Les Flèches de France « vintage » : Hendaye – Paris

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Le cycle des Flèches de France « vintage »,
épisode 16.

 

le vélo pour revenir de Hendaye :Raleigh Super Course MkII (1977)
nombre de vitesses :2 x 5
développement maximum :7,45m (49/14)
développement minimum :3,00m (40/28)
poids du vélo :12,2kg
dénivelé du parcours :800m/100km

 

Midi, départ d’Hendaye. Mois d’octobre inquiétant, fond de l’air très agréable, grand beau temps, piétons torses nus, beaucoup de gens à la plage, bronzage, baignade. Dérèglement climatique ou art de vivre littoral ? Sûrement un peu des deux. Très vite surgit une première petite bosse pour s’écarter du rivage. Bien que je sois sur la piste cyclable, un automobiliste me double, brandissant son gros doigt néandertalien en l’air… et ce n’est pas le pouce ! Je ne gêne pourtant personne sur mon chemin à l’écart de la route. Je ne comprends pas, y a-t-il seulement quelque chose à comprendre ? Marre des touristes venus tout l’été, et marre d’en voir encore un spécimen s’attarder en octobre ? Je ne sais pas. En tout cas, pas très sympa l’accueil ; comme plus tard d’autres m’insulteront de leur portière sans plus de raisons apparentes, et comme à l’intérieur des terres, l’exaspération s’exprime avec le regain des revendications indépendantistes taguées partout. Bon faut faire avec, la prise de contact est un peu rustique, tant pis. Pas grave, je m’en vais, je remonte de toute façon au nord. Progresser sur la route des corniches me fait penser à la Normandie. La vue, le paysage, le vent ; le tout ressemble à 1200km de là, à la pointe de la Hague. En direction d’Ascain, les montagnes sont là, droit devant, la tête coiffée de nuages. En sortant de la ville, un premier col se présente, celui de Saint-Ignace après 2km de montée qui se poursuivent en faux plat, pour finir au pied du petit train à crémaillère de la Rhune allant tutoyer l’Espagne en haut de ses rails. Facile donc. Ensuite, la route du Col de la Pinodieta s’élève entièrement en pente douce depuis Ainhoa. Facile aussi. Pas de panneau au sommet, pour une altitude de 176m quand même ! On sait qu’on l’a passé en basculant dans la descente vers Espelette, toute proche. Après ces deux petits cols – il n’y en aura plus d’autres sur ce parcours – la route se poursuit tranquillement jusqu’au contrôle d’Itxassou.

