, la nécessité de partir maintenant et pas plus tard, pour échapper à la circulation infernale avant de retourner au calme. Me voilà relâché dans l’Essonne plus campagnarde, avec le pointage de La Ferté-Alais en ligne de mire, plus très loin de l’aube.

La nuit est encore profonde, opaque. Son règne prendra fin dans une heure à peine. En attendant, une grosse demi-lune m’observe à la verticale ; solitaire, ambrée. La route est paisible, plate. La frontière est passée, j’entre dans un univers pluriel, tellement divers pour un mot tellement banal, tellement fourre-tout : la province. Le jour revenu, de Malherbes un tout petit vent agite l’air de façon agréable, en attendant la montée progressive de la fournaise. Je longe un bon moment les confins de la Forêt Domaniale d’Orléans à l’approche de Gien, offrant provisoirement un peu de fraîcheur. Après être passé sous le Pont-Canal de Briare, que je connais depuis les BCN / BPF de l’Orléanais, je marque un arrêt aux toilettes publiques – assez dégueulasses il faut bien le dire – de Saint-Firmin-sur-Loire pour me rafraîchir, tremper le t-shirt et faire le plein des bidons… tout ça en faisant attention à l’environnement crasseux ! Le contrôle de Châtillon-sur-Loire est à deux pas, atteint en début d’après-midi au terme d’une étape toute plate majoritairement tracée à travers la plaine agricole. Jusque-là tout va bien, après 160km d’un hors-d’œuvre tranquille.

On prend les mêmes et on recommence. La route reste facile à travers la plaine. Une première partie à descendre au voisinage des bords de Loire, il y a pire point de vue relief ! Par contre, il n’y a pas trop d’ombre. Un arrêt s’impose pour s’asperger et faire le plein des bidons au cimetière en sortie de Beffes, juste avant la cimenterie. Sur l’autre rive du canal, le monstre de ferraille est à moitié endormi dans un repos poussiéreux. À Cuffy, changer de rivière ne change rien au chemin. Apremont-sur-Allier – site des BCN / BPF du Berry – toujours le calme plat, avant de prendre par la suite très peu de relief. Une étape un peu longuette, donc ; un peu lassante sous le soleil nébuleux, mais l’avantage est d’au moins pouvoir avancer tranquillement, sans se mettre trop en surchauffe par cet après-midi caniculaire. Le pointage de Bourbon-l’Archambault est atteint en début de soirée. La traversée de la ville se fait en montée pour s’extraire du centre-ville. Le jour va tomber et il fait encore très chaud. Toute la journée s’est passée dans la fournaise sous un ciel étrange, un peu laiteux, pas franchement bleu mais plutôt blanchâtre, blafard mais qui n’a pas empêché la forte montée des températures… comme prévu sur les deux journées restantes de ce parcours.

La route repart sur des petites bosses… C’en est maintenant fini du plat ! La nuit s’est installée et de belles églises sont illuminées en traversant les villages : Deux-Chaises sur les hauteurs, Monestier avec son clocher en dôme, d’autres que j’ai dû oublier… puis je me fais surprendre dans l’obscurité par un raidillon inattendu après Bellenaves. Précipitation, réflexe, je joue des manettes de dérailleurs comme une brute, la vieille machine renâcle, la chaîne se coince et je tombe quasiment à l’arrêt. Une chute bête, comme souvent, sans gravité, mais les genoux tapent quand même bien le bitume grossier. Avec les anticoagulants, pas de mystère, ça pisse immédiatement le sang ! À Ébreuil, arrêt pour faire le plein des bidons au grand cimetière à l’entrée du village. J’en profite pour m’occuper de mes genoux après la petite voltige de tout à l’heure. À droite, des zébrures noirâtres tracent leur sillon en direction de la chaussette… qui a échappé de peu à la coulée de lave brune. Quelques kilomètres de plus et elle était baptisée ! Je nettoie tout ça et c’est reparti, en espérant que le saignement se soit à peu près arrêté. Pas facile à évaluer dans les ténèbres. Je suis en rage contre cette chute stupide, contre la mienne de stupidité surtout, et contre ce sang trop fluide qui dégueulasse tout. Même pas foutu d’être poisseux ! Seul réconfort dans cette nuit solitaire peuplée d’aboiements hostiles, la présence apaisante d’une grosse demi-lune rousse apparue sur l’horizon. En quittant le petit village blotti dans la vallée de la Sioule, j’aborde une montée qui n’en finit pas. En haut de la butte, 5km plus loin, sur le pont enjambant l’autoroute A71, je suis fasciné par les sillons lumineux furieux qui tentent de déchiqueter les ténèbres. Nouvel arrêt aux toilettes publiques de Thuret, pour voir. Nouveau nettoyage sans trop frotter, l’hémorragie d’opérette semble vouloir enfin s’arrêter… ce que me confirme une certaine raideur au pédalage. En deuxième partie de nuit, le clair de lune dessine le paysage de teintes grises plus ou moins obscures, et la route tranquille est à peine agrémentée de quelques bosses jusqu’au pointage de Billom, que j’atteins après être passé par Crevant-Laveine… ce qui me fait sourire après ma cabriole à mi-étape.

Vers la fin de nuit, c’est reparti. L’air est maintenant très frais, mais ça ne durera pas avec le retour de l’aube. En attendant, autant l’étape précédente était faiblement vallonnée, autant on sait très rapidement en repartant du contrôle, qu’on va devoir grimper. La première côte s’étire en longueur sur près de 10km, pour rejoindre Sallèdes ! Après Saint-Julien-de-Coppel, le relief montagneux se dessine en ombres chinoises dans cette fin de nuit, des deux côtés de la route. Le parcours offre ensuite un répit bien roulant autour de Sauxillanges…. La matinée passe et la fin d’étape devient plus rugueuse, en particulier après Langeac avec la belle montée à tournicoter autour du Mont Briançon – le large panorama gondolé constellé de petits sommets est superbe – ou pour s’éloigner de Siauges-Saint-Romain. Le profil bascule ensuite à la descente aux alentours de Saint-Jean-de-Nay. L’approche du contrôle du Puy-en-Velay en devient plus facile !

