Les Flèches de France « vintage » : Paris – Luchon

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Le cycle des Flèches de France « vintage »,
épisode 15.

 

le vélo pour aller à Luchon :Bernard Carré - (course 1979)
nombre de vitesses :2 x 5
développement maximum :7,90m (52/14)
développement minimum :3,40m (38/24)
poids du vélo :10kg
dénivelé du parcours :1100m/100km

 

Début de soirée, fin septembre, départ de Palaiseau. Après un pointage rapide à la carte postale, c’est parti. Mine de rien, l’obscurité règne depuis longtemps. C’est déjà le moment de l’année où le temps a basculé. Il se dirige doucement vers de longues nuits grignotant inexorablement des journées de plus en plus courtes, bientôt réduites à pas grand-chose. Pour tenter d’effectuer le cycle – maintenant bien avancé – de ces 20 Flèches de France dans l’année, il faut aimer les ténèbres, telles que je les ai connues en février, et semblables à celles que je retrouverai j’espère en novembre. Cogiter permet au moins de chasser l’ennui le temps de s’éloigner de l’urbanisation parisienne… et elle disparaît rapidement. Le début de parcours est familier. De 200 à 1000km, tant de départs de BRM pris de Longjumeau et passants dans les environs. Toujours de bons souvenirs. Le contrôle de Saint-Chéron y est aussi un grand classique. Une première étape sans grande surprise, donc.

Après avoir pointé, le décor redevient tout de suite campagnard, puis je perds un peu ma route en approchant d’Étampes. Pas l’idéal, pas une catastrophe non plus. Les ténèbres, le crachin. Je ne sais pas comment je me débrouille, cette foutue D207 semble avoir des ramifications partout qui essaient de m’envoyer à chaque fois sur la voie rapide. Trop hostile la N20, itinéraire de facilité, pas simple d’y échapper. Beaucoup de fureur de lumières pressées, beaucoup de circulation de précipitation, de fébrilité agrippée aux volants. Nous ne sommes pas dans le même espace-temps. Je viens à peine de démarrer, à vélo la distance est une volonté concrète, un jeu de patience, pas une abstraction distordue par la puissance d’un moteur. La nuit était plus paisible tout à l’heure. La traversée de la ville n’en finit pas. Étampes comme posée au milieu de rien, ni fragment d’agglomération parisienne ni cité rurale, est enfin oubliée ; laissée derrière moi pour que le calme revienne sur les grands bouts droits. Paris n’est pas si loin, logiquement sa pollution lumineuse non plus, et pourtant les étoiles ne sont pas si rares. Pas d’une densité extraordinaire, mais présentes tout de même en nombre à mon rendez-vous insomniaque. La nuit est froide, très fraîche comme les journées sont étonnamment chaudes pour un début d’automne. Contraste saisissant, quelques volutes de brouillard flottent çà et là, humidité fantomatique. Route facile. Avant l’aube la Loire est passée, déjà, et le jour se lève bientôt sur la platitude solognote boisée. Le contrôle de Souesmes se précise.

Rien d’ouvert dans le village endormi. Il est encore tôt, un lundi matin il faut bien dire, moment sinistré par excellence dans une semaine ordinaire, alors je ne m’y attarde pas. Le paysage semble immuable : retour de la forêt, un monde gris et vert, le bitume tracé sur des grands bouts droits plats. Un détail vient troubler la sérénité apparente. Les maisons isolées sont annoncées piégées, et d’autres mises en garde menacent régulièrement le voyageur imprudent. Il y a plus agréable pour tirer le promeneur de sa rêverie. Pas franchement accueillant ce coin de Sologne. L’amabilité et l’ouverture d’esprit propre aux pays de chasse, peut-être ? Trop simple. Quoi qu’il en soit, l’aigreur est toujours dommage, je trouve. La forêt se délite peu à peu, l’horizon s’ouvre, les vieilles pierres se dévoilent. La route passe par Mehun-sur-Yèvre, site des BCN / BPF du Berry. Les abords de la Porte de l’Horloge sont incontournables, calmes en fin de matinée. Plus loin, le petit village de La Berthenoux semble insignifiant, avant que n’apparaisse sa tour les pieds dans l’eau accolée à l’église Notre-Dame, et bientôt arrive le contrôle de La Châtre en milieu d’après-midi.

