Fuji Sagres – (modèle 1985)

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Alors que son industrie du cycle est plus que moribonde, la France n’a plus qu’à offrir la nostalgie d’un géant défunt. Le monde asiatique a depuis longtemps tiré la couverture à lui, avec le géant Shimano en incontournable figure de proue depuis des décennies. Alors dans toute collection de vélos qui se respecte, avoir une monture japonaise est sinon nécessaire, au moins la bienvenue ! Mais faire importer de ce côté du monde un vélo de keirin, machine emblématique de l’Empire du Soleil Levant s’il en est, peut s’avérer hors de prix pour ce qui ne reste finalement – je plaisante – qu’un « simple vélo en pignon fixe ».

L’éventualité d’un vélo japonais en est donc restée là… jusqu’à ce que le hasard me mette en présence d’un cadavre incomplet de Fuji, visiblement des années 80 et destiné au marché américain. Ni trop vieux ni trop jeune, ni traîne-couillon ni bête de course, tout dans le compromis et sans rien de bien excitant… sauf le prix d’une vingtaine d’euros, auquel je n’ai pas pu résister ! Voici donc l’état dans lequel j’ai récupéré la chose, un vélo japonais vendu en Louisiane – à en croire le sticker d’un revendeur de Bâton-Rouge – pour finir échoué ici en France à deux pas de Paris, au terme d’un parcours assez improbable. Fuji est une marque nipponne qui a largement dépassé le siècle d’existence, et si ses vélos sont maintenant assez bien distribués en Europe, ce n’était pas le cas par le passé.

Présentation

Comme on peut le voir, il reste tout de même la plupart des éléments sur cet exotique Fuji Sagres… au nom de bière portugaise ! Une vingtaine de balles pour un vélo – ordinaire mais pas courant en France – dont il ne manque que le poste de pilotage, les roues et le pédalier ne m’aura pas franchement ruiné, surtout en le complétant partiellement avec des pièces qui traînent – quelque part – dans tout mon bric-à-brac…

L’ensemble cadre / fourche (de 1985) est réalisé en tubes VALite 178 – produits vraisemblablement par Ishiwata – associés à des pattes avant et arrière SunTour. Une pure construction japonaise de qualité avec ces tubes à 2 amincissements successifs, « triple-butted » donc, pour le cadre de ce vélo ! Malgré ce raffinement, le châssis n’est pas très léger avec 2500g pour le cadre et 840g pour la fourche… mais pour un ensemble en taille 62, quand même ! Ce poids semble davantage en accord avec le modèle de l’année précédente (1984) et ses tubes VALite 414 à simples amincissements. Alors, est-ce que les grandes tailles ont vraiment été montées en tubes à doubles amincissements au risque de manquer de rigidité (voire de provoquer des fissurations), ou en tubes moins travaillés, mais en gardant le sticker apportant une plus-value marketing ? Comme le coloris ardoise était présent au catalogue des deux années, l’hypothèse est à considérer.   

Compléter le puzzle

D’après le catalogue d’époque, les Fuji Sagres étaient montés avec une roue libre SunTour. Sans monter dans le haut de gamme – puisque ce vélo n’en fait pas partie, malgré la qualité de son cadre – une roue libre SunTour du milieu des années 80 ressemblait typiquement à ces Perfect 5 et 6 vitesses, datées de 1984 et 1985 (voir ICI pour la datation des composants japonais). J’aurais donc pu monter celle de gauche sans problème… à un détail près : l’étagement des 6 vitesses est ici bien trop serré pour respecter l’origine. Dommage !

Cette roue libre Shimano avec ses pignons de 14-16-18-21-24-28 se rapproche davantage de l’étagement 14-16-19-22-26-30 initial. Ne chipotons pas pour deux dents. Seul problème, elle date du début des années 90. Alors, gros anachronisme ? En fait, non, car en observant les pignons Shimano du milieu des années 80, on remarque – sur les séries 600 et Dura-Ace notamment – les mêmes dents au profil haut et tournées de travers à leur extrémité… donc point de vue époque et origine japonaise, ça colle !

