Les Flèches de France : Paris – Briançon (par le Galibier)

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Le cycle des Flèches de France 2007-2013,
épisode 16  bis.

Voilà, c’est fait. Je les ai réalisés toutes les 20, mais avoir terminé le cycle des Flèches de France sans être passé par leur point culminant, le Col du Galibier et ses 2642m, a tout de même comme un goût, pas forcément de trop peu, mais plutôt une saveur d’inachevé, de petites cuisses. Je me devais donc de refaire cette Flèche Paris – Briançon en version « été », passant par ce fameux col trop souvent fermé, plutôt que par l’itinéraire « de délestage » traversant Grenoble et Bourg-d’Oisans et grimpant au plus long mais plus facile Col du Lautaret.

Début août 2013, Ce n’est déjà plus les vacances pour moi depuis une dizaine de jours, mais comme j’ai tout de même quelques instants de libre, je ne résiste pas à la tentation de partir à l’assaut du Galibier. Cette période de canicule doit en principe m’assurer un temps clément en altitude. Pour varier les parcours et les plaisirs, j’emprunterai cette fois non pas le parcours touristique des Flèches, mais l’ancien parcours classique (celui des randonneurs, en temps limité). Voici donc une randonnée différente – mais pas totalement – de mon premier Paris – Briançon, entre terrain familier et inédit de la découverte. Pour le moment, je laisse volontairement de côté les nouveaux parcours apparus en janvier 2013 ; donc pour cette fois pas de pointage, pas de carton vert, pas de validation officielle. Le plaisir est ailleurs, tout simplement sur la route ! Pas de pression, pas d’enjeu, mais je vais tout de même réaliser comme toujours le parcours en temps limité ; non mais alors ! Pour finir, comme le temps – aussi bien météorologique que chronographique – me permet un peu plus, je me réserve une dernière gourmandise : une petite excursion finale vers la frontière italienne… Avant de retourner prendre mon train à Briançon. Cet homme est fou ? Mais non, si peu !

Pour vous donner une idée, voici l’ancien parcours de la Flèche de France Paris – Briançon en version classique. La partie rayée est l’itinéraire passant par Grenoble en période de fermeture du Col du Galibier… Les chiffres entourés en marges ne sont pas les étapes, mais le découpage de mes cartes routières !

 

Jeudi 8 août, départ au petit matin. Je ne cherche surtout pas à aller trop vite aujourd’hui, pour laisser s’évacuer la pluie… Qui ne doit en principe pas être trop loin devant ! En attendant, le temps s’annonce clair au petit jour avec une température agréable de 15°C. L’urbanisation parisienne s’étire, s’effiloche, puis en fini avec Melun. Comment dire, Melun, Melun… D’habitude, j’ai toujours eu des difficultés à m’orienter dans la ville, mais je parviens par m’en sortir sans trop de mal cette fois-ci. Du coup, j’en profite pour faire un petit arrêt contemplatif sur les berges de Seine en direction de Chartrettes. Le ciel laiteux cède vite la place à un soleil encore un peu pâle. En bordure de la forêt de Barbeau, les directions Héricy et Féricy forment un piège facile à éviter en étant un minimum réveillé. À Samoreau, je quitte les bords de Seine, agréables et à l’odeur pas si mauvaise – ici déjà loin de Paris – par la D210 qui marque la première belle bosse… Mais la suivante ne sera pas là de sitôt ! L’église Saint François de Champagne-sur-Seine, à l’allure si moderne avec sa flèche tellement effilée, apparaît soudainement, me surprenant toujours alors que ce n’est pas la première fois que je passe dans le coin. C’est peut-être ça une architecture réussie : arriver à susciter l’émotion même quand l’édifice est devenu familier. Je fais mon premier pointage photo en milieu de matinée à l’entrée de Moret-sur-Loing. Ce n’est pas parce que je refais cette Flèche de manière informelle qu’il faut se laisser aller !

