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Jeudi 30 mai, début d’un long week-end, celui du pont de l’Ascension. Je n’ai pas roulé depuis un mois. Année de Paris-Brest-Paris oblige, j’ai déjà enquillé mes brevets qualificatifs de 200, 300 et 400 km. En double, sauf pour le 200, qui m’ennuie toujours profondément. Et pour ne pas trop ramer sur le BRM 600km d’Andresy la semaine prochaine, il vaut mieux que je roule un peu. Je retourne donc à mes BCN / BPF et en avant pour l’Anjou, province ne comportant que le département du Maine-et-Loire… mais impossible à boucler en une journée, vu les horaires des trains acceptant les vélos, et la répartition des points de contrôle. Départ tranquille, donc, le samedi matin 8h à la gare de Paname Austerlitz. Aller faire du vélo un week-end de l’Ascension, et du côté des bords de Loire, n’est pas forcément une bonne idée. Pas originale en tout cas. Tout un petit monde semble bien décidé à profiter de ses quatre jours de pont, tellement il y a de passages en gare ce matin. Moi je n’en demande que deux, pour revenir à Paris demain. En attendant l’affichage du quai de mon train, la noria frénétique des allées et venues des valises à roulettes devient entêtante. Le ronronnement rugueux est hypnotique. Est-ce qu’auparavant les gens étaient tellement plus musclés, pour arriver à porter leurs bagages eux-mêmes ? Le quai s’affiche enfin, et très vite je me rends compte qu’il sera difficile de caser tout le monde dans le train. Toutes les machines surtout, même en jouant des coudes et des pédales dans les vieilles rames corail de mon enfance rebaptisées Intercité. Je suis arrivé largement en avance, donc ça passe, mais avec les vélos qui sont venus en surbooking, ça va être sportif pour ressortir le mien arrivé à Saumur. En attendant, assis par terre pour garder le vélo à l’œil, je contemple le ballet des caténaires osciller de droite et gauche, dans un bercement brutal, découpant des lanières de ciel aux moutonnements gris foncé, compacts au point que le jour à du mal à se frayer un chemin. Une lumière presque crépusculaire alors que nous sommes en milieu de matinée. Le temps passe, les nuages maussades restent : monolithiques, alors que j’espérais les voir se disloquer selon les dires de la météo ; tenaces, à mesure qu’ils résistent à l’éloignement de Paris. À croire que le train les pousse dans son sillage. Après un retard coutumier de la SNCF, c’est parti pour un crochet par Candes-Saint-Martin. J’y suis déjà allé en novembre dernier, un peu tôt, alors ma photo de pointage était plutôt dégueulasse. Pour ne pas m’attirer les foudres de la FFCT – ou de la FFVélo puisque c’est son nouveau nom – je vais donc en profiter pour faire un crochet d’une bonne trentaine de kilomètres (ceci dit, si vous n’avez pas encore pointé en Touraine, je vous conseille aussi ce détour). Rien de grave, c’est tout droit, tout plat, en suivant les rives de la Loire. Beaucoup de touristes à vélo malgré le ciel menaçant… qu’est-ce que ça doit être par beau temps ! L’aller-retour est vite avalé. Les teintes chaudes du fleuve royal, qui m’avaient tant fasciné au point du jour l’automne dernier, ont laissé la place cette fin de matinée à de la grisaille sur la grisaille : celle rejetée par la centrale nucléaire au loin, se mêlant à celle des nuages gras, denses et sales.
