Le cycle des Flèches de France 2007-2013,
épisode 20... la suite !
Toute fin juin, il y a une semaine exactement, je venais de finir le BRM 1000 de Ménigoute rendant cette année visite au Col d’Aspin ; alors pourquoi vouloir récidiver tout de suite pour une aussi longue distance ? Parce que ! D’abord parce qu’étonnamment mes genoux se sont bien vite remis. Ensuite parce qu’il ne fait pas si souvent beau cette année, alors autant profiter d’un temps chaud et sec avant que la météo ne se gâte à nouveau. Et puis aussi parce que je n’ai pas trop de disponibilités cette année, alors en réalisant cette Flèche maintenant, elle empiétera juste sur le début des vacances, pour être ensuite tranquille en famille. Et surtout parce que j’ai hâte d’avoir ma revanche sur ma calamiteuse tentative de mai dernier. Et enfin parce que je pourrais boucler le cycle des vingt Flèches de France débuté en novembre 2007, il y a 6 ans déjà. Bref, pour toutes ces raisons : parce que ! Mais attention, pas trop d’excès de confiance cette fois-ci, car à traverser la France en mode express solo, rien n’est jamais gagné d’avance. Tout peut toujours basculer, et mes dernières Flèches en sont la preuve ! Je ne vais pas vous refaire tout le début du tracé par le menu, je vais abréger un peu. Mais je ne vous ai pas dit : cette fois je pars à minuit. 0h, symbole d’un nouveau départ, une remise à zéro du compteur après mon échec sur cette même Flèche il y a à peine deux mois. Partir à cette heure est toujours magique, mais peut-être pas autant que sur ma Flèche Marseille – Paris. Début juillet, le Tour de France est passé, accompagné de tout son grand cirque habituel. La foule est partie chercher ses héros ailleurs, plus loin sur la route, et Nice est redevenue la proie des touristes ordinaires une fois l’étape du contre-la-montre évaporée. Quelques jours ont passé, parfait, je peux m’y rendre à mon tour.
Samedi 6 juillet 2013, 0h, la nuit est encore chaude. Premier grand week-end des vacances d’été, les parisiens ont pris le large sur l’autoroute du sud. J’ai l’asphalte rien que pour moi. J’ai le temps aussi, à minuit on est toujours un peu le maître du temps. Début de parcours, les heures passent tranquilles et douces, nappées du velours noir de l’obscurité. Les trois jours de beau temps promis par la météo seront-ils donc enfin au rendez-vous ? Quelques orages sont à craindre lundi dans les Alpes. J’espère pouvoir y échapper sur les hauteurs, mais on ne maîtrise pas ces choses-là, surtout en montagne. En étant le seul élément dépassant du relief, le risque est grand de finir foudroyé – comme je le vivrai de près en 2015 sur le BRM 400 de Grenoble – et cette perspective ne m’enchante guère. C’est extraordinaire, je n’ai toujours pas mal aux genoux, rien, et en y ajoutant le vent nul et très peu de circulation, pédaler est un vrai plaisir. Je retrouve des sensations de plénitude oubliées depuis longtemps. Quelques heures plus tard, pointage à la carte postale à Milly-la-Forêt.
Je vous refais le début en pointillé, en diagonale, parce que tout ça a un goût de déjà-vu. Le goût amer de mai dernier, mais en mieux, en beaucoup mieux ! Au lever du jour, pas un nuage en vue. Il y a un beau soleil, ce qui n’est pas franchement courant cette année. Un point positif pour le moral. Et revoilà Montargis. Sachant par où ne pas passer – en m’y étant perdu la dernière fois – je poursuis au flair plutôt que de vraiment savoir dans quelle direction aller… Et cette fois bingo, je traverse la ville sans problème. Le soleil est toujours au rendez-vous, parfois accompagné de quelques nuages bien innocents… Et parfois plus menaçants, la vie est parfois comme ça aussi ! La matinée s’étend en longueur ; à Entrains-sur-Nohain, personne (si vous suivez mes pérégrinations vous savez sans doute pourquoi) ! 11h, il fait déjà 30°C, je n’ai plus l’habitude de telles chaleurs. J’arrive à Varzy en toute fin de matinée, où cette fois je ne vais pas essayer de faire pointer mon carton vert à la boulangerie au tampon baladeur, ni chez la charmante fleuriste du trottoir d’en face… J’écoute l’appel de la soif, et fais une pause pointage et Perrier citron bien frais au bistro à l’entrée de la ville ; l’accueil est un peu rugueux.