Tout de suite en repartant, l’église et le prieuré de Le Magny qui semblent former un ensemble fortifié, se laissent admirer le temps d’une petite montée. Cette fois le profil de la route se transforme, il devient progressivement vallonné tandis que les heures cheminent vers la soirée ; doucement. Le paysage aussi ondule, des monts apparaissent sur l’horizon. Début d’itinéraire calme, circulation inexistante… mais où sont donc passés les gens ? Le lundi jouerait-il un rôle là-dedans ? Je passe pas loin de Crevant, pas grave, Villeboué juste à côté m’aura sans doute sauvé… je sais, ça ne fait rire que moi, mais occuper son esprit rend bon public ! En approchant de Bénévent l’Abbaye – site des BCN / BPF de la Marche – de nombreuses tombes du cimetière du Grand-Bourg sont protégées par de petites chapelles de verre, comme si les caveaux étaient sous serres, comme si les morts étaient frileux ici plus qu’ailleurs. Les ténèbres s’emparent de la Creuse que je quitte bientôt. Jusque-là, les bosses sont faciles pour les 10kg tout rond de ce brave vélo au cadre signé Bernard Carré. Cette légèreté pour son quarantenaire, semble lui donner une certaine instabilité en descente rapide, celle pour aborder le pointage de Saint-Léonard-de-Noblat, comme les autres.

La nuit règne sur le village de Poulidor, blotti dans sa cuvette. Je l’ai connu plus triste il y a une décennie ou deux, comme en déshérence. Depuis, le centre-ville qui a bénéficié d’importants travaux de voirie est assez plaisant. Après le contrôle, il faut regagner les hauteurs pour s’éloigner du bourg, s’écarter des berges de la Vienne. L’étape s’annonce bosselée, avec de bons moments de répits… et de belles côtes aussi, comme après Saint-Bonnet-Briance où il faut remonter le lit creusé patiemment par les eaux de la Grande Briance. À partir de Saillant, la Vézère offre par contre une vingtaine de kilomètres de plat à proximité de ses rives, le temps de frôler Brive-la-Gaillarde. La matinée touche à sa fin. Derrière le rideau d’arbres, l’église et le château de Salignac sur sa butte, jouent à cache-cache de l’autre côté de la vallée. Sur cette étape les rivières forgent le relief, et il faut passer une dernière cuvette après Saint-Crépin pour rejoindre le contrôle de Sarlat-la-Canéda  ; Sarlat tout court pour les intimes, et on se connaît un peu tous les deux…

C’est reparti pour une nouvelle étape comportant encore de bons moments de répits entrecoupés de bosses. Ce parcours qui offre tout de même du dénivelé n’est en fait pas très exigeant. Après la remontée de la cuvette de Catus tout en faux plat, atteindre le Col de Crayssac est surprenant. L’arrivée à son belvédère se fait sans vraiment avoir grimpé beaucoup, et pourtant la route a pris de la hauteur. En bas, le large panorama dévoile un vignoble qui se déploie entre les méandres du Lot. La descente se fait très nette – contrairement à la montée – par une série de lacets étroits et sinueux, très courts. Luzech n’est plus très loin, sur une route redevenue plate à Caïx en rejoignant les berges du Lot. Après avoir regagné les hauteurs pour s’éloigner du cours d’eau, le profil de la route s’assagit à Sauzet, puis devient roulant. Je ne pensais pas que le vignoble de Cahors s’étale aussi loin, puis il se change en celui des coteaux du Quercy, en transitant par la bosse troquant la vallée de la Séoune contre celle de la Petite Barguelonne… sur le chemin de Montcuq… que je ne montre pas à tout le monde ! L’itinéraire se poursuit à plat, très roulant jusqu’à Lauzerte – où je fais un détour par les hauteurs pour pointer le BCN / BPF avant la tombée du jour – puis Moissac arrive à travers de longues bosses.

