Les Flèches de France : Marseille – Paris

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Le cycle des Flèches de France 2007-2013,
épisode 18.

Début octobre 2012, après mon final douloureux fin juillet sur Le Douze Cents – comme l’année dernière sur le Paris-Brest-Paris – mes genoux semblent enfin aller mieux. Il faut hélas que je me fasse une raison : 1200km est vraiment le maximum de distance que je puisse faire d’une traite !

Après deux mois et demi de repos, donc, l’appel irrépressible de l’ailleurs se fait plus fort que ma fragilité articulaire, et plus fort qu’une météo maussade et incertaine. Dans mes dernières Flèches de France à réaliser, ce sera donc au tour de Marseille. À vrai dire, cette ville ne m’attire pas particulièrement. Et l’actualité ne dit pas le contraire, surtout en ce moment. Alors, Marseille comme synonyme de quartiers redoutablement mal famés, de policiers véreux ayant une interprétation toute personnelle du règlement et de la loi, d’exécutions sommaires entre crapules, de citoyens ordinaires mettant le feu aux camps de Roms pour se débarrasser de voisins encombrants ? … Bref, tout cela forcément déformé et exagéré sous le prisme d’une vision médiatique parisiano-centrée abreuvée de sensationnel, c’est clair, et j’en suis conscient ! C’est ainsi et c’est vraiment dommage, mais je ne compte pas m’éterniser dans la Cité Phocéenne.

Point de vue logistique, le timing s’annonce délicat, car pour pouvoir voyager avec sa monture, il faudrait faire un détour pour aller chercher le train de nuit… à Toulon ! Mes trois jours disponibles pour cette Flèche n’y suffiront pas, surtout si je veux dormir un minimum une fois rentré ; ou ne pas arriver à la bourre au travail, fraîchement débarqué d’un wagon ! Ce sera donc une nouvelle mission pour mon vélo pliant, le Dahu-Dahon, qui me permettra de prendre un TGV le vendredi soir et de démarrer la Flèche dans la foulée, le samedi à minuit ou 1h, pour rejoindre Paris lundi dans la matinée. Ainsi j’aurai de la marge avant de retourner travailler le mardi tôt… Après un bon dodo !

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Vendredi 19 Octobre, après une journée de travail donc, j’arrive à la Gare de Lyon pour emballer mon vélo… Comme d’habitude, il est toujours prêt à se plier en quatre ! Je m’installe à l’écart pour bricoler avec deux vieux bouts de bâches et mon rouleau de scotch, et c’est parti pour la momification. L’opération est réussie en dix minutes. Il ne reste plus qu’à attendre pour savoir sur quel quai embarquer. Je me rapproche pour guetter de plus près le panneau d’affichage. Pendant ce temps, une patrouille d’intellectuels couleur kaki et bardée de mitraillettes passe au large, l’œil perçant. La troupe doit suspecter mon magnifique paquetage de dissimuler le pire des explosifs. Hé merde, l’étau se resserre ! Comme ils commencent à tourner autour pour encercler le Dahu-Dahon, je sens que l’ambiance peut rapidement tourner au vinaigre ; je reviens vite fait, l’air de rien, à mon paquet entouré des hommes de Vigipirate. Je n’ai vraiment pas envie qu’ils me demandent de tout déballer, et encore moins qu’ils fassent exploser préventivement le vélo, devenu martyr de la sécurité de l’État ! Ne devant pas trop correspondre à leurs critères du terroriste moyen, ils ne me demandent finalement rien, me foutent une paix royale, et finissent par s’éloigner d’eux-mêmes. Bon vent les gars. Puis le quai N°13 s’affiche, j’espère qu’il me portera chance. Et me voilà en train de faire rapidement des claquettes avec le linceul du Dahu-Dahon sous le bras, pour arriver le premier à mon wagon, espérant trouver un espace libre où il puisse rentrer. La logique de la SNCF est bien spéciale, car sur les TGV duplex les petits compartiments à bagages sont en bas… Et les grands en haut. Normal, il est évidemment plus facile de hisser quelque chose d’encombrant, et donc en principe plus lourd, à l’étage ; passons ! J’ai plus de 3h pour dormir un peu, mais n’y arriverai pas à cause de trois couples caquetants bruyamment dans le wagon. Un des duos s’amuse à le faire dans un agaçant anglais aux accents de yaourt franco-espagnol ! Hé re-merde pour ma première nuit à pédaler. Tant pis. Alors je médite sur l’aller qui fait trois bonnes heures, et le retour trois petits jours. Le millier de kilomètres parcouru en 200 minutes, douze secondes pour avaler un kilomètre, en y réfléchissant, la chose est quand même incroyable. Comment l’Homme moderne arrive-t-il à fausser ainsi son rapport à l’espace et au temps, tout en trouvant cela parfaitement normal ? Il y a sans doute une part de schizophrénie là-dedans. Dire qu’il me faudra près de vingt fois le temps de l’aller pour faire le voyage en sens inverse, sur le tempo lent des êtres vivants et du temps qui passe, de la réalité et de l’effort.