En repartant, le panneau « Coeurs 2 » me fait sourire. C’est vrai que pour ces choses-là c’est mieux à deux ! Plus loin, à la vue de l’association d’un panneau 50 et d’un autre de gravillons, je me demande s’ils les ont vraiment comptés ? Je sais, c’est idiot, mais finalement ça doit être le cas : 50 en tout, le compte est bon, car je ne sais pas où ils sont passés, je n’en ai pas vu sur la route ! Je fais le plein de mes bidons au cimetière de Chevannes-Chanzy. La chaleur est toujours au rendez-vous, ce début d’après-midi par 32°C. Je fais signe à un couple d’automobilistes âgés en arrêt pique-nique. L’attelage formé d’un side-car avec remorque me double en ferraillant… Tout ça sent si bon les départs en vacances. Le petit vent insignifiant, toujours présent, ne rafraîchit même pas. L’air sec exhale l’odeur du foin coupé, les champs sont rasés de près. Les petites bosses sont toujours tranquilles, les trop rares portions d’ombre très appréciées. Il règne une forte odeur d’humus dans les bois essayant de dégorger toutes les pluies tombées cette année. Les nuages commencent à s’amonceler à l’horizon, jusqu’à masquer le soleil. Après quelques séances de cache-cache de haute lutte, l’astre du jour aura raison du floconnement. J’arrive à Saint-Saulge et fais de nouveau une pause devant la vache perchée au fronton de l’église, hissée là-haut selon la légende pour lui faire brouter quelques brins d’herbes en de lointains temps de disette. Dire que le voyageur pressé doit passer là, sans s’apercevoir de rien. Je passe par La Montagne, patience elle n’est pas prévue pour tout de suite, et puis quel nom étrange pour un lieu-dit tout plat ! Je rattrape le side-car de toute à l’heure, son équipage arrêté en pause gastronomique à Rouy. Les gros rouleaux de foin laissés après la récolte, contrastent de manière surréaliste avec le vert des champs ayant déjà repris vie après toutes les pluies de ce printemps. À l’entrée de ville de La Machine, un feu arrière en profite pour jouer les filles de l’air, alors que je me prends un beau trou en évitant un imbécile à quatre roues, sortant en trombe du centre commercial. La priorité ne doit pas être dans les siennes, de priorités ! Le side-car repasse une nouvelle fois, je ne le reverrai plus ; bonnes vacances l’ami. Après Décize, la route redevient plate en longeant le Canal Latéral à la Loire, mais le vent en profite pour faire son apparition de face… Comme j’ai déjà mal aux ischions – souvenir du BRM 1000 de Ménigoute de la semaine dernière – je n’aurais pas de répit au pédalage pour l’instant. La température a encore monté, il fait 35°C ce samedi après-midi. Avant de finir lyophilisé, je stoppe au cimetière de Gannay-sur-Loire pour profiter du robinet. Je m’étonne un instant du panneau Jaligny / B, alors que je dois aller vers Saligny / R. Subtilité des villages français et avarice d’écrire le B de Besbre et le R de Roudon. De jour, la confusion n’est pas possible, alors que la dernière fois – une nuit de mai – je pensais avoir mal lu. Samedi en fin d’après-midi, en approchant du Donjon, je remplis une nouvelle fois mes bidons au cimetière à l’écart du village. D’habitude, je fais attention qu’il ne s’y trouve personne, car après tout ce genre de lieu n’est pas un bar pour cyclos – et encore moins un bain douche – mais là, desséché par la fournaise de l’après-midi, je file directement au robinet sans façons… Et remarque après coup les personnes âgées présentes. Nous nous saluons, puis je me mets à discuter un bon moment avec un couple dont le monsieur a roulé en club dans l’Allier. Il s’étonne de mon curieux vélo pliant, n’ayant jamais rien vu de tel pour avaler les kilomètres sur l’asphalte. La pause me fait le plus grand bien, physiquement, et moralement pour la discussion. La route en solitaire est plutôt avare en contacts. En repartant, j’arrive vite au Donjon pour y trouver la supérette encore ouverte pour le contrôle. J’ai tout sous la main, ravitaillement et coup de tampon. Le commerçant est surpris de ma présence ici en étant parti de Paris le matin même… Et pour finir à Nice dans moins de deux jours… Alors que lui, n’y a jamais été…
