BCN et BPF : Ile de France – 02 Aisne

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Kilomètres réalisés : 11300
Provinces BPF validées : 18
Départements BCN validés : 43

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Voici le dernier des départements de l’Île-de-France pour ces BCN / BPF. L’Oise passe encore point de vue proximité de Paris, mais l’Aisne me direz-vous ? Sans être trop calé en géographie, qu’est-ce qu’elle vient faire là-dedans ? La France est un pays où l’on aime bien pinailler pour un rien ; discuter si un pinard a le goût de framboise, de mûre ou de fruit rouge, parce que la différence est capitale et va tout changer à la marche du Monde ! Alors un concept comme celui de région, pensez s’il y a toujours moyen de palabrer… Pour preuve, la récente réforme territoriale – bien vite disparue des esprits autres que bureaucratiques, parce que d’un point de vue pratique tout le monde s’en fout – ayant accouché de 13 régions, grandes comme des vaches. Donc les provinces de nos BCN / BPF sont restées figées selon une vision historique, afin de ne pas changer de pointages tous les quatre matins. Le découpage est franchement suranné, mais pourquoi ne pas voyager dans le temps en plus de le faire sur la route ? Cela vous fera voir notre beau pays pareil, et comme ces brevets sont prétextes à découvrir des lieux de patrimoine, la boucle est bouclée. Bref, le décor est planté.

 

Après les dix heures enquillées d’une bonne journée de travail, départ 22h de Laon. Premier lieu de pointage, mais trop tard pour valider… Pour l’instant. La traversée de la ville, bien qu’assez étendue, est tranquille. C’est parti. La cité médiévale me guette sur les hauteurs. L’obscurité tente déjà de s’en emparer insidieusement. J’irai y jeter un coup d’œil demain à mon retour, de jour cette fois. Je suis rendu à la campagne après Chambry, et me voilà au milieu de la vaste plaine agricole, plate, venteuse, tandis que la nuit s’installe doucement. Sur ma droite au loin, des éclairs silencieux tranchent le ciel. Les orages annoncés pour la journée de demain semblent en avance… Ciel plombé, anthracite et bleu marine mêlés, ténèbres. Je m’approche doucement d’une saignée rouge clignotante qui partage en deux l’horizon, entre le noir foncé du sol et le noir clair du ciel, s’essayant à une composition digne de Pierre Soulages. Après Cuirieux, je traverse le champ de sentinelles à têtes rouges tournant au vent. Girouettes surdimensionnées à la respiration régulière, me voilà Don Quichotte en balade nocturne parmi les géantes. Une d’elles geint dans une complainte d’agonie. Le bonheur « made-in-china » passe aussi par les éoliennes émettant le grincement amer d’une civilisation de camelote. Vendre pour l’objet et non plus pour l’usage, pourvu que rien ne dure, surtout plus rien ! Longue montée en faux plat depuis Cuirieux donc, et jusque Neuville-Bosmont. Puis la descente vers Bosmont-sur-Serre me permet de récupérer un peu, avant d’attaquer la petite grimpette permettant de s’extraire du village. Une chouette se fait surprendre dans le faisceau de mes phares. Avec ses grands yeux de personnage de manga, bien vite la petite Dame blanche reprend son envol. L’étape se vallonne jusqu’à La Bouteille. Même si la nuit masque en partie les difficultés, j’ai l’impression tenace de ne pas avancer. Je passe devant l’église fortifiée de la bourgade, avant d’atteindre La Hourbe que je quitte par une descente joueuse en lacets. Puis j’arrive à Étréaupont comme dans un monde imaginaire. Pour la première fois de cette nuit voilà un village éclairé, alors que tous jusque-là étaient plongés dans l’obscurité complète. Cette impression subite de vie jaune orangée accrochée aux réverbères est étrange, irréelle, mais tellement réconfortante tandis que tout aux alentours semble dévoré par les ténèbres ; alors que minuit passé, l’heure est aux chiens et à leurs menaces hurlées au vent. Quelques kilomètres plus loin, je rejoins l’Axe Vert en direction de Guise. Le chemin est très sale, herbeux, boueux, et souvent les trois à la fois. Malgré mes phares, je n’arrive pas bien à discerner la limite de la route et du bas-côté. Ce n’est pas dit que de jour j’y aurais mieux vu. Tout plat mais dégueulasse de bout en bout, bref pas franchement digne de son appellation EuroVélo 3, l’itinéraire a au moins l’avantage de faire pénétrer directement au cœur de Guise.