 

Samedi 20 Octobre, 1h du matin. Terminus, mon train arrive à Marseille. Je mets cinq minutes à déplier le vélo et le rendre opérationnel. Vite fait, bien fait. J’abandonne, bien replié proprement, mon emballage sur le quai. Un voyageur me demande si la gare ferme cette nuit. Je n’en ai aucune idée. M’ayant vu emballer le vélo à Paris, et ayant pris le même train que moi, il me demande où je vais. Il a du mal à comprendre que je ne dorme pas là, que je ne dorme pas tout court, que je viens de Paris pour y retourner aussitôt… À vélo… Et y être rentré pour lundi matin ! Il est stupéfait, trouve la chose impossible à réaliser, puis après une poignée de main virile, je pars sous ses encouragements. Plutôt chaleureux après tout, les Marseillais. Je descends le monumental escalier face à la gare, essaie de trouver le tunnel Saint Charles pour m’évader de la ville… Et bien entendu je ne le trouve pas. Mais est-ce bien un tunnel où juste le nom de l’artère ? Je n’en sais foutrement rien. Entre les statues et les divers éléments architecturaux colossaux, pas de doute, ici on aime la pierre ; c’est grandiose, un brin mégalomaniaque diraient les mauvaises langues. On pourrait se croire en plein décor hollywoodien de carton-pâte, mais non, c’est du solide. Il faudrait que j’aie plus de temps pour revenir, ne pas me contenter de ce passage furtif et de mes a priori. Dans la nuit déserte, j’entends un « Fais attention Petit ». OK, mais de quoi, c’est plutôt calme ici. En tout cas, plutôt bienveillants les Marseillais. Au fait, pourquoi les Parisiens n’aiment-ils pas les Marseillais ; et pourquoi les Marseillais n’apprécient guère les Parisiens (bon, dans ce sens-là d’accord, personne n’aime les Parisiens et en les voyant ça peut se comprendre…) ? Ce n’est quand même pas simplement une histoire de football ? Ce serait trop bête, trop con. Il doit bien y avoir autre chose, mais quoi ? Je grimpe au nord, à travers le quinzième arrondissement. Ces faubourgs populaires semblent tristes mais amicaux, avec cette même impression positive que j’ai ressenti en arrivant au Havre par le sud, après la traversée de la zone portuaire. Tiens au fait, ça monte un peu. Curieux ce faux plat continu pour s’évader de la cité Phocéenne, comme si elle cherchait à me retenir en me décourageant de pédaler. 2h pile, je quitte Marseille pour entrer dans Septèmes-les-Vallons. Le cordon d’urbanisation a été continu jusque-là. Un petit vent de trois-quarts arrière rend la progression facile dans la chaleur nocturne. Dans l’enthousiasme de cette nuit paisible, je me trompe stupidement de direction en suivant Eguilles au lieu d’Eyguières. Le nom que j’avais gardé au chaud dans un coin de tête, a dû s’éroder sous la caresse du mistral ! Je trouve quand même étrange que la ville soit indiquée si tôt alors qu’elle n’est pas si près, puis au bout d’un moment je m’étonne de ne jamais prendre à l’ouest, mais de continuer toujours plus au nord. Cela fait trop de bizarreries pour que la situation soit tout à fait normale. Coup d’œil sur la carte à la frontale. Je réalise mon erreur et rectifie le cap. Il fait bon pour une fin octobre, même trop, la température ne descendra pas en dessous de 20°C, ni cette nuit ni la prochaine. Rapidement j’ai trop chaud, je n’avais pas prévu des températures pareilles. Ce sera vraiment le point désagréable de cette randonnée, surtout quand la moiteur s’en mêlera, le vent ramenant le crachin par intermittence sur une grande partie du trajet, mais sans vraiment mouiller. Le grand axe de Tarascon à Uzès est tranquille. La nuit est noire, je la devine très nuageuse, seule une étoile ou deux arriveront à percer de temps en temps. J’entre dans Uzès après une étape toute plate…En ayant raté, je ne sais pas trop comment, le Pont du Gard ; franchement il faut le faire ! Je pense que suivre les directions Uzès m’a fait prendre la D19 au lieu de la D981.

