Tout d’abord, ne mélangeons pas les torchons et les serviettes. Un Moser peut en cacher un autre, et dans le petit monde du vélo ancien il ne faut pas confondre :
- Francesco Moser, marque française (des Cycles Cizeron, Saint-Etienne) ayant produit essentiellement des vélos assez basiques.
- F. Moser, marque italienne beaucoup plus prestigieuse.
Présentation
Ici, il s’agit donc d’un exemplaire français – beaucoup moins coûteux à dénicher que son cousin italien ! – et qui semble avoir beaucoup vécu ; mais qui vous allez le voir, mérite d’être sauvegardé.
Voici à quoi il ressemble. A priori un course comme tant d’autres… mais pas que !
Vélo Francesco Moser, donc français… et c’est même marqué dessus, un peu effacé : « Made in France » ! Notez le pneu avant moussu et crevassé, ainsi que les rayons jadis chromés mais aujourd’hui bien rouillés. Il y a donc déjà un peu de travail du côté des roues.
En continuant dans les roues, les moyeux Normandy Luxe Compétition sont par contre une bonne pioche, de bien meilleure qualité que les habituelles séries ordinaires de la marque. Même si cela n’a rien à voir, les petits flasques rouges cachés sous la poussière leur donnent un petit air de Maxi-Car.
Ces jantes Super Champion Gentleman ne sont pas très courantes, en tout cas bien moins que les habituelles Mavic.
Encore du rouge au niveau des roues, avec cette roue libre 5 vitesses qui semble être restée en bon état ; très certainement une Maillard Course.
De l’autre côté, pour l’entraîner voici un pédalier Spidel, clone du Stronglight 105bis, qui ne manque pas d’allure avec ses plateaux ajourés.
Les pédales espagnoles Olimpic 64 sont une entorse à l’équipement « tout français » de ce vélo, mais rien de choquant pour ces pièces de qualité.
Pour en finir avec la transmission, les dérailleurs sont également une bonne surprise…
… avec ces Huret Success aux parties gris-bleu en titane.
Parmi les éléments qui me laissent perplexe, ces étriers de frein Mafac Compétition franchement très mal réglés.
En fait, leur fixation particulièrement desserrée place les patins en crabe entre les flancs de jantes et ceux des pneus. Dans quel but ? Plutôt stupide et insolite !
Encore plus troublant, ces stickers indiquant un cadre construit en tubes Reynolds 531. Sur les fourreaux de fourche ce sont des modèles de 1976, et sur le tube oblique (avec le marquage « TI » dans un double cercle) il correspond à la période de 1977 à 1982. Le plus ancien devrait être logiquement le bon, mais l’ensemble des composants plaide plutôt pour la fin des années 70. En y regardant de plus près, des traces de colle autour des 3 stickers (ou pourrait imaginer leur rétraction au cours du temps) rend l’origine encore plus douteuse. Alors remplacé(s) ou pas ? Lesquels ou lesquels ? Mystère ! Tubes en 531 ou autre chose ? Quoi qu’il en soit le vélo est léger, restant sous la barre des 10kg.
Ces raccords familiers ressemblent beaucoup à des BoCaMa ou Prugnat. Une inspection attentive du cadre après démontage, livrera peut-être des indices.
Les haubans sont finis en feuilles de saules, chères à Bernard Carré. Ayant construit des cadres pour diverses marques, on pourrait l’imaginer avoir également produit celui-ci. Pure spéculation, car rien n’est moins sûr ! Bien que très connu pour sa finition des haubans par une plaquette d’acier rapportée (la fameuse feuille de saule), l’artisan n’en a bien entendu pas eu l’exclusivité.
L’hypothèse ne semble pas forcément délirante, en observant ces pattes de cadre Huret au montage très soigné.
En restant dans le cadre, les bases semblent très attaquées par la rouille…. à moins que le cloquage du chrome ne donne une fausse impression de gravité. Dans tous les cas, l’état définitif sera évalué au démontage… avec à la clé un éventuel remplacement des tubes !