Je connais la ville – et l’utopie réaliste du familistère voulu par Jean-Baptiste André Godin – j’y ai déjà pointé de jour, alors pas de problème pour cette nuit, je peux poursuivre mon chemin. S’extraire de Guise par une petite route sans nom et sans indication offre un long moment de suspense, puis j’atterris comme prévu à Macquigny. En traversant Origny-Sainte-Benoite, je me retrouve face à la sucrerie. L’énorme usine ronronne, monstre de tuyaux. Les bâtiments industriels émergeant des profondeurs de la nuit ont toujours un aspect fascinant, je trouve. Un arrêt photo s’impose. En s’en approchant, la créature endormie respire fort, son haleine sent l’alcool aussi. Pas sûr qu’ils ne fassent que du sucre avec la betterave par ici ! À Thenelles, je rejoins les berges du Canal de la Sambre à l’Oise. Je suis de retour sur l’EuroVélo 3. Chemin de halage, plat, cette portion est en bien meilleur état que celle qui m’a mené à Guise. La piste ressemble cette fois à une vraie route, étroite, très étroite même, d’autant plus que les herbes folles se penchent vers le milieu du chemin pour fouetter mes mollets nus. Rouler au milieu est plus confortable, sauf que les gravillons sont là, eux aussi, étalés en couche pas trop dangereuse néanmoins. Ils croustillent sous les pneus, sont projetés en tous sens, chantent sur les tubes du cadre. Petite musique cristalline de fin de nuit, rien de grave. Sans garde-boue, les tas de crottin avant l’aube sont plus traîtres. Rester vigilant, rester vigilant surtout, sur ces grands bouts droits entre deux écluses. Crevaison lente de l’arrière. Pas envie de réparer maintenant. Grosse flemme avant le petit jour. Je regonfle. Bien sûr ça ne tient pas longtemps. Regonfler encore. Pas mieux ! Bon, faut s’y coller. Rustine entre chien et loup, alors que passe sur un tempo grave et lent une péniche. Petit coup de moins bien pour traverser Saint-Gobain planté sur sa grosse butte. Je n’avais plus l’habitude après tout ce plat. L’entrée de l’ancienne Manufacture des glaces fait dans le mélange des genres : un portail en pierre de taille flanqué d’une sorte de phare trapu en briques rouge auquel est accolée une chapelle. Le petit bourg est finalement très ordinaire. Je m’attendais à mieux, à plus développé, vu le passé industriel glorieux auquel ce nom me fait penser. Fin d’étape vallonnée, donc, avant de rejoindre Coucy-le-Château.