Après pointage et ravitaillement à l’aube dans une boulangerie joliment décorée, c’est reparti. Dès le départ, cette étape annonce la couleur : c’en est fini de la plaine, place au paysage vallonné. Je passe tout près du charmant village escarpé de La Roque-sur-Cèze, puis sur son pont médiéval étroit et fortement dégradé, mais qui a tenu debout et c’est l’essentiel ! Classé monument historique, c’est dommage de le laisser arriver dans cet état de décrépitude tout de même. Les Gorges de l’Ardèche ne sont plus très loin. Personnellement, j’aurai placé un contrôle à Saint-Martin-d’Ardèche, car il est très facile de couper directement entre Uzès et Vallon-Pont-d’Arc, en s’économisant kilomètres et dénivelé, mais sans tricher, car l’itinéraire n’est pas obligatoire entre deux contrôles sur les Flèches en version touristique… Je vous dis ça, mais je n’ai rien dit… Et je n’ai pas testé non plus ! De toute façon, autant ne pas se priver du magnifique panorama offert par les 37km de gorges. Perchées sur les parois en bord de route, des chèvres me dévisagent. Elles ont assez bon équilibre pour ne pas faire tomber la caillasse. Les changements de rythme continuels de la petite route qui monte et qui descend finissent par être assez casse-pattes, et à 10km de Vallon-Pont-d’Arc, je ne suis pas mécontent de trouver le Col du Serre de Tourre et ses 323 petits mètres d’altitude. Ce ne sont pas forcément les cols les moins hauts les plus faciles, celui-là m’a bien lessivé ! Pendant ce temps, quelques gouttes de pluie sont toujours ramenées par le vent. La route est très humide. Il a dû pleuvoir, comme souvent sur ce brevet, juste avant mon passage. J’aurai de la chance… Et surtout une chaude moiteur. Après la pause photo au panneau du col, j’arrive à Vallon-Pont-d’Arc en début d’après-midi.

Après pointage et ravitaillement, je reprends la route tranquillement. Je savoure les 20km de terrain plat de ce début d’étape. Ça ne durera pas. À la sortie des Vans, après une traversée pas si évidente, il faut grimper en forêt à la rencontre du Col du Mas de l’Ayre. Dans la descente vers Villefort, la chaleur humide du crachin et de la végétation, si étouffante dans la montée, fait place avec bonheur à un peu de fraîcheur. Arrivé à Villefort, les choses se gâtent. La route est fermée entre Altier et Le Bleymard jusqu’à début novembre. Pas le temps d’attendre, alors passer là ou ailleurs ? Le problème avec les routes de montagne coupées, c’est qu’on ne sait jamais si on pourra passer quand même à pied, ou si la route est effondrée et le bas-côté impraticable. Comme la nuit sera tombée au moment où j’y arriverai, je n’ai pas envie de finir dans le ravin ou d’avoir à refaire tout le chemin en sens inverse. J’avais prévu de ne pas grimper vers Belvezet après Le Bleymard – que j’ai déjà fait deux fois, la dernière en juillet sur Le Douze Cents mais de faire un crochet par l’ouest pour visiter le col de la Tourette puis remonter par celui de la Pierre Plantée. Le détour n’est pas énorme, mais sympathique en termes de dénivelé ! Tant pis, je suis donc privé de ces deux cols et de celui des Tribes. Je ne tente donc pas le diable, et choisi de faire un autre détour, par la D906 en direction de Prévenchères. Pas de col par ici, mais ce n’est pas tout plat non plus. Le paysage est de toute beauté, avec une première partie très minérale. Après Prévenchères, j’oblique à gauche sur les petites routes. Profitant de la tombée du jour, un brouillard épais se lève. Passé par Puylaurent, je stoppe pour faire le point au milieu de ces petites routes du Massif Central bien piégeuses quand on navigue seulement à la carte routière. Un couple en 4×4 s’arrête, s’inquiétant de trouver au milieu de nulle part un cycliste dans la nuit et la purée de pois. Je leur dis que tout va bien, que je me suis juste arrêté pour faire le point sur ma carte… Et pour pisser aussi, mais ça reste entre nous ! Ils s’en vont, l’air pas vraiment convaincu. Quel con, sur le coup je n’ai pas eu la présence d’esprit de leur demander de me confirmer la route ! J’arriverai à me débrouiller sans trop de mal. Plus tard, j’arrive enfin à rejoindre la D6, pour atteindre Châteauneuf-de-Randon sans problème.

