BCN et BPF : Bourgogne – 89 Yonne & 4 pointages partiels

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Kilomètres réalisés : 11800
Provinces BPF validées : 18
Départements BCN validés : 44

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Il y a parfois des virées qui ressemblent à des naufrages, des choix qui n’en sont pas. Il y a quelquefois des imprévus qui ont des conséquences définitives. Si vous êtes attentifs à mes articles, vous savez que je fais ces BCN/BPF département par département, province par province, par circuit complet et pas comme simple aller de ville à ville, fût-il rallongé par un chemin tortueux ; alors forcément, vous vous en doutez, tout ne s’est pas fini comme je l’aurai voulu… et certains articles précédents vous ont donné des indices, mais peu importe ! Avec un peu de retard – et avant longtemps sans doute – voici donc mon dernier compte rendu de randonnée…

 

Mi-juin 2020, la nuit est tombée sur la gare de Sens et je m’extrais assez vite de la petite ville. Ténèbres calmes, route plate, mais ça ne va pas. Je suis essoufflé. Manque d’entraînement, ça va passer en quelques minutes, comme d’habitude. Et puis non, ça empire. Gros manque d’air, les dents me piquent, brûlent. Rage de dents symétrique, les molaires du bas, les deux côtés ensemble. Douleur terrible, comme si on essayait d’arracher les quatre d’un coup. Mes côtes semblent avoir rétréci aussi. C’est con, ce n’est pas possible, mais pourtant c’est complètement ça. Pas bon, je trouve le tableau évocateur. Angor ou angine de poitrine, comme vous voulez, alors je ralentis. Pour vérifier, et parce que je n’ai pas le choix. Ça tambourine fort dans ma carcasse, le palpitant palpite, se trouve trop à l’étroit là-dedans. Je tourne les jambes tout doux. L’air retrouve son chemin vers les poumons, mon thorax cogne moins. Je continue pépère et tout redevient normal. Mais quand même, ça craint. Vingt bornes sans forcer et me voilà à Vallery. Au cœur de la nuit, alors que mon cœur tout court va si mal.

J’y ai déjà pointé, je peux repartir, calmement surtout. Après une petite pause, les kilomètres plats défilent lents, très lents, ne pas forcer, ne pas insister, sinon rien ne va plus ! Fait chier, ni vieux ni hygiène de vie dégueulasse pourtant. Des deux côtés de la route se dressent des spectres bienveillants. Je devine en ombres chinoises des alignements de collines proches comme un avertissement. Pas encore de gros reliefs, mais ça viendra, vers le sud. En attendant la progression est tranquille. Sur la place du village de Dixmont, plongé dans les ténèbres, une vierge à l’enfant trône au-dessus de la grande vasque de la fontaine. Marie est incapable de garantir ce qu’il en coule : eau non potable, c’est écrit à ses pieds. La protection divine n’est plus ce qu’elle était, mais les clapotis joyeux sont agréables. Nuit profonde, je ne fais que passer. Traversée très calme, très sereine de la Forêt d’Othe. Néanmoins, le cœur reste sur la ligne de crête, ligne de démarcation entre les morts et les vivants… Et moi qui reste sur mes gardes ! L’odeur du bois coupé est agréable dans un air encore humide des pluies tombées la journée. Paisible comme les biches que je surprends dans le flot de mes projecteurs. Revenu à découvert, quelques grillons chantent. Au loin s’étale sur la plaine les lumières de Joigny et Migennes, et quelques traits rouges frémissants d’éoliennes. En sortant de Brienon-sur-Armençon, je longe la voie SNCF. Envie subite de train, de rentrer. Au cœur de la nuit, il y a du trafic sur la ligne. La fureur des trains de marchandise hurle tous les quarts d’heure. Le cimetière de Vergigny m’offre mon premier appoint de flotte pour les bidons. Juste après, je suis tenté de rejoindre la gare, d’attendre jusqu’au matin. 4h du mat’ ça fait tôt jusqu’à sept, mais y aura-t-il des trains après l’aube dans ce contexte de petites lignes redéployées ailleurs pour cause de Covid ? Je continue, on verra bien. À Chéu, la mairie se dessine en bout de rue sombre, oasis éclatant de clarté, contraste étonnant avec la lumière anémiée et blafarde du reste du village. Vers la fin de nuit, la Lune sort enfin de ses nuages et de l’horizon ; belle, rousse, parfaite moitié d’orange. Les pavés du centre-ville de Tonnerre sont assez rugueux, austères comme la petite ville semble en proie à la décrépitude. J’hésite à rejoindre la gare, trop tôt pour les voyageurs, les profondeurs de l’obscurité sont encore le royaume du fret. Pas envie d’attendre, pas envie de ruminer mon échec, de pester contre ce corps qui se délite bien avant les premiers assauts de la vieillesse, vaincu par les ténèbres. Les trains continuent de sillonner la nuit aveugle. Après une étape plate, j’attaque une belle butte en chemin vers Lézine, suivie d’une deuxième en sortie du village. Fin de nuit blanche dans un décor noir que l’arrivée du soleil lacère. Le pointage d’Ancy-le-Franc n’est plus très loin, la mise en route a été laborieuse, cependant. J’espère un peu de mieux pour la suite, tout en sachant que ce ne sera pas le cas.