Je passe encore une fois devant le conservatoire du vélo. Il faudrait vraiment que je m’arrête y jeter un coup d’œil, un jour. Je marque un court arrêt sur les berges pour prendre en photo le panorama sur la ville, mais trois personnes âgées en profitent pour se planter juste devant mon objectif. L’impolitesse n’est pas – comme le croit souvent le grand âge – l’exclusivité de la jeunesse. En repartant, la température est passée à 20°C sous le voile nuageux plus présent. Cette courte étape d’une petite cinquantaine de kilomètres est caractérisée par le plat des champs, jaunis et imberbes de la moisson récente. En quittant la région parisienne pour le Loiret, la route devient humide et moite, l’atmosphère est poisseuse. Effectivement, comme prévu par la météo, les pluies ne sont pas bien loin devant. Finalement rien de grave, le soleil jouera à cache-cache avec les nuages tout l’après-midi, et le temps s’asséchera peu à peu. Juste avant Saint-Hilaire-les-Andrésis, ma carte Michelin affiche un bien mystérieux symbole de col… à 137m d’altitude, quand même ! Bien entendu, je reste sur ma faim. Il n’y a en fait qu’une sympathique petite montée anonyme. Deuxième pointage vers midi à Courtenay, au panneau de l’entrée de ville, sous le regard placide des vaches de l’autre côté de la route, qui se demandent rêveusement ce que je fabrique.

À partir de Charny, la route croise l’ancienne ligne SNCF désaffectée Clamecy – Toucy – Triguères qui accueille maintenant le Cyclorail de Puisaye. Puis à l’approche de Villiers-Saint-Benoît, je passe par un deuxième lieu-dit La Montagne. Mais pourquoi est-il, lui encore, en terrain plat ? Un petit vent se lève sur la plaine, pas de quoi être agaçant, juste de quoi rafraîchir un peu les 27°C de l’après-midi. De Mézilles à Sainte-Colombes, je roule en terrain connu. Je suis un tronçon commun à la Flèche Paris – Nice qui m’a valu quelques déboires (la tentative ICI et la réussite ). Les toilettes publiques sur la place de Lainsecq me permettent de remplir mes bidons… à sec ! Même si le jeu de mots est facile, la situation est réelle. Clamecy m’apparaît familière avec sa cathédrale étroite dressée vers le ciel ; et le dos rondouillard en béton armé de Notre-Dame de Bethleem, comme une tortue échouée en bordure du Canal du Nivernais. Après quelques prémices, pas de doute, à partir de Nuars la route se fait vallonnée. Sans doute à cause du changement de rythme, les jambes sont molles, seule défaillance passagère sur cette flèche. Pointage photo à Lormes où je me remémore un arrêt avec Laurent, en chemin pour se rendre au départ de la Flèche Vélocio 2011, expliquant cette route qui me dit quelque chose depuis Clamecy.

Fin du jeudi après-midi. Avant de quitter Lormes, et avant la fermeture des commerces, je me ravitaille à la supérette du village. Cette étape offre enfin du dénivelé – quand même 2000m pour 150km – en guise d’échauffement, et avant d’affronter la montagne. Je retrouve ce Morvan que j’ai sillonné plus d’une fois. J’admire le panorama vers le lac de Pannecière en contrebas, puis le jour baissant, Château-Chinon arrive bientôt. La nuit s’installe doucement avec ses 12°C et son ciel étoilé. Peu de circulation, nuit noire, lune nouvelle. Il faudrait que je revoie sérieusement mon planning, décidément je n’ai pas souvent droit à la pleine lune cette année ! Je croise un groupe de trois cyclos bien éclairés tranchant l’obscurité d’en face ; rencontre rarissime bien que je roule souvent de nuit… Et je dois dire que j’aime ça ! Pas de réponse à mon salut… Tant pis, bon vent les gars. Plus tard, une voiture me double sous les braillements excités de ses occupants ; la routine. À Montchanin-le-Haut, les illuminations lointaines du Creusot sont fascinantes au cœur de la pénombre. La Galoche, Saint-Gengoux-le-National, Collonge, même de nuit la route a des airs connus. Cette fois l’itinéraire est commun avec la Flèche Paris – Briançon en version touristique. Pointage au Col de Brancion (354m) sans panneau d’indication, et devant le seul commerce du site : une Crêperie – Bar arborant un aimable écriteau « Villa piégée » pour sans doute rassurer les visiteurs nocturnes dont je fais partie. On peut faire plus accueillant !