Très vite en quittant l’agglomération du Puy, qui semble noyée sous un flot continu et débordant de touristes cet après-midi, les côtes se font féroces sous la fournaise. Fini la facilité, les demi-teintes, cette fois il faut se hisser à plus de 1400m d’altitude au terme d’une cinquantaine de kilomètres globalement en montée. L’effort est bien récompensé car le paysage sauvage est de toute beauté, y compris dans les traces laissées par l’Homme – comme après Le Monastier-sur-Gazeille sur une portion de route un peu plus douce – où le Viaduc de la Recoumène est fièrement dressé sur ses jambages vertigineux posés au fond des gorges. L’ouvrage centenaire et grandiose n’a finalement pas connu le passage du moindre train… puisque la ligne n’a jamais été achevée ! L’étape traverse ensuite le Parc naturel régional des Monts d’Ardèche, dans une montée offrant peu de répit. En deuxième partie d’ascension, après un arrêt à la supérette des Estables, le paysage se fait d’un seul coup minéral. De gros rochers sont plantés de-ci de-là dans l’herbe rase d’altitude. Et quand les gros blocs ont disparu du paysage, il y a enfin une petite descente qui s’amorce. Un simple répit, car quelques kilomètres plus loin il faut passer par une succession de toboggans pour se rapprocher du célèbre Mont Gerbier de Jonc – qui ressemble à une grosse motte de cailloux surgie de nulle part – dont des générations entières d’écoliers des temps jadis savent que la Loire y excrète laborieusement ses premières gouttes, qui formeront plus tard avec des légions d’autres, un véritable fleuve. Le vaste parking du site est flanqué d’une ribambelle de petites cabanes en bois, comme un marché de noël fantoche qui s’éterniserait ici toute l’année. Triste spectacle de la cupidité ordinaire. Avec l’altitude, la température est devenue plus supportable. Il y a encore quelques petites remontées pour arriver au Col de Bourlatier – et à un saut de puce plus loin à celui du Pranlet – avant de se laisser glisser dans une longue descente jusqu’à Vals-les-Bains. Je tourne un peu en rond dans le bourg, j’ai du mal à trouver le chemin d’Aubenas sans passer par la voie rapide tandis que la route devient plate jusqu’à Saint-Sernin, où je marque un arrêt au crépuscule à la petite station aménagée au bord de la voie verte. En repartant à la nuit tombée sur une route un peu vallonnée, Lagorce se présente comme un très joli village, particulièrement bien mis en valeur par son éclairage public. Le contrôle de Vallon-Pont-d’Arc est tout près, à quelques kilomètres.

En début de nuit le village endormi est plus accueillant, paisible sans ses hordes habituelles de touristes ; j’y pointe sans m’attarder. Même si le clair de lune ne rend pas les ténèbres si opaques, pas grand-chose d’autre à voir qu’un environnement noir dans ces Gorges de l’Ardèche aux longues montées et descentes qui se succèdent inlassablement. L’avancée vers Saint-Martin-d’Ardèche est laborieuse. La route est ensuite plus facile dans cette nuit devenue très fraîche après la fournaise de la journée. J’arrive au contrôle d’Uzès vers la fin de nuit.

Pas grand-chose d’ouvert pour pointer, pas d’amabilité dans les commerces, cette réticence de plus en plus fréquente à tamponner mon bout de carton est parfois plus fatigante que de faire la route en elle-même, alors ce sera une preuve par photo en ressortant de la ville. Le grand axe vers Remoulins puis Beaucaire est encore tranquille, je l’imagine très passant dans une heure ou deux. Je rate le Pont-du-Gard, sans doute ne me suis-je pas aventuré assez loin dans ce dédale de zones de parkings au petit matin. Après la cinquantaine de kilomètres plats de ce début d’étape, j’oblique pour affronter la dernière belle montée de ce parcours direction Les Baux-de-Provence. L’accès au joli petit village – site des BCN/BPF – se mérite par 6km à grimper dans le décor aride et minéral des Alpilles. Les 12,4kg du Gitane type Fédéral de 1977 se laissent tout de même hisser tranquillement dans ce paysage magnifique. Une petite pause contemplative et un bon café s’imposent, puis c’est reparti pour les 90km restant. Après être redescendu des hauteurs, la route se change en grands bouts droits plats dans la fournaise qui commence déjà à remonter. La route fait de même avec les environs d’Aureille et Eyguières en faux plat. Après Lançon-Provence, longer l’autoroute dans la fournaise devient entêtant. Je marque quelques arrêts dans les rares zones d’ombre. Rechercher la fraîcheur devient illusoire, alors j’avance tranquillement pour éviter la surchauffe. Plus rien ne presse, Marseille n’est plus si loin et je suis dans les délais pour le retour par le train de nuit. Début de soirée, après deux jours à être parti de Paris, l’agglomération marseillaise se présente – les quartiers nord comme un épouvantail – facile dans une pente très douce. Trouver la gare de Blancarde sera moins facile ; moins évidente que celle de Saint-Charles. Quelques kilomètres mais une impression de bout du monde, et peut-être même pas en vérité le bout de la ville !

 

Voir ICI pour la Flèche réalisée dans l’autre sens avec un vélo moderne.

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