Midi passé, je suis de retour à Saumur. Mon circuit de l’Anjou peut commencer. Forcément, je n’aurai pas fini ce soir. Une évidence, une nuit donc, à dormir quelque part, à improviser, à cause de ces foutus pointages imposés de jour par les BCN / BPF. Tans pis. Comme l’écrit Alain Mabanckou dans ses Mémoires de porc-épic : « le logis du vagabond c’est sa dignité ». Ce côté infantilisant d’imposer quand rouler au randonneur, lui interdisant la route de nuit est franchement agaçant. Première étape avec de longs droits en bord de Loire, plats. Après Gennes, la circulation automobile s’évapore tandis que la route se fait plus petite, plus intime. Du coup, il reste sur l’asphalte davantage de vélos que de voitures. De toute évidence le coin est très prisé des cyclos. Je double plusieurs couples et familles au rythme tranquille. Arrivé au pointage de Saint-Mathurin-sur-Loire avec toujours un ciel de gros moutons gris, compacts, tristes, menaçants. Sous le pont qui enjambe le fleuve passe des kayaks, et au loin s’éloigne une toue cabanée avec sa grande voile carrée gonflée de vent… que pourtant je ne sens pas souffler. Selon la météo, le ciel devait s’éclaircir en fin de matinée, et en début d’après-midi le temps est toujours d’un gris aussi moche, aussi lourd, d’une épaisseur à manger la lumière. Je doute que le ciel arrive à se lever, en tout cas la température est là, estivale. Je retire mon imper pour me mettre en t-shirt… en espérant qu’il ne pleuve pas. Le village semble endormi, des travaux de voirie éventrent la rue principale. Seuls signes de vie, quelques vélos adossés ici et là sous la grisaille, alors je ne m’attarde pas.
Dans cette deuxième étape, je m’écarte des bords de Loire… et des touristes à vélo qui vont avec. Je ne les reverrai plus. Cap au nord par les petites routes, direction Baugé puis Durtal. Dire qu’il y a tant de monde sur les rives du fleuve, et personne pour visiter les vieilles pierres du pays. Même dans les terres, la route reste plate. Arrêt à l’église Saint Symphorien du Vieux-Baugé avec son clocher tire-bouchonné, ou clocher tors en bon français. J’arrive dans le joli petit village de Baugé – tout court cette fois – pour pointer. Enfin pas si petit que ça, avec ses ruelles et ses vieilles pierres, son château ocre à côté du tribunal, sur la grande place endormie ce jour férié.
Je monte une petite bosse en repartant. Peut-être le signe d’un vallonnement qui se prépare… en attendant, rien de bien méchant. Durtal n’est qu’à une petite vingtaine de kilomètres. Après Montigny-les-Rairies, j’entends un bruissement dans les feuillages. Quelque chose fouille bruyamment dans le bas-côté. Il en sort une biche apeurée. La situation est très inhabituelle en milieu d’après-midi. C’est la première fois que ça m’arrive. L’animal traverse la route juste devant moi, ses sabots dérapent sur le bitume, et il va s’engouffrer dans les fourrés d’en face. L’étape tranquille et roulante est vite avalée, et voilà déjà Durtal. Le ciel est toujours aussi bouché. Quelques maigres lambeaux bleus essayent de transpercer par moments, insignifiants. Même si je connais la ville depuis longtemps pour y être passé je ne sais combien de fois à moto sur la route de Noirmoutiers, je la retrouve toujours avec plaisir. Je flâne un bon moment, tournant autour du château, déambulant sur les hauteurs. Puis c’est reparti après m’être ravitaillé. J’ai de quoi manger pour ce soir et assurer le p’tit déj’ de demain matin… il me manque seulement un point de chute pour la nuit… On verra bien ce que j’arriverai à dénicher.