Je quitte maintenant les abords de la voie SNCF qui s’est tue avec l’arrivée du petit matin. La brume se lève dans le creux des vallées, les nuages effilochés s’ourlent de gris et de rose, le soleil rasant inonde d’or les blés, deux biches s’enfuient en bondissant joyeusement à travers un champ de pois ; sérénité. L’étape est très courte, à peine une vingtaine de kilomètres sur une route qui commence doucement à se vallonner et me voilà à Noyers-sur-Serein, mais je sens que quelque chose ne va toujours pas.

Le petit village est très beau, les pavés du centre historique sont très rugueux aussi. Les maisons à pans de bois sont encore toutes à leur torpeur matinale, et des matinées, elles ont dû en voir passer facilement une bonne centaine de milliers. Le bourg est tranquille, désert, les écharpes de brume se délitent, une partie reste accrochée au sol, le soleil repeint en doré le paysage des environs tandis qu’oiseaux et grenouilles ne cessent de bavarder. Moment de flânerie avant de repartir. En chemin vers Nitry, cueillette de bigarreaux juteux. Progressivement plus ventrues, les collines font maintenant indiscutablement partie du paysage. Elles se ressentent dans les ondulations de la route, dans les jambes. Même si la poitrine va mieux, finalement je crois que ce n’est pas la grande forme. Euphémisme sans doute, mais je suis autant entêté qu’absolument pas du genre à me plaindre. Sacy est un joli petit bourg de vieilles pierres, un de plus sur ce parcours qui leur fait la part belle. De la brume très localisée et très dense plane près du sol. Lévitation incroyable. Impression grandiose de bientôt traverser les nuages compacts comme on peut le faire en montagne, mais cette chimère s’éloigne à mesure que je m’en approche tandis que se profile le contrôle d’Arcy-sur-Cure.

Cette courte étape légèrement vallonnée passe vite et se termine par une grimpette pour accéder à Vézelay. Je suis content de retrouver le village, il y a un moment que je n’étais pas passé par ici. Cette fois-ci j’aborde tout doucement le bourg sur sa butte.

Aucun jacquaire en déambulation, rues quasi vides. Mauvaise année pour Compostelle sans doute… comme pour beaucoup d’autres choses… Au terme d’une étape relativement plate comparée aux précédentes, courte aussi avec ses 30km, j’arrive à Montréal. Ne cherchez pas de Montréal-sur-Serein, sur les panneaux vous ne trouverez que du Montréal tout court ; même si la rivière, le Serein passe derrière le village. Pas grand-chose d’autre à dire, je suis dans un chapelet de contrôles très rapprochés.