Pour pouvoir y pointer, il faut grimper sur les hauteurs du bourg. Je trouve une boîte aux lettres sur la place du village. J’y glisse ma carte postale, puis redescends vers Grandrieu… Et m’y arrête pour ma première micro-sieste. Cette deuxième nuit demande son dû en narcose ; je ferai donc encore deux courtes pauses à Langeac et Vieille-Brioude, avant de venir à bout de Morphée. Ce samedi soir n’attire pas grand monde sur les routes, tant mieux, et le dimanche matin arrive tranquillement. En traversant Manglieu dans le sens de la longueur, je me trouve face au panneau de sortie du village – surmonté du panonceau D754 – par la gauche au lieu de la droite. Comme il y a toujours deux bouts à une ficelle, je m’en vais chercher l’autre côté de la route départementale, que je ne trouve naturellement pas. Je tourne en rond, commence même à vouloir contourner le problème en passant par les hameaux environnant d’Auger et Le Montel… Sans plus de succès. Je me retrouve en train de jardiner dans des côtes improbables à près de 15 %, avant de me rendre compte que je n’aboutirai visiblement nulle part ! En désespoir de cause, je retourne au village pour refaire un tour de plus, et me retrouve une fois de plus face à la fameuse indication D754. Septique, mais sans vraiment d’autres choix, je me décide à la suivre. Elle me mènera finalement dans la bonne direction, contrairement à ce que me laisse obstinément croire ma carte ! Cette fin de nuit, je passe par La Beauté. On ne peut pas dire que ce village porte bien son nom, ou alors l’obscurité m’a caché quelque chose !

Dimanche 21 Octobre, j’atteins Billom au petit jour pour y pointer. Le bourg est encore endormi. Le soleil naissant inonde d’or l’église Saint-Cerneuf. La boulangerie peine à mettre en place son étalage, alors je me dirige vers l’épicerie rurale d’en face. Le vieux Monsieur y tenant boutique est très accueillant, et curieux de mon périple. Nous discutons un bon moment. Ses cochonnailles et fromages du cru me font de l’œil malgré l’heure très matinale, mais à vélo on peut bouffer n’importe quoi n’importe quand ! Je pense à mon cholestérol, et n’ose finalement pas y goûter. Pourtant j’aime ces terroirs et ces Hommes, cette rusticité du bout du monde à quelques centaines de kilomètres de chez soi – où d’ici Paris ressemble à une autre galaxie – qui se morfond en rêvant de modernité et de supermarchés, et qui paradoxalement rend si envieux le citadin. Avant de repartir, je m’en vais faire un petit tour par la cité médiévale. Je n’apprécie toujours pas, surtout au bout de dizaines d’heures à rouler, le contact rugueux des rues pavées avec mon fessier. Après un brin de tourisme, je peine un peu à retrouver la direction de Moissat. Nous sommes tout près de Clermont-Ferrand, et le retour en plaine ne sera pas encore pour tout de suite. Je trouverai cette étape particulièrement ingrate, car d’ici les montagnes russes que vous connaissez peut-être autour de Fougères sur le Paris-Brest-Paris… Semblent bien plates ! J’aurai le droit à de longs et interminables toboggans jusqu’à Bourbon-l’Archambault, que j’atteins péniblement. Mes genoux commencent à donner des signes de faiblesse. Après l’arrêt pointage, il faudra vraiment que je les économise. Le centre-ville me semble grand et éclaté. En y furetant un sacré moment, pas moyen ce dimanche après-midi de trouver quoi que ce soit d’ouvert. Étrange. J’aperçois enfin un homme en train de nettoyer la terrasse de sa pizzeria après le service du midi. Je crois enfin tenir mon sésame… Mais l’homme au jet d’eau n’entend pas être dérangé ! Trop aimable ; je finirai faute de mieux par pointer à la carte postale. Pas moyen non plus de se ravitailler – il ne faut pas trop en demander – et je vois de bien mauvais augure cette fin de journée se profiler sans rien trouver d’ouvert… Ce qui sera effectivement le cas dans tous les villages suivants ! Je pensais que la malédiction des commerces fantômes ne touchait que la France rurale du lundi après-midi, mais j’avais oublié qu’elle pouvait aussi par anticipation atteindre le dimanche. Pour faire le plein en liquide, je trouverai ma source salvatrice aux toilettes publiques… Mais pour le solide, il faudra rationner pour tenir jusqu’au lendemain à l’aube ; c’est-à-dire pas très loin de l’arrivée à Paris !