Cap à l’ouest en direction de Saint-Florent-le-Vieil. Tranquillement, parce qu’à 90km de là, même sans trop traîner, je ne risque pas de trouver un commerce encore ouvert. Il sera trop tard pour pointer et trop tard aussi pour continuer, il faudra donc que je trouve à m’arrêter quelque part. Ce début d’étape est tout plat, la route se bosselle après Huilé, puis quelques petites buttes apparaissent jusqu’à Tiercé, avant que le profil ne s’assagisse. Après Sceaux-d’Anjou, la route reprend un peu de relief, mais rien de bien méchant. Je suis surpris par une petite grimpette en sortant de Grez-Neuville. Bref, l’itinéraire prend un relief finalement assez doux. En fin d’après-midi, après Vern-d’Anjou, une vieille éolienne rouillée donne un air de far-west à la campagne angevine. En chemin vers Le Louroux-Béconnais, un moulin déchu qui a perdu ses ailes, lui, se morfond solitaire sur la plaine. En sortant du village, un Christ sur sa croix, frappé d’un éphémère rayon de soleil, apparaît comme un berger doré veillant sur son troupeau de moutons gris et gras. Je me rapproche, mais comme prévu, ce sera trop court pour obtenir ce soir mon pointage à Saint-Florent… il faudra attendre demain matin pour repartir. En début de soirée, je m’arrête donc à Villemoisan pour la nuit. Je pourrais atteindre Saint-Florent et pointer avec une photo prise au soir, mais cela ne m’avancerait pas beaucoup. Et comme je ne sais pas si je trouverais plus loin quelque part où stopper discrètement, je préfère faire halte ici. Je fais ma toilette à l’eau froide dans les sanitaires du stade, en me servant de mon gilet fluo en guise de serviette. Voyager léger est aussi l’art de la rusticité ! J’installe le camp – qui se limite à un duvet par terre – pour quelques heures, m’assoupis difficilement, puis c’est reparti à 5h. Une petite bosse pour m’extraire de Villemoisan permet de me réveiller un peu. La nuit semble claire, pourtant un seul duo d’étoiles brille devant moi. Rien d’autre. Dans mon dos, la lune est fine comme une promesse de croissant. Promesse souvent non-tenue dans mes improbables p’tit déj’ de routard. Un bon brouillard plombe les températures et le creux des vallées, accentuant le sentiment de froid. La température en fin de nuit est fraîche. 8°C à la veille de juin. Je stoppe au niveau du pont enjambant la Loire à Ingrandes. Cet instant où la lumière précède l’aube est fascinant entre nuit et brume, air et eau, sombre et coton. Un arrêt photo s’impose. Sur l’autre rive, fasciné par le brouillard, perdu dans le néant laiteux, j’en oublierais presque de tourner à droite pour suivre la berge. Remis dans la bonne direction, j’ai juste à me laisser guider par la présence du fleuve vaporeux et finir cette étape. Ensommeillée dans son lit de sable, la Loire plongée dans la brume a des allures de bord de mer, d’éternité figée, de bout du monde désert. Puis j’atteins Saint-Florent-le-Vieil par sa surprenante zone industrielle. Les grosses cuves en inox surgissant du brouillard ne correspondant pas à l’idée que je me fais du qualificatif de « vieil » accolé à un nom de village. Le centre est ensuite moins rugueux, plus en accord avec ce que j’en attends, à l’idée que je m’en fais. La boulangerie de la grande place est déjà ouverte. Le patron termine la mise en place de son étalage. L’accueil est sympathique, les macarons délicieux. Un pointage chaleureux est bienvenu après cette fin de nuit fraîche.
À peine sorti de St-Florent, surgit Notre-Dame-du-Marillais, un damier de pierres blanc et beige posé en bord de route et se dressant avec gigantisme sur la plaine. Juste après, un petit panneau planté dans l’herbe indiquant le marché des créateurs à Bouzillé me fait sourire… je ne sais pas pour vous, mais moi ça ne m’inspire pas confiance ! En sortant de Bouzillé – le bonhomme et le vélo pourtant intacts – je traverse mes premiers vignobles angevins alors que je n’avais aperçu aucune vigne sur toute la journée d’hier… comme quoi le nord de la Loire doit être moins propice au pinard. Un serpent qui doit faire son mètre de long, écrasé en bord de route, m’avertit de ne pas m’arrêter pisser n’importe où… tout du moins sans un minimum de prudence. Ce type d’alerte me surprend toujours, en traversant une France où la nature m’apparaît de plus en plus domestiquée.