Le cas de la roue libre étant réglé, reste celui des roues tout court ! Petite particularité, ce cadre recevait des roues au standard américain de 27″. Oui, oui, 27″ tout rond, pas le fameux 27.5″ remis à la mode et adulé par ceux-là mêmes qui trouvaient le 650b totalement ringard jusque-là (sic !). Je m’égare… Bref, avec un diamètre de 630mm au lieu de 622, ce 27″ est donc très proche de notre 700c, format incontournable de ce côté-ci de l’Atlantique. Les jantes Ukai d’origine ayant l’air de machins larges et ordinaires, j’y gagnerai à monter ce que j’ai en stock : une paire de roues construites autour de jantes Mavic Module « E » qui n’ont rien à voir – mais ont au moins l’avantage d’être en 700c tout ce qu’il y a de plus standard – et dotées de bons moyeux japonais Suzue d’époque.

Passons au poste de pilotage. Pas simple. Si les leviers de frein Dia-Compe 500 peuvent à peu près se dénicher sans trop de problèmes, il n’en va pas de même des manettes de dérailleurs SunTour fixées à la potence, de la potence elle-même – une Nitto Young – et du cintre – Nitto Universiade B104 – tous trois de bonne qualité et introuvables en France.

Je ressors de mon bric-à-brac une paire de leviers de frein Dia-Compe 500 assez fatigués… et hélas comme dans mon souvenir : sans guidonnets ! Bon, les extensions de leviers c’est moche, ça ne sert pas à grand-chose – et c’est emmerdant si on veut faire du kilomètre en mettant une sacoche de guidon – mais ici ça manquera, si on veut essayer de coller au plus près à l’origine… surtout en considérant les libertés déjà prises avec les roues et la roue libre ! Un petit coup d’œil du côté américain et avec un gros coup de chance je rapatrie à peu de frais cet ensemble cintre / potence / leviers / manettes en excellent état. Bon, les manettes SunTour – énormes et laides – ne me plaisent pas. Une autre paire, plus discrète et conforme cette fois, arrangera l’esthétique du poste de pilotage. Sur le cintre, les leviers de frein Dia-Compe ont leurs guidonnets. Alors, conformes ? En fait non plus… enfin pas tout à fait ! Il y a un gros dilemme à l’horizon : leviers sans extensions mais conformes, ou leviers avec guidonnets mais dotés d’énormes ajusteurs de câbles très laids ? Comme on ne peut pas – sans rien abîmer – chasser les axes des leviers pour transférer les guidonnets, ni ôter proprement les tendeurs de câbles, il faudra choisir !

Pour finir, le clou du spectacle sera donné avec le pédalier. L’ensemble cintre / potence et les manettes de dérailleurs ayant déjà nécessité un petit budget – raisonnable tout de même – je n’ai pas eu envie d’investir davantage pour un véritable pédalier Sugino GP (ou à défaut un LP qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau). Dans un carton de pièces que j’hésite à mettre à la poubelle, j’exhume un horrible pédalier – jetable, justement – bas de gamme aux manivelles esthétiquement très proches du Sugino d’origine. Là, vous qui me lisez, si vous êtes un habitué de ce blog, vous voyez déjà où je veux en venir ! Bingo, il « suffit » de transformer ce pédalier jetable fatigué en quelque chose de durable et désirable ! Qu’à cela ne tienne, je vous détaille l’opération dans cet article. À part son cache étoile laissé tel quel, ce pédalier est devenu un « vrai faux » Sugino GP tout à fait acceptable…  d’autant plus que le grand plateau est un véritable Sugino neuf d’époque.