Samedi en début de soirée, le vent a disparu, la température vient seulement de repasser sous les 30°C. La rue principale de La Pacaudière est complètement défoncée pour travaux. J’échappe à la crevaison puis me retrouve sur l’ancienne Nationale 7 ; il règne décidément comme un air de vacances sur cette Flèche ! 22h, la température est retombée agréablement à 22°C. Saint-Germain-Laval est annoncé de loin : 30km, 25, 22… Puis hop, encore 30 sur ces grands bouts droits interminables ! M’en fous, tourner les jambes c’est toujours se rapprocher de quelque part, et comme je reste sur la même route – la D8 – je ne suis pas perdu ; j’avance. Il commence à faire nuit, là où en mai le jour se levait. Avoir choisi de partir plus tôt pour casser la monotonie d’un long parcours que je connais déjà est une bonne option, en inversant le plus possible les périodes de jour et nuit : le rythme nycthéméral pour parler en terme scientifique (Hé oui, on peut aussi apprendre des choses intelligentes en parlant vélo). Les longues bosses de la route me permettent de récupérer le temps des descentes. Comme je m’étais préparé à retrouver les panneaux de distances fantaisistes sur ce tronçon, rejoindre Saint-Germain-Laval me semble moins fastidieux. La nuit aide aussi, en lissant les distances je pense. C’est le bon côté des choses… Mais à cette heure-là, ce samedi soir surtout, la D8 est assez fréquentée, c’est une surprise, et c’est le mauvais côté des choses ! Des dizaines et des dizaines de voitures de rallye sur remorques me doublent. Vont-ils à une nocturne, où sont-ils en avance sur l’épreuve du dimanche matin ? En tout cas, j’espère que je ne vais pas avoir à me dérouter de mon itinéraire. Le suspense dure un bon moment, puis à 23h la circulation s’évapore d’un coup, en reprenant sporadiquement ensuite. Ne pas me retrouver sur des routes fermées à la circulation, c’est tout ce que je demande ; mais avant, aussi pouvoir pointer tranquillement en fin de nuit à Sainte-Catherine. Le ciel est étoilé mais pas vraiment clair. La lune boudeuse ne fera pas son apparition. L’église de Nervieux est magnifiquement mise en valeur par l’éclairage nocturne. En passant par Balbigny, je fais le plein des bidons en Coca-Cola au distributeur placé là. En milieu de nuit, à Pouilly-lès-Feurs, une multitude d’habitants déambule dans les rues. Qu’y fête-t-on ? Je n’en sais rien, en tout cas qui a dit qu’il ne se passe jamais rien dans nos campagnes ! À Bellegarde-en-Forez, cette fin d’étape devient assez difficile, toute en faux plats usants à la longue, m’offrant juste un petit répit à Saint-Symphorien-sur-Coise. La vieille ville n’est pas assez éclairée pour la photo, tant pis, je ne m’arrête pas. À l’entrée du bourg, une voiture cale dans mon dos, puis redémarre rageusement, puis me frôle volontairement en ponctuant le tout de borborygmes et d’éructations braillardes entrecoupées très clairement d’un « connard ». OK, pourquoi pas, mais rapport à quoi ? Comme je tiens ma droite peinard dans mon gilet fluo et ne manque pas d’éclairage, j’en conclus que l’alcool du samedi soir doit continuer à faire ses ravages dans les cerveaux transformés en éponges à vinasse. Sympas les gens du cru… Allez, je ne vais pas généraliser pour un duo d’abrutis ! Dimanche 7 juillet au matin, quelques heures avant l’aube, j’arrive donc à Sainte-Catherine pour faire le plein des bidons et me rafraîchir à la petite fontaine attenante aux toilettes publiques. Comme il s’y trouve aussi une boîte aux lettres, j’en profite pour pointer. C’est le grand luxe, tout en un, et hop, c’est dedans !