Tout comme le vignoble, le brouillard se dissipe assez vite en repartant de Champoceaux. Le terrain se refait bosselé en m’éloignant des bords de Loire. Un beau soleil apparaît enfin pour faire grimper les températures de cette matinée. En sortant de La Chapelle-Aubry, la Vierge à l’Enfant joue les dalmatiens, toute de blanc et de rouille sur son piédestal. La liturgie ne doit plus faire recette dans le coin, au point de ne pas même mériter un maigre coup de peinture. 9h30, la chaleur est déjà au rendez-vous, faisant oublier la fraîcheur de la nuit. Une petite vingtaine de degrés et je me remets en t-shirt. La route est toujours raisonnablement vallonnée. La succession de petites bosses, font progressivement prendre un peu d’altitude jusqu’à Jallais. À la Basse Beunoche, je place une pièce sous le pot de fleurs desséchées du petit oratoire érigé à la Vierge Marie. Pour rien, pour l’inconnu de passage qui en aurait besoin. Après Chemillé et jusqu’à Vihiers, un deuxième plateau fait gagner encore un peu d’altitude. Je préfère contourner Vihiers en coupant par les petites routes champêtres de traverse et le vignoble du Layon, largement plus plaisants que d’avoir à longer la voie rapide et les files de bagnoles furieuses. Après la cuvette de la Basse Beunoche, la route regrimpe un peu. Le dôme ventru à la base du clocher de l’église de Saint-Hilaire-du-Bois est assez inhabituel. La journée se précise chaude : 30° au-dessus du bitume et pas même un minuscule nuage, comme hier aucun coin de ciel bleu. Séparés d’une nuit, on passe de l’automne crépusculaire au grand été. Une réplique de la Tour Eiffel haute de quelques mètres trône à l’entrée de Cerqueux-sous-Passavant ; pour quelle raison ? J’essaie de faire le plein des bidons au cimetière de Nueil-sur-Layon. Les deux premiers portails sont fermés, la troisième porte sera la bonne. Je discute cinq minutes avec une Dame venue remplir ses arrosoirs. L’eau très fraîche me fait du bien. En sortant du village j’enjambe le Layon, qui apparaît comme un petit cours d’eau insignifiant, boueux. Difficile de croire qu’à son voisinage on puisse faire du bon pinard ! L’altitude décroît et la route devient moins vallonnée. La collégiale de Puy-Notre-Dame se dresse sur la plaine. Monumentale. Aussi colossale pour les alentours qu’elle l’est, plantée dans les ruelles de son village. Vu de près, l’édifice est moins imposant, il perd de sa superbe à cause de ses pierres profondément mitées par le temps. En approchant de Montreuil-Bellay par une route plate, la vigne est toujours là, même si le vignoble du Layon a cédé la place à celui de Saumur. Je m’arrête dans le village pour le dernier pointage.
Le centre historique de Montreuil-Bellay se présente perché de l’autre côté du Thouet. Le même panorama que j’ai gardé en mémoire depuis mon passage sur la première édition de l’Anjou Vélo Vintage. Aujourd’hui, le circuit est plus long… et le vélo moins rustique ! Les vieilles pierres du château guettent sur les hauteurs, sur l’autre rive du cours d’eau endormi saupoudré de nénuphars. Mon carton angevin est maintenant rempli, il me reste à aller une vingtaine de kilomètres au nord pour rejoindre Saumur, mais la grande route directe ne me dit rien. Alors je m’extrais du bourg par une des vieilles portes de la ville, puis oblique sur les chemins de traverse, quitte à m’allonger un peu pour plus de tranquillité. Cette dernière étape toute plate. Je traverse Mollay, les miens vont bien, même après un mois sans avoir roulé. L’urbanisation fait son retour à Munet. Saumur est tout proche, juste après Bagneux. Fin d’un circuit globalement plat, avec juste ce qu’il faut de bosses pour se remettre tranquillement en jambes. Un parcours qui fait aussi la part belle aux vieilles pierres.
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Le parcours Openrunner N°9330256 réalisé : 305 km
La feuille de route détaillée
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