Sur le terrain, pas de Coucy-le-Château tout court, mais Coucy-le-Château-Auffrique quels que soient les panneaux d’entrées et de sorties de ville. Pas terrible pour les photos de pointage. Rien d’ouvert, pas de coup de tampon à espérer, et avec la psychose du Covid je ne me vois pas tendre mon carton…  potentiellement contaminé aux yeux de commerçants suspicieux. Pas en ce moment. Alors je fais des clichés mettant en scène le vélo devant des endroits typiques du village, devant les vieilles pierres de la citadelle truffées d’échafaudages, même devant l’ancienne gare qui elle au moins, même si elle a perdu ses rails depuis longtemps, est la seule à porter encore le nom abrégé du village. Comme il est encore tôt, les volets sont clos. Pas besoin de parlementer avec ses habitants se demandant ce que je viens faire devant chez eux ! Je repars, la moitié du parcours est faite. Une quarantaine de kilomètres entre terres agricoles et bouts de forêts – qui est le décor habituel de ce circuit – pour une étape aux longues bosses… Et longues descentes heureusement. Après une nuit blanche vraiment sans circulation, les embauches du matin ne sont pas légion. Pas de vagues habituelles de bagnoles allant au travail. Début juin, la France semble encore engluée dans sa léthargie post-confinement. Cœuvres-et-Valsery est un joli petit village. Dommage que ses vieilles pierres soient en déshérence. En forêt de Retz – non, non, je n’ai mis le cap en Bretagne ! – je passe devant le Monument Van Vollenhoven, aujourd’hui terriblement kitch et incongru à une époque où notre passé colonial est réécrit selon les diktats bien-pensants du politiquement correct ; juger de manière lapidaire et prendre des raccourcis après-coup est tellement facile. L’époque, le contexte, tout le monde s’en fout… Bref, pendant ce temps le crachin furtif de la nuit s’est remis à tomber, persistant cette fois. Triste est mon arrivée à Longpont.

L’ancienne abbaye est incontournable dans le village. Malgré sa toiture disparue et sa rosace crevée, ses ruines restent majestueuses. Je quitte le bourg par une route tortueuse et bosselée en forêt. L’étape est très courte : une quinzaine de kilomètres. Le chant des oiseaux réjouis par l’arrivée de la pluie est très agréable ; les précipitations qui redoublent, beaucoup moins. Sorti du couvert végétal, la pluie s’est encore renforcée, elle ne me quittera plus sur les 100km restants. Je passe devant le Monument de la Division des Loups, planté là en plein croisement de routes. Puis voilà le Port aux Perches, aux confins du Canal de L’Ourcq, qui n’est pas si facile d’atteindre depuis Paris à cause de berges parfois remblayées de grosses caillasses, sans doute pour décourager les vélos de remonter jusque-là, mais c’est une autre histoire… La fin de matinée approche comme j’approche de La Ferté-Milon, dans pas mal de circulation.

Cette ville je la connais aussi ; aujourd’hui sous le déluge, et c’est rarement beau une ville grouillante en proie au déluge. Jean Racine s’en fiche, sa statue est protégée sous son avancée de pierre colorée. Alors je passe devant comme passent les bagnoles insensibles. Pluie, tumulte, bruit ; et toujours cette circulation de fin de matinée à Neuilly-Saint-Front. Toujours autant de bosses, toujours autant de flotte, puis j’arrive à Fère-en-Tardenois en tout début d’après-midi.

Le village n’a pas forcément un fort intérêt touristique, mais c’est parfois le mystère des lieux de pointage des BPF / BCN… À vrai dire, les saucées qui se succèdent me font manquer d’objectivité. Bon d’accord, l’étrange ruine de château juché sur son terril pyramidal pavé, vaut la curiosité d’un détour en Bois de Saponay mais je n’ai pas le courage de m’excentrer jusque-là. Par contre, j’ai bien l’envie fugace de m’abriter sous l’ancienne halle aux grains – pour les éviter, justement, les grains – mais je préfère finir pour rentrer me mettre au sec. Il reste maintenant une cinquantaine de kilomètres pour retourner à Laon, et y pointer cette fois. Cette dernière étape est relativement plate. Enfin presque. Une belle descente viroleuse mène à Braine, dont la remontée ne se présentera que 10km plus loin, à partir de Vailly-sur-Aisne par une longue montée continue faisant reprendre près de 150m d’altitude. Après avoir fini de grimper, la route redescend immédiatement vers Pargny-Filain. Il reste moins de vingt kilomètres à réaliser. La pluie m’inonde les lunettes, le visage, n’en finit pas de lessiver la sueur qui me brûle les yeux. Fin laborieuse, derniers tours de roues un peu à l’aveugle, et me revoilà au point de départ, à Laon. Je n’irai pas sur les hauteurs voir la cité médiévale. J’ai assez pris de pluie pour aujourd’hui. Fin de cette province de l’Île-de-France – enfin – mise à mal dans son déroulement par l’épidémie du Covid.

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