En repartant, l’horizon se gondole, prend du relief. La montagne se précise au loin, en ombre chinoise. Le panorama et les lumières de fin de nuit provenant des grandes villes du Lyonnais sont magnifiques. La longue descente jusqu’à La Madeleine me permet de bien récupérer… En restant attentif à l’enchevêtrement des routes à suivre : D2e, D342, D488, et D502… Et avant d’affronter la longue montée vers Trèves qui me fait prendre 170m de dénivelé. Le mystère du ballet nocturne des voitures de rallye s’éclaircit enfin, en voyant une affiche pour une course de côtes programmée aujourd’hui dans les environs. J’y ai échappé de peu… À condition qu’elle ne croise pas plus tard mon itinéraire. Dans le petit matin, un arrêt sur les hauteurs à l’entrée de Condrieu – pour admirer le panorama urbain splendide en contrebas – vaut bien les cinq minutes que je lui accorde. Il fait 14°C au lever du jour, mais la température grimpera vite avec le franc soleil. Je passe par Saint-Donnat-sur-l’Herbasse, il n’est pas question de pâturages, mais du petit cours d’eau qui traverse le village. Il y a des noms qui à eux seuls font le charme de ces bouts de France perdus. À Romans-sur-Isère, je rejoins la maudite D538, synonyme en mai dernier de début de débâcle, de descente aux enfers sous le déluge. Rien de nouveau, rien de changé – si, la flotte en moins ! – sur cette route plate et hostile à la circulation toujours aussi présente, toujours aussi stressante. Je me fais tout petit sur le bord du bitume, et prends mon mal en patience entre les villages ordinaires, les zones commerciales laides, et les ronds points dangereux. Pour abréger le supplice, mais pas les kilomètres, je décide de changer de cap à Crest – d’obliquer sur la D93 avant de prendre la D156 à Saillans – pour gravir au passage les Col de la Chaudière et celui de Gourdon. Le but est d’arriver au calme sur Bourdeaux… Au prix d’une bonne vingtaine de kilomètres supplémentaires, et de deux cols qui ne sont normalement pas au programme ! Comme j’effectue cette Flèche en version touristique – même si je la fais comme d’habitude sur un tempo de randonneur – je peux prendre des variantes d’itinéraires entre deux contrôles, alors ce détour n’est pas tricher. Avec le dénivelé supplémentaire, il ne manquerait plus que ça ! En théorie l’idée n’est pas si mauvaise, sauf qu’en début d’après-midi, la circulation sur la D93 jusqu’à Saillans est tout aussi passante que sur la D538 ! Puis le Col de la Chaudière, pas forcément bien long avec sa petite douzaine de kilomètres, fait prendre près de 800m d’altitude avec des pourcentages assez raides au départ. La suite se calmera de temps en temps, mais la montée est exigeante. Je ne sais pas si c’est lié, mais je trouve que ce col porte particulièrement bien son nom… Avec les 40°C tout rond en plein soleil cet après-midi ! C’est beaucoup, mais comme par nature je supporte mal les fortes chaleurs, je crois le thermomètre sur parole ! Les portions d’ombre sont trop rares pour ne pas surchauffer, et le vent frais ne rafraîchit même pas. Au moins, il n’y a pas de circulation par ici… Pas même à vélo. Les gens du cru doivent connaître les pièges à cons et savoir les éviter ! L’ascension est éprouvante, et j’arrive enfin au sommet pour la pause photo bien méritée. Pas d’autocollants débiles sur le panneau du col, comme on peut en trouver au Ventoux, sur l’Aspin ou ailleurs… Les crâneurs hésitent peut-être à s’aventurer par ici. Le panorama offert au Col de Gourdon – qui modeste, n’affiche pas ses 953m d’altitude – est plus dégagé, plus minéral et tout simplement plus beau qu’au Col de la chaudière. La descente qui suit est plutôt tortueuse. Elle me fait arriver directement à Bourdeaux.