Je pointe dans un recoin du village à la supérette bio, l’accueil est beaucoup plus agréable qu’au voisinage du bagnolard local typique, et c’est reparti. Début d’étape tranquille. La montagne est toujours là, verrouillant l’horizon. La route est facile malgré tout, parce que serpentant en suivant plus ou moins le tracé des vallées, sans aller s’attaquer au relief… contrairement à d’autres Flèches ! Les longues bosses, comme celle à l’approche d’Hélette, sont très rares. En s’élevant, les nuages se sont amassés de plus en plus nombreux au point d’être menaçants. La pluie semble prête à tomber même si le ciel reste sec pour l’instant. À Armendarits, je suis pris dans un gros troupeau de moutons qui s’accapare la route du champ à la ferme, m’entraînant avec eux avant de rentrer seuls au bercail, sans chien ni berger. Le Raleigh Super Course MkII de 1977 se mêle docilement au flot. Dans le patelin suivant, changement de bestiole. Un clébard me prend en chasse avant de renoncer assez vite. À deux ou quatre pattes, toujours aussi agréables aujourd’hui, les Basques ! Comme lors de ma Flèche Paris – Luchon, les attaques de chiens se répéteront. L’église blanche de Garris m’attire. Je fais le plein des bidons au cimetière attenant, puis en m’éloignant du bourg l’horizon s’ouvre, laissant la montagne derrière moi en changeant de cap de l’est au nord. La météo également est changeante, et cette fois dans le bon sens ; après Gabat, vers la fin d’après-midi, les nuages s’évaporent d’un coup. Finie la menace de pluie imminente… après n’avoir ressenti que quelques gouttes isolées. La route aussi s’est améliorée, devenue paisible, bien loin de la circulation grouillante de la première étape. Carresse n’en est pas une, avec son raidillon qui peut surprendre en quittant le village. En effet, les camions sortant de la carrière située juste avant la montée ont recouvert la route de poussière blanche, au point où – dans une perspective un peu masquée – elle pourrait apparaître comme un chemin privé de l’entreprise. En passant par Lahontan, blotti au creux de la vallée du Gave de Pau, quelques vieux sont sortis sur le pas de la porte. Image du temps passé, tradition ordinaire, nostalgique ; des Hommes avant tout, avant que les EHPAD n’en fassent leur matière première. Ils deviennent rares les bourgades où l’on installe les anciens sur une chaise, au spectacle du monde qui défile devant chez eux. Le jour sur le déclin s’installe sur les grands bouts droits et plats en direction de Pomarez. Je m’arrête aux toilettes du cimetière pour me décrasser après cette petite journée de route. Bien que je n’ai démarré qu’à midi, ça fait quand même du bien. Une petite pause au crépuscule et c’est reparti. En passant par Saint-Geours-d’Auribat, la tuilerie ronronne d’une petite musique aiguë, presque cristalline dans le calme nocturne. En traversant Tartas, je dois rater quelque chose. Pas de panneau de direction. Pas ce qui m’intéresserait en tout cas, alors mon flair n’est pas terrible sur ce coup-là. Je ressors par je ne sais pas où, pour atterrir à Carcarès-Sainte-Croix. Un coup d’œil sur ma carte indique qu’il n’y a pas de route qui permette de rattraper l’itinéraire. Rien avant longtemps qui parte à gauche – le cours de la Midouze barre le passage – et d’ici là, que des petites voies douteuses à suivre. J’hésite, pas envie de faire demi-tour, de retourner dans une ville où je ne sais même pas si j’arriverai à mieux pour m’orienter. Le risque est surtout de perdre beaucoup de temps pour en arriver au même point. Ça ne vaut pas forcément le coup, alors c’est parti pour une dizaine de kilomètres de suspense nocturne le long d’un chemin improbable… qui s’achève finalement sur la bonne route – en la rattrapant à Saint-Yaguen – après avoir suivi scrupuleusement ce que m’indique ma carte, en l’interprétant correctement sous le regard curieux des chevreuils, nombreux dans cette zone forestière où il ne doit pas passer grand monde la nuit. Après être revenu sur le bon chemin, je retrouve les grands bouts droits tracés à travers la forêt des Landes. Quelques nappes de brouillard émergent par instants, taches claires dans le noir, présence fugace au milieu de cette éternité peuplée d’arbres. La température n’est pas trop retombée, tout va bien. Cette étape facile, faiblement vallonnée en première partie pour devenir quasiment plate en deuxième, s’achève au contrôle de Luxey.

En repartant au cœur de la nuit, je tire encore des grands bouts droits. Rien ne change : les mêmes ombres noires des arbres dans le gris anthracite du clair de lune, les mêmes yeux curieux des chevreuils surpris dans la lumière de ma torche. Seule la température chute et mon souffle en devient épais et blanc. Par moments une clairière dégage l’horizon. La route est plate jusqu’à La Réole où le vieux pont est fermé pour raison de sécurité. Un tel ouvrage devrait tout de même encore pouvoir supporter le poids d’un vélo, et je passe… sans aucun problème. La brume s’intensifie tandis que le jour tarde à revenir dans le petit matin glacial. Le profil devient faiblement vallonné pour atteindre Duras, perché sur sa butte. Une longue côte permet d’accéder à Savignac-de-Duras, puis en désertant le vignoble, le parcours offre un bon répit. Platitude autour de Sainte-Foy-la-Grande à proximité des méandres de la Dordogne… dont il faut s’écarter par une belle montée à Le Fleix, en poursuivant tranquillement à travers bois jusqu’au contrôle de Mussidan.

La route repart facile en suivant la vallée de Lisle, avant de s’en éloigner à Saint-Astier en grippant sur les hauteurs. De retour en plaine à Tocane-Saint-Apre, le parcours redevient facile… jusqu’à la longue remontée suivant Saint-Pardoux-la-Rivière, rugueuse. En fait, cette étape se corse dans sa dernière partie, avec des passages bien vallonnés jusqu’à La Coquille. Une belle bosse permet ensuite d’arriver à Bussière-Galant, puis le profil de la route reste légèrement gondolé en fin d’étape. Une bosse apparaît de temps en temps, rien de difficile cependant. Les panneaux de directions locales sont aux trois quarts effacés, heureusement l’orientation est simple pour atteindre le contrôle d’Aixe-sur-Vienne, à deux pas de Limoges.