Sur cette route menant à Châtillon-sur-Loire, il y aura encore de nombreuses montagnes russes. Bien moins marquées et sans dénivelé extraordinaire, mais demandant tout de même à être passées en force pour ne pas finir à une vitesse ridicule. Avec la selle commençant vraiment à me faire mal, l’exercice n’est pas facile, alors la position en danseuse me fait du bien… Mais pas aux genoux ! En atteignant Le Veurdre, il reste à suivre – de loin – les rives de Loire jusqu’au terminus de l’étape. Les abords du fleuve sont très fréquentés ce dimanche soir. La nuit tombe vite et je ne suis pas rassuré, car il n’y a rien pour s’arrêter faire une pause de micro-sieste convenable sur le bord de la route, au cas où. Alors je force l’allure pour ne pas risquer l’endormissement dans toute cette circulation. Le flot automobile s’évapore en direction de La Charité-sur-Loire, et me revoilà enfin plus au calme. En continuant vers Châtillon-sur-Loire, les villages souvent bien éclairés offrent des abribus pour se reposer un peu, mais sans banc pour m’allonger, je n’ai pas envie de me coucher à terre. Le ciel est clair, la température chute vite. La lune est enfin présente après deux nuits boudeuses passées dans les nuages. La proximité de la Loire accentue vite la sensation de fraîcheur. Ça y est, pas de doute possible, nous sommes bien fin octobre. Je suis enfin content de m’être habillé chaudement… Trop pour le Sud, mais finalement pas assez pour ce soir ! Le sommeil, contrairement à la nuit précédente, ne me nargue pas. Après Léré, la beauté du diable de la centrale nucléaire assise sur l’autre rive de la Loire, se détache agréablement dans la nuit. Le dimanche touchant à sa fin, je pointe à la carte postale à Châtillon-sur-Loire.

Autour de minuit, l’air de rien, la nuit a basculé doucement au lundi. Au détour d’un virage, Gien illuminée me saute soudainement aux yeux. La ville déserte s’offre toute à moi dans un éclairage public feutré. Muni de mon appareil photo, je vadrouille le vélo à la main. Je joue avec les lumières du pont, puis fais fuir un escadron de mouettes. Elles s’envolent contrariées dans un vacarme incroyable, lacérant le silence de la nuit. La suite du parcours troque les bords de Loire pour de la forêt. Le froid se fait maintenant vraiment mordant. Après deux chaudes nuits aux températures d’un souvenir marseillais, je n’ai plus l’habitude. Octobre est là, et bien là. Les degrés très bas m’empêchent de m’assoupir, mais rendent ma progression laborieuse. Des vagues de grelottements dansent et vibrent le long de ma colonne vertébrale. Pour ne pas faire baisser ma vigilance, je focalise mon attention sur le froid essayant de me transpercer. J’en fais un personnage, un compagnon, un vagabond de route de nuit. Au petit matin, j’arrive à La Ferté-Alais… Enfin ! Je trouve un bar d’ouvert où le p’tit noir me réchauffe et me fait le plus grand bien, après cette nuit glaciale. Le café m’apparaît brûlant, sans doute le contraste des températures. Le patron est soupçonneux vis-à-vis du coup de tampon que je lui demande, comme de plus en plus souvent je trouve. Fantasme résultant des falsifications en tous genres dont nous abreuvent les actualités ? Il croit dur comme fer impossible d’être parti le samedi matin de Marseille, pour être deux jours plus tard ici, chez lui. S’en suit alors une conversation philosophico-surréaliste comme seuls les bistros peuvent en produire, où après une discussion animée entre consommateurs, tous conviennent que bien entraîné on peut faire 100km par jour, 200 à la rigueur en étant très fort, mais 400, non jamais !

Je m’en fiche, entre-temps j’ai réussi à obtenir tout de même mon coup de tampon, fruit d’une longue négociation, mais personne ne croit à mon odyssée ! Allons bon, c’est reparti dans le froid en direction de Paris et de son Pied de Cochon, où en cette fin de matinée, je vais enfin bientôt pouvoir me réchauffer. Pour une fois, la serveuse n’est ni au courant des allées et venues des fléchards, ni vraiment aimable. C’est terrible, décidément je ne suis pas crédible en cycliste !

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