Dimanche après-midi, le bourg est désert, rien d’ouvert. Je trouve de quoi me rafraîchir et faire le plein des bidons à une fontaine cachée dans un recoin du village. C’est reparti pour le Col de la Sausse, beaucoup plus facile, et sous une température plus raisonnable de 30°C. Le vent de face s’est invité pour l’ascension, mais j’arrive au sommet sans trop de mal. En fait, le Col de la Chaudière était le pire, et tous les cols officiels de cette Flèche seront plus faciles ! En redescendant vers Saint-Ferréol-Trente-Pas, je dois pédaler à bon rythme face au vent qui se met à souffler très fort en bourrasques. Le souffle charrie des feuilles et des petits branchages au milieu de la route. De retour dans la vallée, j’avance au pas au prix d’efforts terribles. À croire qu’une tempête se prépare sur les hauteurs, coiffant déjà l’horizon d’un ciel noir. Je ne suis pas pressé d’affronter les orages en montagne, mais il faut bien avancer. Je vais sans doute devoir me jeter dans la gueule du loup. Un double arc-en-ciel – pas les deux bouts du même arc – apparaît sur ma gauche, trouant la noirceur. C’est la première fois que j’observe ce phénomène. Puis les premières gouttes tombent vite. Je me réfugie sous l’auvent d’un grossiste en fruits et légumes, mais comme un quart d’heure plus tard rien ne bouge, que les éclairs zèbrent toujours les hauteurs lointaines et que la pluie ne s’intensifie ni se calme, je me décide à repartir. Sous un bon crachin, le vent est toujours aussi terrible. J’atteins le Col de Peyruergue à la tombée du jour, avec l’orage sur les talons. Je ne sais pas si c’est très rassurant, mais la pancarte du sommet est criblée de plombs de chasse. Dans la courte descente, je distancie enfin la pluie et la foudre, puis la route remonte à Saint-Auban-sur-l’Ouvèze. Le vent se calme peu à peu. Ce long faux plat cache le Col de Mévouillon, devant lequel je serais passé sans même m’en apercevoir si mes torches n’avaient pas éclairé son panneau. Après Séderon, me voilà dans la vallée du Jabron. C’est le début de l’itinéraire que je connais pour l’avoir fait dans l’autre sens sur la Super Randonnée de Haute Provence. Nouveau col, et après celui de la Pigière, la route est globalement en légère descente jusqu’à Sisteron. En chemin, je m’arrête dans un abribus à Saint-Vincent-sur-Jabron, puis une nouvelle fois à Noyers-sur-Jabron pour une pause de micro-sieste, enroulé dans ma couverture de survie. Mes mouvements respiratoires génèrent un murmure croustillant – hypnotique – au contact du film plastique doré, et le manque de sommeil que je n’ai pas réussi à rattraper complètement depuis le BRM 1000 de Ménigoute, font que j’ai dû m’endormir plus que d’habitude. En tout cas, à mon réveil les orages sont réapparus de plus belle à l’horizon, et le fracas commence à se faire entendre. Il est grand temps de repartir. Le vent souffle de plus belle lui aussi, et comme la nuit devient plutôt fraîche, je reste emmitouflé dans ma couverture de survie, enroulée entre t-shirt et imperméable. En me rapprochant de Sisteron, les grondements se font plus intenses. Je me dépêche de rejoindre au plus vite la Route Napoléon, et obliquer plus au sud pour ainsi espérer échapper à l’orage. Passé Château-Arnoux-Saint-Auban, le tonnerre semble s’éloigner pour la deuxième fois. À Malijai, trouver la route d’Espinousse n’est pas très évident. Même s’il n’est pas bien long, grimper ce Col me semble moins facile que les précédents. Au sommet, un nouveau panneau a été installé depuis mon dernier passage en sens contraire, l’année dernière. La fin de nuit est profonde, noire. La sortie de La Bégude-Blanche me réserve encore une belle montée, puis Moustiers-Sainte-Marie arrive au petit matin. Le ciel s’annonce toujours bleu. Je fais le plein des bidons à la fontaine, envoie ma carte postale de pointage, puis quitte le village encore endormi.