Tout aussi plat et tout aussi anonyme, je passe par le très discret Col de Beaufer (et ses 303m) avant d’arriver à Tournus, endormie en fin de nuit. Jusqu’à Pont-de-Vaux, encore une portion commune avec la Flèche Briançon en version touristique. Vendredi 9 août, le jour se lève sur un brouillard de toute beauté. Encore une nuit blanche de passée sans problème. En traversant Saint-Didier-d’Aussiat, le soleil a gagné la partie sur la brume, quelques charpies de nuages l’ont remplacée. Je fais une toilette sommaire et le plein de mes bidons au cimetière de Chaveyriat. La fraîcheur de l’eau est revigorante en ce début de matinée. Le soleil n’est pas encore cuisant, aidé d’un fond de vent rafraîchissant. J’arrive à Chalamont après une sensation de fin d’étape redevenue plate depuis Tournus.

Le début de cette étape me paraît fastidieuse, car plate et assez passante ce vendredi matin. Heureusement, après Saint-Genix-sur-Guiers – et l’orientation délicate de son approche – le parcours redevient inédit. Je quitte l’itinéraire « hiver » pour grimper vers le Galibier. Mais avant, je dois passer par les cols de la Crusille et de l’Épine. Déjà à 27°C en fin de matinée, puis la température monte à 31°C. Le Col de la Crusille peine à se dévoiler avec de longs replats, voire de légères descentes. Après Le Mollard, dernier replat ; puis vers le sommet, à Sainte-Marie-d’Alvey, je profite de la présence de la pompe à eau sur la place du village pour faire le plein des bidons et me rafraîchir. Terrassé par la chaleur, l’appareil photo a un coup de chaud en prenant le cliché – complètement zébré – du sommet du col, puis refuse obstinément de s’allumer. Ça ne va pas recommencer, l’appareil qui se met encore en panne au moment d’affronter les cols, un grand classique, comme sur ma Flèche Paris – Bellegarde ! Comme j’espère arriver à le ranimer, je le cache au frais bien au fond de la sacoche, en le ressortant le moins souvent possible. En attendant, je me laisse glisser jusqu’à Novalaise, pour pouvoir enchaîner avec la montée du Col de l’Épine. Petit par la distance et par la hauteur, contrairement au précédent, ce col se mérite. Pas de répit, pas de replat, un pourcentage toujours fort, quasi constant autour de 9 % dans les six derniers kilomètres, et avec quelques pointes à 12 ! En m’élevant, je suis récompensé par la magnifique vue sur le lac d’Aiguebelette. Sur la route sinueuse, comme la montée se fait plus douce sur la fin, je pense commencer à descendre alors que je n’ai pas encore fini de grimper… L’ascension se poursuit encore un moment en faux plat. Le sommet tarde à se dévoiler, puis se décide enfin à apparaître. Je tente une photo, l’appareil s’est remis à fonctionner, mais prudence ; je continuerai à l’économiser cet après-midi car je veux ma photo du Galibier, na ! En redescendant, le panorama sur l’agglomération de Chambéry est époustouflant.