Et qui dit pédalier, dit naturellement pédales pour aller avec. Là c’est plus simple, des MKS sont faciles à trouver. Ce modèle Sylvan Track fera parfaitement l’affaire. Aluminium et forme semblable à l’origine, ces pédales ont l’avantage de ne pas avoir de cages trop féroces pour les semelles… Comme une paire neuve s’ennuie depuis une éternité dans mon stock, autant qu’elle prenne l’air, associée à des cale-pieds…

 

… qui n’étaient pas prévus d’époque, mais nécessaires pour faire sérieusement un peu de route. MKS donc – comme les pédales, pas de faute de goût ! – et tant qu’à faire, en aluminium plutôt qu’en acier chromé.

 

Comme il n’y en avait pas non plus de monté d’origine – bien que des filetages soient présents sur le cadre – le porte bidon Specialized sera conservé… par respect du vécu du vélo et de la santé de son pilote… car je n’ai pas particulièrement envie de mourir de soif, si je peux éviter !

Bon, une paire de pneus – bicolores et assez larges, pour faire comme à l’époque – du câble et quelques bricoles, et il n’y a plus qu’à assembler le tout ! Rien de bien sorcier.

Remonter le vélo

Pour commencer, un démontage complet s’impose pour contrôler l’état des pièces, et en profiter pour les graisser le tout après un bon nettoyage. La dépouille du vélo se révèle très saine, sans aucune mauvaise surprise, même le jeu de direction a ses cuvettes parfaitement lisses et sans la moindre trace de billage.

Preuve supplémentaire que ce vélo n’a pas dû rouler énormément, les patins de frein visiblement d’origine – pour un remplacement en usage courant, vous vous seriez emmerdé à remettre des DiaCompe, vous ? – sont à peine marqués du frottement contre la jante. Notez le souci du détail japonais avec les porte-patins en aluminium… mais aussi les écrous, ce qui est plus inhabituel.

Les roues en 700c – à la place du populaire 27″ outre-Atlantique – demandent un ajustement de la hauteur des patins de frein. Comme la différence entre les roues des deux standards n’est que de 8mm en diamètre – soit un abaissement de 4mm pour les patins – on reste sans problème dans la zone de réglage des étriers.

Si le dérailleur avant est conventionnel, l’arrière possède une ligne plus originale. Notez la vis de serrage du câble située au centre du parallélogramme, et son passage au travers. Inhabituel et sans souci en utilisation normale… mais avec un gros défaut de construction : l’alignement de la chape se fausse assez facilement, et sans doute davantage – mais je n’ai pas eu envie de vérifier ! – en cas de choc.

La flasque plastique située derrière la roue libre est un équipement qui respecte l’origine.

Les manettes de dérailleurs à la potence offrent un changement de rapports toujours à portée de main. Pas mal pour préserver votre dos, même si les passages de câbles supplémentaires donnent une ligne étrange à la colonne de direction, déjà très haute sur ce cadre.

Ces leviers de freins Dia-Compe sont conformes, même si ceux d’origine ne disposent pas des volumineux régleurs, assez laids il faut bien le dire, mais bien pratiques pour régler la garde des freins en roulant. Le côté pratique contrebalance la disgrâce !

 

 

Et voici le vélo au complet. 11kg tout rond. Un poids raisonnable en tenant compte de son positionnement – pour cycliste récréatif passionné ! – et de sa grande taille engendrant un surplus (cadre + fourche) d’au minimum 300g.

Son cadre de 62cm et sa colonne de direction démesurée lui donnent une géométrie étrange, presque vieillotte, mais finalement pas si grand que ça pour moi… et moins ridicule qu’un cadre de 54 avec un tube de selle exagérément ressorti !

Pour finir, un extrait du catalogue Fuji de 1985 présentant le Sagres, machine milieu de gamme plutôt axé trekking que course / route. Positionnement étrange avec ce cadre « triple butted », mais après tout, pourquoi un vélo de trekking n’aurait-il pas droit à un cadre de qualité ? Et pourquoi ne pourrait-il pas aller loin, comme sur cette Flèche Strasbourg – Paris.

 

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