La route descend vers le Lac de Sainte-Croix, puis c’est la remontée des gorges du Verdon. À Aiguine, j’emprunte la route de la SRHP cette fois dans le sens qui m’est familier. Bien moins frais après plus de 800km dans les jambes et un vélo bien plus lourd, la route me semble cette fois plus éprouvante, interminable, limite ingrate. Le soleil chauffe déjà terriblement fort ce lundi matin. Le camp de Canjuers ne joue pas encore du canon, les touristes commencent à prendre d’assaut la Corniche Sublime, et Comps-sur-Artuby se fait attendre. En chemin, je passe par le Col d’Illoire, la Source de Vaumale – où je peux enfin me rafraîchir – et les Tunnels du Fayet ; encore trois souvenirs de la Super Randonnée de Haute Provence. Bien plus tard, le Col de Clavel est le dernier à affronter sur cette Flèche. Il n’est pas très dur, mais la fin me paraît un peu pénible. Le vent revient à la charge. Pour la troisième fois, l’orage gronde droit devant sur les sommets, pour la troisième fois je ne suis pas fier à l’éventualité de me faire foudroyer en montagne, et pour la troisième fois, le parcours m’offre la chance inouïe de virer de bord juste avant ! J’affronte le long faux plat suivant la vallée de la Lane sans relâcher la pression… Pour être sûr de mettre de la distance entre l’orage et moi. Je ne prends pas la direction de la petite station de ski de Gréolières-les-Neiges, qui m’emmènerait inutilement sur les hauteurs. Je poursuis mon chemin, puis me laisse glisser dans la descente toute en circonvolutions. J’approche du contrôle de Gréolières (sans neige). La descente vers le village, les lacets, les parapets dérisoires, le vide que je longe, le vertige dont je suis sujet, forment un ensemble magique et au bord de la perte de contrôle dans ce paysage très minéral. Je prends sur moi en dévorant ce panorama sublime en bordure d’à-pics. Le lieu est fantastique, habiter là est un privilège sans nom. Ceux qui y sont nés doivent trouver ça banal, moi je savoure… Mais quelle folie d’homme d’avoir bâti un village ici. Rien pour pointer ce lundi en début d’après-midi. Même « Le Relais », d’ordinaire ouvert, est fermé ces jours-ci. Pas de bol, ce sera donc une nouvelle carte postale de pointage.
C’est parti pour la dernière quarantaine de kilomètres menant à Nice. Facile, il suffit de se laisser glisser dans la descente jusqu’à Villeneuve-Loubet. Au retour du plat, les jambes sont molles, mais au fond rien d’étonnant après deux sorties de 1000km en 10 jours. Je finirai tranquillement à petite vitesse. À partir de là, la circulation automobile devient un véritable calvaire, dangereuse et synonyme de grande stupidité. Les vacances d’été n’arrangeant sans doute rien. Je renonce donc à aller voir du côté du bord de mer, question de survie, et d’une manière générale j’essaie toujours de fuir les touristes… Mais ici ce n’est pas gagné, ils semblent partout ! Je me rabats donc cette fin d’après-midi sur un hôtel situé à deux pas de la gare, « L’Hôtel Parisien » cela ne s’invente pas, pour une bonne douche et un petit somme bien mérité. Fin du cycle des vingt Flèches de France… Je ne m’en rendrai parfaitement compte que le lendemain matin, au moment de retourner en TGV vers Paris.
Voilà, mon cycle des Flèches de France s’est achevé en beauté, et pas seulement d’un point de vue paysages ou météo. Enfin une sortie sous le signe de la chance, et ce n’est pas forcément courant ces derniers temps ! La chance d’avoir échappé à un chauffard apparemment passablement éméché, celle extraordinaire d’avoir évité trois fois de justesse les orages en montagne par un changement de cap salvateur, celle de n’avoir subi aucun incident mécanique, et celle qui me laisse le plus perplexe : n’avoir connu aucune douleur, en particulier aux genoux – malgré quelques raideurs dans les cols, il faut bien être honnête – en dépit de l’enchaînement de deux sorties d’un millier de kilomètres chacune, ce qui reste vraiment inexplicable pour moi.
Pour finir, un grand merci à Jean-Pierre Pendu, responsable des Flèches de France à l’ACP, dont l’extrême gentillesse m’a permis – pour avoir ma revanche sur ma tentative foireuse de mai dernier – de réaliser ce vingtième parcours dans l’ancienne version touristique, malgré la refonte complète des Flèches intervenue en janvier (2013)… Alors chiche, rendez-vous dans quelques années pour essayer les nouveaux tracés !