Je me perds un peu dans Cognin, avant de faire demi-tour et de retrouver le chemin de Chambéry. En entrant en ville, je fais mon pointage photo. Chambéry si belle vue d’en haut, est extrêmement grouillante vue d’en bas. La circulation est infernale ce vendredi après-midi. Encore une étape plate alors que les montagnes sont toutes proches. Je ne pensais pas suivre autant les vallées sur cette partie du parcours, du coup j’ai une bonne avance sur mon timing prévisionnel. Passer le Galibier de nuit serait idiot et dommage, un tel monument ne le mérite pas. Bien que j’aie passé en nocturne bien d’autres cols, pour celui-là ce serait commettre un véritable outrage. J’ai tellement de nuits restées bloquées sous les paupières que je ne suis pas à une insomnie près, mais pour éviter un tel sacrilège, je vais m’arrêter pour une courte nuit à l’hôtel Ibis de Sainte-Marie-de-Cuines, non loin de l’étape de Saint-Jean-de-Maurienne… Le réveil sonne, samedi 10 août, 5h du matin. Je me rhabille des vêtements encore humides de ma petite lessive improvisée d’il y a quelques heures. Ils sécheront bien un jour, il faut savoir voyager léger ! Après un bon café, c’est reparti. Peu à peu, les montagnes en ombres chinoises commencent à se détacher de la pénombre. Je fais mon pointage photo au petit jour à l’entrée de Saint-Jean-de-Maurienne, puis flâne un peu en ville. Comme en d’autres temps à Malaucène avant d’affronter le Ventoux sur la Super Randonnée de Haute Provence, me voici encore une fois au pied du mur, sans échappatoire possible, mais je l’ai bien cherché ! Le duo Télégraphe – Galibier est le symbole même du fantasme cyclo-montagnard, un fantasme absolu pour un très mauvais grimpeur tel que moi, alors il faut bien s’y frotter. Tout ça pour quoi ? Le goût de l’effort, le sens du défi. Cet orgueil dérisoire de se dire rien que pour soi : je l’ai fait !