Les six pointages de l’Yonne sont maintenant validés… Alors en route pour la Côte-d’Or ! Je repars par Guillon, encore un joli petit village comme il y en a eu beaucoup cette journée. Le serein coule tranquillement sous les arches de vieilles pierres du pont. La rivière est couchée dans un vaste lit d’herbe témoignant qu’elle peut prendre ses aises si l’envie lui en prend. Pause dégustation de cerises sauvages à l’entrée de Tourtry. L’acidité des petits fruits me fait du bien ce milieu d’après-midi, à force d’avoir ingurgité que du sucré. Je passe par Époisses et ses vieilles pierres, puis j’arrive à Sémur-en-Auxois, gros bourg mais avec encore un joli centre historique. La tour de l’Orle d’Or, sacrément lézardée de bas en haut, semble bien décidée à tenir encore debout pour un moment…. À moins que ! Pour le vélo c’est une autre histoire, avec les vieux pavés qui secouent terriblement, l’équilibre est plus précaire. Les températures de l’après-midi commencent à monter, et après les grands bouts droits ayant mené à Sémur-en-Auxois, je me lasse de ceux allant à Pouilly-en-Auxois. Ce n’est décidément pas la grande forme, ces longs toboggans mine de rien deviennent fatigants. Pour casser la monotonie, je change de décor : je quitte la route nue, le soleil, pour la voie verte. Je longe le canal de Bourgogne et ses écluses, je troque la large langue de bitume pour un peu de fraîcheur et de calme. Le plat absolu du chemin de halage me fera du bien, je peux avancer sans peiner. Sur la piste, quelques pêcheurs et cyclistes mais pas trop de monde tout de même. La partie située après le Pont Royal est moins bien entretenue, tant pis, ça roule toujours. De nombreux hérons cendrés semblent avoir pris leurs habitudes sur les berges. De loin en loin, ils s’envolent à mon approche. Le château de Châteauneuf-en-Auxois se voit de loin depuis la voie verte, dominant la crête. C’est là-bas sur les hauteurs que je dois pointer, en gravissant une rampe sympathique entre 12 et 14 % ! Grosse flemme. Laborieusement, je parviens à m’y hisser mal de dos compris, à force de m’agripper et tirer sur le guidon comme un damné.

J’admire le panorama ouvert sur le lointain, d’ici tout semble si plat, le paysage si tranquille. L’après-midi est déjà bien avancée. Je crois que j’ai besoin d’une bonne douche, d’un peu de repos. Je me demande si je peux pousser jusqu’à Autun pour faire escale cette nuit au camping. Sans doute limite sur les heures d’ouverture à force de rouler pépère, mais je verrai bien ; sinon j’improviserai un décrassage et un arrêt nocturne à m’assoupir quelque part. Il faut être joueur. Je commence par me laisser glisser dans la bonne descente me ramenant dans la vallée, puis je m’éloigne du Canal de Bourgogne. Un élevage de biches à l’entrée de Sainte-Sabine est très surprenant. Il ne correspond pas à l’idée de liberté et de noblesse que je me fais de ces animaux. C’est si triste, un troupeau de biches rendu servile dans une pâture ! Sur le chemin de Cussy-le-Châtel, un amoncellement de grumes exhale une odeur entêtante et acidulée de bois coupé. J’en profite à pleins poumons. Des draps gris pendent à l’horizon, de plus en plus près, je tourne autour des zones d’averses. Toute cette étape chemine sur la ligne de crêtes à travers des bosses assez raisonnables. Fatigantes tout de même. Avec un peu de chance j’arriverai à Autun avant que la pluie tombe.