Finissons avec les périphériques. J’ai toujours eu un faible pour les cintres gravés et ce Guid, même s’il n’est pas si rare, produit son effet… pourvu que l’aluminium ne soit pas trop oxydé sous cette guidoline moussue qui en a sûrement vu de la flotte….
… comme le caoutchouc pourri des cocottes de ces poignées Mafac 419 semble le confirmer !
Encore une belle pièce avec ce jeu de direction Stronglight Compétition.
Pour finir, la selle, une Idéale 2002 bien défraîchie possède un porte boyaux Zeus fixé à l’arrière… Alors roues pas d’origine, ou cycliste prudent au point d’emporter un pneu de rechange au cas où ? En tout cas, les roues sont d’époque.
Voilà, voilà. Finalement un beau vélo loin de l’image de traîne-couillon qui colle souvent à la peau des Moser français, et pas très compliqué à restaurer… à moins que les tubes des bases trop attaqués par la rouille n’impliquent leur remplacement !
Allez, voyons ça…
La restauration
Première chose à faire : se rendre compte de l’état réel du cadre. Sous les pavés la plage, paraît-il ; et sous le chrome boursoufflé qui s’épluche, la rouille… mais sous la rouille, quoi d’autre ? Du vent ou de l’acier ? En fait rien, pas de corrosion importante ni perforante, l’acier des tubes est resté en fait très sain. Le gros doute sur la solidité de la boucle arrière du cadre écarté, on commence avec une bonne surprise ; mais ça ne va pas durer !
La transmission totalement grippée fait à première vue penser au grand classique de la chaîne fossilisée par la rouille ; sauf que non, ce serait trop facile ! Le problème est ailleurs, au niveau du pédalier. Pour séparer les manivelles, un extracteur classique de 22mm est trop petit… Un autre de 23 aussi… Bon… L’excellent mini-extracteur américain de J.A.Stein rentre « gras » avec ses 23,35mm précis. Ça, c’est fait.Sortir ensuite les cuvettes du pédalier est impossible sans un autre excellent outil, l’extracteur 1607 d’Unior. On sent bien en main les quasiment 2kg de l’engin qui tient davantage de l’outil agricole qu’autre chose, mais qui est parfait pour les cas désespérés. Le reste du démontage ne pose pas de problème – ça change un peu – et le grand déshabillage peut enfin donner son verdict : roulements de pédalier soudés dans les cuvettes, elles-mêmes soudées au cadre par la flotte ! Finalement, sur le cadre le plus visible est le moins atteint. Cuvettes, axe, billes, vieille graisse… Tout sort en un flot de rouille poussiéreuse. Une fois la crasse nettoyée, le boîtier de pédalier apparaît bien atteint. L’eau stagnant au point le plus bas, la rouille perforante est heureusement localisée au-dessous, sans remonter vers les tubes. Prenant exemple sur les cadres de course aux dessous de boîtiers de pédaliers largement ajourés, et en restant logique, il ne devrait finalement pas y avoir de réel problème ici.
Le mauvais état du cadre et du boîtier de pédalier contraste de façon étonnante avec le bon état de conservation de quasiment tous les éléments du vélo, sauf les rayons très rouillés et les pneus pourris.
Le boîtier de pédalier, donc, est en triste état. Celui d’origine (en haut sur la photo) a ses éléments totalement grignotés par la rouille. Comme le petit plateau frôlait presque le cadre, j’en profite pour choisir un axe légèrement plus long côté droit. Malgré les apparences, les deux sont des axes creux Stronglight. La cuvette de droite est remplacée par un exemplaire neuf… mais noir. On ne va pas chipoter pour un élément caché derrière l’étoile du pédalier. La cuvette de gauche d’origine sera conservée, étant moins dégradée que le reste… même si le chrome à largement disparu ! Pour aider à ce que l’axe tourne rond de ce côté-là, notez le roulement avec 2 billes supplémentaires pour moins « gratter » dans la cuvette. Un cache plastique en accordéon est rajouté, non pas pour empêcher l’eau de percoler l’axe à nouveau – on ne pense jamais assez à retourner un vélo à l’envers après une bonne sortie pluvieuse – mais plutôt d’éviter de transformer la graisse en pâte à roder, à cause des fragments de rouille résiduels qui pourraient s’y déposer.