De Saint-Jean-de-Maurienne à Saint-Michel-de-Maurienne, je suis en Moyenne – devinez quoi – Maurienne, bien sûr ! La route s’élève en faux plat, puis en tournant sur la D902, les hostilités sont lancées. Pas de doute, je suis en route pour le Col du Télégraphe. A priori, ce col ne me paraît pas plus dur que celui de l’Épine passé la veille, mais je reste calé à 7km/h tout à gauche ! Les rares fois où j’essaye l’avant-dernier pignon, je ne le garde pas bien longtemps. Il ne s’agit pas de forcer dès le départ, avant le Galibier. Pauvre Télégraphe, lui qui doit sans doute être passé plus d’une fois en douceur à cause de son grand frère, mériterait sans doute mieux. Malgré mes vêtements encore humides et les 10°C, je me découvre car j’ai déjà chaud. L’expresso de ce matin n’était pas vraiment une bonne idée, j’en suis à mon troisième arrêt pipi en quatre kilomètres… Au moins, je profite du paysage ! Il est encore tôt, le soleil bas et les nombreux sapins assurent une ombre fraîche bienvenue. Je me fais doubler par quelques cyclos matinaux. Pas de quoi m’affoler. Par miracle, les huit derniers kilomètres d’ascension se font sans autre pause, sans envie de pisser, à allure lente et régulière… Comme moi ! 1h50 plus tard, j’atteins le sommet du Télégraphe. Mes genoux ont mérité une pause pour leur petit massage anti-inflammatoire. Comme il ne fait encore qu’une douzaine de degrés, je me recouvre pour la descente sur Valloire. En sortant du village, l’ascension du Galibier commence, puis rapidement se transforme en faux plat ne dépassant pas les 3 % sur des kilomètres. À 13km du sommet, dernière pause. Un col ne se monte pas en s’arrêtant toutes les cinq minutes ! Il reste 1000m de dénivelé à grimper (plus des peccadilles, mais ne pinaillons pas). Le soleil est maintenant bien levé, pas un nuage, pas de vent, pas d’urgence, alors je reprends ma tactique du 7km/h tout à gauche. Les cyclos sont maintenant bien réveillés – curieusement, je viens de passer le hameau de Bonnenuit – et je me fais doubler par tout ce qui roule. Très peu de saluts en passant. Murés dans l’effort, tout à leur ascension, concentrés sur l’extraordinaire travail de pompe de leurs quadriceps ; même les Allemands sentent bon dans l’acharnement. Plan Lachat, hideusement envahi par les voitures, marque le vrai début des hostilités. Un petit vent glacé commence à souffler. Le col devient bien plus difficile ; mes 7km/h vont par moments flirter avec les six, si, si ! Après je ne sais plus combien d’autres, un cyclo me double, puis un autre, sans vraiment arriver à prendre le large bien que je ne force pas l’allure. Les deux qui m’ont passé n’ont pas plus de jus que moi… Ça console pour une fois. Je ne force pas vous dis-je, je profite du paysage grandiose, moi Monsieur ! Enfin c’est ce qu’on dit quand on n’est pas doué. En tout cas, je ne suis pas assez rapide pour les repasser, ni assez lent pour ne pas être gêné par eux. Après une longue poursuite en accordéon, je me décide à 6km du sommet à doubler l’un… Puis à passer l’autre. Ne pensant pas avoir beaucoup d’énergie supplémentaire, je m’aperçois curieusement que je les dépose assez facilement. En fait mon rythme, que je conserverai, s’est accéléré prodigieusement… Autour des 8km/h, mais oui ! 4km du sommet, mes genoux se réveillent, douloureux comme dans le Télégraphe. 2km du sommet, je crois halluciner en voyant au loin, au-dessus des lacets de la route, tout en haut, une minuscule pancarte que je prends pour le panneau du col. C’est bien vrai, la fin est donc toute proche ? 1km du sommet, je suis soudainement essoufflé, vraiment, l’oxygène manque, on sent bien que l’air est moins dense. Au-dessus de ma tête, la pancarte devient réelle, plus nette, évidente… J’arrive ! Je fini la dernière centaine de mètres sauvagement, en danseuse apnéique et rageuse, l’occasion de rendre enfin 3 ou 4 pignons délaissés depuis bien longtemps. 2h20 pour venir à bout du Galibier, enfin ! En m’arrêtant, je suis tout de suite saisi par le vent glacé. Je me recouvre aussitôt, pourtant la température n’est pas si basse, mais ça souffle ! Le sommet du Col du Galibier à un goût d’absolu. Ici on s’approche du ciel, c’est une banalité à dire, mais une banalité extraordinaire. Nous ne sommes plus dans le domaine des Hommes, leur présence est une imposture, la mienne un sacrilège. Un environnement à rendre mystique le plus cartésien qui soit. Les étoiles ne semblent pas bien loin, on les devine cachées tout près, juste derrière l’écran bleu clair immaculé de cette fin de matinée. Je ne peux pas m’empêcher de sourire comme un gamin venant de recevoir un fabuleux cadeau. Je finis mes petits carrés salés au comté face au glacier, un plaisir simple. Bon, ce n’est pas le fromage à bouffer ici, ce n’est pas local ; mais m’en fiche, j’ai faim ! Quelle beauté, quelle ascension magnifique. Hélas, il va bien falloir redescendre. Pensant l’avoir manqué dans le flot des arrivées, un bon quart d’heure plus tard alors que je vais repartir, arrive enfin un de mes deux poursuivants… Comme quoi je ne suis peut-être pas si mauvais que ça ? Avant d’amorcer ma descente, le grotesque reprend ses droits : un automobiliste prend le panneau du sommet en photo, sans même descendre de sa voiture. Quel exploit ! Puis un feu rouge surgit, improbable et inattendu à cette altitude, régulant la sortie du tunnel court-circuitant le sommet. Sur ce versant, la végétation est exubérante de floraisons, alors que sur l’autre, l’herbe se contente de coloniser, seule, le minéral. Petit arrêt au sommet du Col du Lautaret, il suffit maintenant de se laisser glisser jusqu’à Briançon. Pas de souci, cette petite trentaine de kilomètres je la connais de l’année dernière. Alors que la visibilité est bonne, en face un cyclo se fait doubler par un énorme camping-car. Que je sois en face ou non n’a aucune importance pour le chauffard. Je me jette sur les freins pour ne pas le prendre de plein fouet dans la descente. Je vise le bas-côté tout en hurlant autant que je peux contre cet abruti ; qu’il en profite un peu, sait-on jamais, s’il a sa vitre ouverte ; pour conjurer ma peur également… Quelle merveilleuse époque individualiste, où la vie humaine ne vaut même pas une seconde de celle d’un autre ! Le cœur lui aussi à bonne vitesse, je finis de dévaler la pente sans autre frayeur. Dernier pointage photo au panneau d’entrée de Briançon en tout début d’après-midi.