Début d’étape, les ténèbres s’installent, la route est facile. Un chien en liberté me court un instant après, sans beaucoup de persévérance ; tant mieux. D’où sort-il ? Je n’en sais rien. Il a pour lui l’obscurité et la lâcheté, c’est déjà beaucoup alors il n’aura pas mes mollets ! Après Lavit, quelques bosses permettent de rejoindre Beaumont-de-Lomagne. Flânerie dans le village joliment éclairé : les rues, les arcades, la grande halle. Décrassage aux toilettes publiques, moment de pause. En repartant, la route est quasiment plate jusqu’à Boulogne-sur-Gesse. Un nouveau clébard, très zélé dans sa mission de Don Quichotte de ferme, a décidé de vouloir me bouffer ; éternel recommencement ! Je progresse dans la vallée, avec à ma gauche le contour des montagnes qui commence à se détacher en ombres chinoises sur le bleu marine dense de la fin de nuit, déjà. La troisième blanche, la troisième passée à pédaler. Le brouillard règne encore de loin en loin en poches de fraîcheur. Je croise un petit nombre de bagnoles en sens inverse, mais la route est tranquille dans le mien. Avec le retour du jour, les premiers reliefs pyrénéens apparaissent furtivement, jouant à cache-cache derrière les monts boisés… qu’il faudra traverser un à un en grimpant de longues bosses pour atteindre le contrôle de Saint-Gaudens. En attendant, en pleine campagne au détour d’un virage en montée, deux chiens sont couchés dans le bas-côté, paisibles au soleil du petit matin. J’avance tranquille. Ils se relèvent à mon passage. Pas bon signe ! Ça ne cessera donc jamais ? Je passe devant eux et bien entendu ils me prennent en chasse. J’accélère. Je n’ai jamais été très doué dans les bosses, et là, avec un vélo « vintage » et surtout mes soucis cardiaques, je plafonne vite, souffle court, cœur qui tape fort ; trop fort, cage thoracique mélomane, xylophone. Alors, le cœur ou les chiens ? Pas envie de choisir. Je ne tiens pas le rythme et n’arrive pas à distancer les deux clébards. Saletées. Entre la crise cardiaque et être bouffé, il faut prendre parti ! Souvenirs de la Flèche Luchon – Paris d’il y a quelques années dans l’autre sens, une longue course-poursuite terrorisante avec deux molosses qui avaient – eux – bien décidé de me dévorer, mais là, pas un aboiement, pas un croc, rien. Et s’ils n’étaient pas si hostiles au fond ? Mauvaise interprétation peut-être. Apparemment ils semblent seulement avoir envie de jouer un peu. Ils m’escortent, passent devant, derrière, tout à côté de moi sans montrer les dents. Je change de stratégie, essaie des laisser courir devant. Changement de priorité aussi. Dans cette côte n’en finit pas, tenter de sortir le cœur de la zone rouge. Ils ne lâchent toujours pas prise, continuent avec moi, mais j’aimerais quand même m’en débarrasser ! Puis le premier s’arrête pour renifler une bestiole écrasée au milieu de la route. Ça le captive. Le deuxième le rejoint et j’en profite pour lancer une bonne accélération. Je semble tout à coup moins passionnant qu’une bonne charogne en bouillie ! Pas bien méchants après tout, les clebs. Au moins, avec tout ça, le contrôle de Saint-Gaudens m’a semblé se présenter bien plus vite !

Il y a un peu de circulation en ville en milieu de matinée, beaucoup de passants, les rues sont vivantes. La route repart à plat, puis en ayant quitté l’urbanisation après Valentine, hésite à monter vers le modeste Col de Hountarède, descend un peu avant d’entamer la montée en faux plat en suivant le creux de la vallée jusqu’à Luchon. Dans ce paysage entouré de montagnes, un vent contraire s’engouffre et gêne ma progression. Les petits villages s’égrènent, puis se cachent à l’écart de la route. L’ancienne ligne SNCF à l’abandon depuis une dizaine d’années croise la route. La végétation à repris ses droits sur le ballast. Les passages à niveaux ont été supprimés, le bitume a remplacé les rails qui s’interrompent de chaque côté de la route. Plus aucun train ne passera par ici, et pourtant une reprise de la ligne est à l’étude… sans rails aux croisements avec la route, je ne vois pas bien comment faire passer un train ! Je dois être un grand naïf, mais j’ai toujours du mal à comprendre cette obstination à supprimer tant de lignes ferroviaires, alors que l’écologie est passée du ridicule condescendant à la préoccupation numéro un – sans aucune vision globale, ni discernement – au point de devenir avant tout un nouvel eldorado du marketing. Bref, en début d’après-midi après quelques ronds-points impersonnels, la petite ville de Bagnères-de-Luchon se présente enfin. Terminus… sauf qu’il faut refaire les 45km en sens inverse pour rejoindre Saint-Gaudens et y prendre le train du retour. Rien de grave, le profil de la route est globalement en pente douce cette fois-ci. En chemin, je marque un arrêt à Bertren pour un bon décrassage aux toilettes publiques… afin d’éviter d’empuantir mes compagnons de compartiment du train de nuit ! Le Col de Hountarède est toujours aussi facile dans ce sens et la gare de Saint-Gaudens plus très loin pour embarquer vers Paris.

 

Voir ICI pour la Flèche réalisée dans l’autre sens avec un vélo moderne.

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