Le pédalier en lui-même voit son petit plateau passer à 38 dents à l’aide d’un Stronglight neuf… mais pas percé à l’origine. Avec un peu de soin et une bonne perceuse sur colonne, il le devient ni nu ni connu… Parce que bon, il y a quand même 3g à gagner ! Plus sérieusement, c’est juste une affaire de cohérence et d’uniformisation du dessin des plateaux. La procédure est décrite dans cet article.
Le contrôle-qualité ne devait pas être à l’ordre du jour pour l’assemblage de ces pédales espagnoles Olimpic 64 ; remarquez le raté dans le sertissage de la cage de celle du haut (le cercle embouti côté droit). Malgré ce défaut esthétique, il n’y a aucun reproche à leur faire en fonctionnement !
Notez le rajout d’un porte bidon Spécialités TA d’époque – placé un peu bas pour ne pas dénaturer le marquage du tube diagonal – parce qu’un petit plateau c’est bien beau pour affronter les pentes… mais si c’est pour mourir de soif, on n’est pas plus avancé…
Pendant que le cadre, traité au Restom Protec Look 6100 sèche, les gros travaux continuent avec les roues. Les jantes sont seulement poussiéreuses, c’est un bon point ; les moyeux en excellent état demandent juste un entretien de routine, c’en est un autre… Par contre, le chrome des rayons est bien attaqué par la rouille. Le nettoyage est long et fastidieux, autant que de tout démonter et rayonner à neuf ; mais bon, on sauvegarde l’origine ! S’ils donnent l’alerte en commençant à casser, ils seront remplacés sans état d’âme. En attendant ils restent en place, d’autant plus que le montage est de qualité avec 3 croisements et rayons amincis de 2,0 / 1,7 / 2,0.
Contrairement aux rayons, les jantes sont vraiment impeccables sous la couche de poussière. Une très belle surprise ! Reste juste à retrouver un sticker « Super Champion » pour finir d’habiller la roue avant.
Les moyeux ne sont pas vilains non plus. Je n’ai jamais vraiment compris cette réputation désastreuse que traînent avec eux les moyeux Normandy. D’accord, surtout en série ordinaire ce ne sont pas les plus fluides qu’on puisse trouver, mais bien réglés, ni plus ni moins que pour les autres marques françaises d’époque. À l’inverse, je trouve l’aura de robustesse et de qualité des Maxi-Car assez exagérée, ayant rencontré des casses d’axes et même de roulements !
Les dérailleurs Huret Success sont encore plus beaux une fois décrassés. Le titane de l’arrière lui donne une légèreté impressionnante de 170g. Difficile de faire mieux, même actuellement. Même si sa position est très verticale – comme d’autres modèles de cette époque – il encaisse sans problème la grande latitude de rapports, du 52/14 au 38/26, et la paire travaille toujours en douceur !
Sans surprise là par contre, le caoutchouc des cocottes Mafac d’origine se désagrège dès qu’on y touche. En conservant leurs parties supérieures et en les retaillant, on peut réincorporer les régleurs de gaines dans les cocottes neuves adaptables. En débobinant la vieille guidoline, de blanche dégueulasse et moussue, elle se révèle en fait noire à l’origine !
Comme j’ai toujours connu ce vélo avec sa guidoline sale et délavée, je me suis habitué à l’imaginer blanche au lieu de noire, alors le cintre est remis en état avec de la tresse en coton clair et deux couches de gomme-laque pour limiter l’encrassement du tissu, et également assurer une certaine imperméabilisation afin de protéger l’aluminium déjà détérioré par endroits.
Les étriers de frein ne posent pas de problème après un bon nettoyage suivi de la triade démontage, graissage, réglage.
Une fois nettoyée et recirée, la selle a retrouvé une patine tout à fait acceptable.
Pour finir, voilà de quoi à l’air le vélo restauré. Bien loin des Moser français de moyenne gamme, celui-ci avec ses moins de 10kg tout équipé, et ses composants de qualité, serait plutôt à classer dans le meilleur de la production.
Une machine légère assez facile à mener dans les côtes et cols, comme sur la Flèche Bellegarde – Paris.