 

Voilà, c’est fini pour le tracé officiel de cette Flèche, mais je vais pousser jusqu’à Montgenèvre et la frontière italienne… Pour le plaisir d’un dernier col ! Malgré ma médiocrité dans cet exercice, je crois que je suis en train de devenir obsédé par l’altitude, par ce goût très particulier, celui des grandes solitudes où l’effort dicte sa loi et impose des envies, sans la gloire ni le sang, juste avec la sueur comme compagnie. Allez, assez divagué, en route ! Je traverse Briançon donc, et ne résiste pas à un petit arrêt pour visiter la ville haute. Les vieilles pierres sont bien conservées, malheureusement, la cité Vauban que je croyais juste à côté, se trouve en fait sur un éperon rocheux plus loin… Donc pas accessible en même temps. Tant pis. Je repars direction Montgenèvre et son col à 1854m. La N94 est large et assez fréquentée, mais finalement pas plus que la D1091 en descendant depuis le Col du Lautaret. La route peine à s’élever, puis on y est enfin. En chemin, je rencontre une grande cascade domestiquée tenant lieu de fontaine, ou l’inverse, je ne sais pas trop. L’eau sort du mur à l’image d’une large fente de boîte aux lettres. Comme ce début de samedi après-midi est déjà bien chaud, j’y fais le plein de mes bidons sous le regard étonné de cyclos descendant d’en face. Bizarre, alors potable ou non cette eau ? Je pense avoir ma réponse quand un couple âgé s’arrête de voiture pour en sortir une myriade de cubis à remplir. Comme ils ne répondent pas à mon bonjour, j’en reste là. Je n’en saurai pas plus. Sourds, italiens, impolis, peut-être les trois ; ce sera le mystère du jour. Le col n’est pas bien difficile à grimper, mais ce n’est pas une promenade non plus. D’un lacet à l’autre, le paysage se laisse contempler. Peu de vélos et beaucoup de voitures par ici. La température monte, les 30°C sont franchis. J’entre dans la très huppée Montgenèvre avec son golf sur la droite et sa large promenade en planches façon Deauville. Je sillonne le village de long en large sans jamais trouver de panneau de col, mais en pleine agglomération, le contraire serait étrange, non ? Je pousse jusqu’au poste frontière avec l’Italie, rien. Tant pis pour ma petite collection de photos, je crois que je deviens spécialiste des cols sans panneau ! Frontière italienne, terminus donc ; à un moment il faut s’avoir s’arrêter, mais il me reste à retourner sur Briançon. En redescendant le col, bien vite je suis confronté à une gigantesque file de voitures à l’arrêt, sur des kilomètres et des kilomètres. Je n’en ai jamais doublé autant de toute ma vie. La scène est surréaliste. Les passagers désœuvrés traînent sur toute la largeur de la route, des transats sont sortis des coffres et installés sur le bitume, des parties de badminton et autres jeux s’improvisent, et pour finir, il faut éviter les conducteurs italiens impatients faisant demi-tour, renonçant à aller plus loin. Bref, une vraie pagaille où la descente se fait dangereuse et au ralenti. Je découvre finalement la sinistre raison de tout ça : c’est apparemment la collision frontale de deux motos à l’approche d’un virage… En milieu d’après-midi, j’arrive finalement à retourner sur Briançon où je prendrai mon train pour Paris. Fin de la randonnée après 800km et pas loin de 9000m de dénivelé.

 

Alors, faire la Flèche Paris – Briançon par Grenoble et le Lautaret, ou directement par le Galibier ? Les deux ont leur charme… différent. En passant l’année dernière par le Col du Lautaret – alors que celui du Galibier était encore enneigé mi-mai le paysage ne m’a pas semblé du tout le même, bien que ces deux cols soient finalement tout proches. Pour le grandiose et la beauté, je dois dire que le Galibier l’emporte largement, et cette Flèche, même faite de façon informelle, restera sans conteste ma préférée. Alors en résumé, si pour cette sortie vous avez la patience d’attendre l’ouverture du Col du Galibier, vous ne serez pas déçus !

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