Après la traversée de la rivière, c’est reparti par un court raidillon pour s’extraire de la ville, en s’écartant du grand axe, la N21. Sur ce début d’étape, le vallonnement est davantage marqué. Beaucoup de circulation cette fin d’après-midi dans l’agglomération limougeaude. À Saint-Jouvent, je suis une nouvelle fois pris en chasse par deux roquets hargneux, décidément ! L’horizon de monts et de vals boisés s’incendie à la tombée du jour dans des nuages effilochés, toiles d’araignées pyromanes, beauté toute simple et incroyable. Jusqu’à Roussac les bosses ne sont jamais bien longues, et avec, entre deux, de bons répits de portions plates. La nuit tombée, une petite halte aux toilettes publiques derrière la mairie de Saint-Georges-des-Landes offre un ilot de chaleur dans les ténèbres déjà glacées. En repartant, j’ai l’impression que les bosses s’enchaînent avec beaucoup moins de répit, mais non, c’est juste une impression passagère, tout va bien. L’entrée de Saint-Benoît-du-Sault – site des BCN / BPF du Berry – est en travaux, rien de dramatique, le vélo passe tout de même. L’antenne militaire plantée sur les hauteurs avant Luzeret, se retrouve dans la ligne de mire en terminant la montée de la bosse. Elle apparaît féerique dans ses lumières vives d’un rouge tranchant, déchirant la nuit et quelques volutes de brouillard bas, tandis que plus haut vers le ciel elles rivalisent avec les étoiles. Le contrôle de Saint-Gaultier n’est alors plus qu’à une douzaine de kilomètres.

En repartant, l’atmosphère devient vite glaciale, cette fois vraiment. Ne pas s’arrêter pour ne pas être pris de tremblements irrépressibles, l’aube finira bien par revenir ! Le différentiel de température est énorme ce début octobre, entre jour trop chaud et nuit trop froide. En une dizaine d’heures on est passé d’un temps de juillet à celui de février. Le petit raidillon pour s’extraire de Pellevoisin – alors que je me les pèle moi-même – ne réchauffe même pas. L’église de Heugnes est vraiment superbe au petit jour. Dommage qu’en arrivant dans ce sens une espèce de grillage gâche une bonne partie de la perspective. Quelques petites bosses occupent le chemin entre Pellevoisin et Luçay-le-Mâle, qu’on atteint par une petite route étroite où il est difficile de croiser ou de se faire doubler par les camions, nombreux sur ce tronçon ce matin. Après Billy, retour au calme et retour en forêt Solognote que j’ai parcouru dans l’autre sens en direction des Pyrénées, il y a une douzaine de jours lors de ma Flèche Paris – Luchon. Les passages entre forêts et clairières se poursuivent jusqu’au Contrôle de Chambord. Le château se présente dans ses incroyables dentelles de pierres, là où lors de mon précédent passage, il était recouvert d’un linceul d’échafaudages. Pas de grosses cohues autour, pas de foule, pas de braillards, pas de selfies ; rien. Midi très agréable… car le site est providentiellement vidé de ses touristes par l’appel du ventre !

Allez, en selle. Passé le voisinage de la Loire, la route se retrouve vite en Beauce. D’évidence la traversée de ce désert céréalier n’offre pas l’étape la plus dure… ni la plus intéressante du parcours. Au contraire, dans cet univers horizontal l’ennui s’empare de moi, avec l’aide de ses deux redoutables alliés : la fatigue renforcée par deux nuits blanches à pédaler, et la chaleur qui m’entraîne dans une certaine torpeur cet après-midi solitaire. Je roule quasiment en pilote automatique. Pas prudent, pas bien rapide, pas grand monde non plus sur l’asphalte. Sauts de puce, un arrêt de temps à autre dans un rare coin d’ombre pour reprendre mes esprits, et c’est reparti. Les heures passent, laborieuses. Il faut dire que le chemin, je le connais bien, aussi rien ne m’aidera à tenir éveillé ! Seule la descente permettant d’atteindre le contrôle de Dourdan aura donné un peu de relief à toute cette platitude… dont je ne viens à bout qu’en début de soirée.

En quittant la ville, tout de suite la route se cabre, comme pour faire comprendre que cette dernière étape ne sera pas synonyme de calme plat. Pas un enfer non plus cette trentaine de kilomètres, mais il reste quelques belles grimpettes à affronter : une pour sortir de Limours et une autre pour se hisser sur le plateau de Saclay, en guise de cadeau d’adieu ! Pour une fois, le retour en région parisienne n’est pas trop dévoré par l’urbanisation, et bientôt Bièvres se présente, calme en début de nuit, pour le dernier pointage.

 

Voir ICI pour la Flèche réalisée dans l’autre sens avec un vélo moderne.

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