Après une courte visite en ville, je plante le camp au camping d’Autun. Je serai bien rentré par le train – 350km dans la journée avec une méforme pareille, c’est bien assez – mais il n’y en a plus depuis belle lurette sur la ligne désertée. Des bus, ça me fait une belle jambe pour rentrer avec le vélo. Il faut continuer, je verrai demain. L’accueil est très sympathique et une douche chaude me font le plus grand bien. La pluie se met bientôt à tomber, et pour être au contrôle suivant à l’aube, je m’accorde quelques heures de sommeil… qui de toute façon ne vient pas. À minuit, malgré la nuit blanche de la veille, je n’ai pas franchement dormi, juste réussi à somnoler. Tant pis, la vie de randonneur est parfois rude. Je replie tranquillement mes affaires, et après un p’tit déj’ rustique, c’est reparti. La route s’élève longuement pour s’extraire d’Autun. Le souffle va mieux, mais il ne faut toujours pas forcer. Les étoiles peu nombreuses sont par contre très brillantes. Nuit pour l’instant sans lune, qui se lèvera plus tard, vers trois heures. Je navigue entre les monts que je devine plus sombres. Dans mon cœur aussi quelque chose de sombre continu à rôder. À l’approche de Charmoy, la lune annoncée par sa clarté nébuleuse sort enfin de l’horizon. Une belle portion de descente me permet de récupérer un peu. Au loin, en contrebas, la plaine urbanisée dévoile les lumières du Creusot. Les grenouilles coassent joyeusement dans l’étang de la Sorme, on pourrait presque les apercevoir dans les reflets de lune sur les eaux calmes. Fin de nuit tranquille malgré une succession de longues bosses. Le ciel commence à s’éclairer de la promesse de l’aube entre les grosses taches d’encre des nuages opaques. Pour éviter les grandes routes et les passages en ville, même si à cette heure tout est très calme, je fuis l’urbanisation en traçant mon chemin entre Le Creusot et Montceau-les-Mines. J’essaie de voir s’il y a des trains partant des environs. Envie de rentrer, de me faire rapatrier. Entre les lignes remplacées par des bus, celles n’acceptant pas les vélos, les convois complets ou annulés et les lignes fantômes redéployées ailleurs pour cause de Covid, pas de train à espérer avant longtemps. Pas trop  le choix, il me faut continuer. Je trouve le temps long. Au petit jour, j’aperçois enfin une grande antenne de télécommunication plantée sur sa butte. C’est là que je vais, il va falloir grimper ; encore ! Mont-Saint-Vincent n’est plus très loin mais ma moyenne s’effondre. J’y accède en retard, l’aube largement passée, par un raidillon finalement assez court… Calmement, je tiens le choc.

Comme pour Châteauneuf-en-Auxois, les hauteurs de Mont-Saint-Vincent permettent d’avoir une sacrée vue dégagée sur la vallée, bien au-delà de l’agglomération de Montceau-les-Mines et de l’ancienne centrale électrique de Lucy dont la cheminée abandonnée se dresse comme un phare au milieu du tissu urbain. En repartant, cette étape se présente comme une succession de toboggans assez usants, surtout en deuxième partie. J’avance lentement, très lentement… laborieusement ! Le Col du Bois Clair est finalement assez facile, lui, et surtout grimpe moins haut que les plus belles bosses permettant d’y accéder en chemin depuis Saint-Bonnet-de-Joux. Juste après, la cité médiévale de Berzé-le-Chatel apparaît, vraiment grandiose sur les hauteurs boisées des monts. Le site est impressionnant par sa grandeur comme par son état de conservation. D’ici, le géant semble avoir traversé les siècles intact. Y accéder se mérite par une montée à 10-12 %. Doucement, garder le cœur au calme surtout !

Fin de matinée, cette fois je peux court-circuiter ce parcours, l’abandonner en route, en finir. Aller vers le quatrième département de cette province de Bourgogne, prolonger vers l’Ain et remonter par le Col de la Faucille, ne serait pas du tout raisonnable. Ce n’est pas dans mes habitudes, mais là ça ne va pas, rien ne va plus, et en rejoignant Mâcon à une vingtaine de kilomètres de là, je pourrais enfin avoir un train qui voudra bien de moi. Reste à faire comprendre aux gens de médecine que même en ayant fait 500km ça ne va vraiment pas, et que ce n’est pas seulement la fatigue normale d’être parti au soir après 10h de boulot, d’avoir fait une nuit blanche et une deuxième à ne somnoler que quelques heures, mais que c’est bien plus grave… À vot’ bon cœur, et prenez soin du mien, Docteur !

 

Malgré un début de parcours assez plat, mes soucis de santé ont éclipsé le fait que la route était finalement plutôt vallonnée (avec 5700m de dénivelé pour 500km). Bien entendu, je referai ces BCN/BPF bouguignons dans leur totalité et sous la forme d’un vrai circuit. Une forme plus conventionnelle pour moi, pour mon approche – peut-être trop – puriste… mais plus tard ; plus tard !

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