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Depuis début mai, je n’ai pas roulé. De vieilles douleurs et quelques autres, inédites. Et comme il n’y pas que le vélo dans la vie, beaucoup d’autres choses à faire. Une urgence chasse la précédente, se rajoute sur la pile, avec le temps qui dévore les heures et les semaines. Me voilà mi-juillet sans rien dans les jambes. Pour compliquer le tout, une ancienne envie a refait surface : celle de la TriRhéna, à laquelle je n’avais pas pu participer lors de la première édition à cause d’une tendinite de dernière minute. Le concept de cette année, un brevet de 1000km entre France Suisse et Allemagne, modulable entre dénivelé un peu corsé… et très corsé est bien tentant. Alors pour ne pas y aller totalement la fleur au fusil, il faut bien rouler un peu ! Il me reste à valider les deux départements normands les plus vallonnés en guise de hors-d’œuvre,… Et de passer ensuite au Dauphiné, mais c’est une autre histoire…
Vendredi 13 au soir, bon présage ou pas, ce jour m’a toujours diversement réussi. Je me retrouve gare Saint-Lazare après une bonne semaine de travail. Je pensais qu’il y aurait davantage de monde une veille de 14 juillet, mais ça va, bien que le train semble quand même complet. Arrêt Lisieux pour mon vélo, et le bonhomme qui va monter dessus. En attendant, je pends la machine à son crochet dans un recoin du wagon. Difficile de faire le tour du Calvados en enfilant les six pointages dans la journée, en étant de retour à la gare en fin d’après-midi. Le temps qui manque encore pour faire les choses bien ! Pour une fois, je fais donc l’impasse sur une localité : Balleroy-sur-Drôme. Je la validerai la prochaine fois, en terminant ma province de Normandie par la Manche… et du coup, par un petit détour aussi.
La nuit est tombée sur Lisieux. Les voyageurs arrivés à leur week-end se dispersent sur le quai. Pour moi : gilet jaune, éclairage, et c’est parti. Le départ est roulant ; facilité des débuts, quiétude de la nuit, et la ville s’est déjà dissoute dans la pénombre derrière. À dans une petite vingtaine d’heures ! De l’autre côté de la vallée de la Touques, le manoir du domaine de Saint Hyppolyte s’endort, drapé dans ses lumières. Effet Tour de France ou pas, les grillons m’encouragent en grésillant à cœur joie. Les premiers pétards se font entendre à Fervaques… ce seront les seuls de la nuit ! En sortie du village, l’ancienne usine de briques rouges conservera son mystère. Qu’y faisait-on ? Après deux belles bosses, Livarot m’accueille, éclairé. En m’en éloignant, minuit sonne.
La nuit sans lune a maintenant pris pleinement possession des ténèbres. La noirceur est totale, accentuée par les longues traversées de bois sur toute cette première étape. Une trentaine de kilomètres plus loin, Falaise sort à son tour de l’obscurité, sans vie. Étrange nuit de fête. Le décor a troqué les espaces boisés contre une vue dégagée. Les étoiles n’éclairent pas grand-chose, cependant que la voûte céleste sans être particulièrement dense, est un peu plus visible que dans beaucoup d’autres coins de France. Alors que les montées ont depuis le départ plutôt l’allure de – très – longs faux plats, une courte mais belle butte est à franchir en sortant de Clair-Tison. Brusquement, la nuit devient noire et blanche. Noire d’encre que ses étoiles n’adoucissent pas, blanc laiteux avalant la lumière de mes torches. La brume apparue soudainement est tenace. Malgré l’humidité l’air reste doux, et j’arrive à Thury-Harcourt pour m’installer à l’abri des arbres, et somnoler deux heures en attendant l’aube près du château des Ducs d’Harcourt jouant à cache-cache dans le brouillard.
Une fois le jour revenu, je pointe et quitte Thury-Harcourt. Je réfléchis encore sur la possibilité de passer par le pointage De Balleroy-sur-Drôme. L’idée est tentante, mais le timing est décidément trop court. Tant pis, je le laisse pour le week-end prochain, en faisant le tour de la Manche pour terminer cette province de Normandie. En traversant les boucles de l’Orne, la route passe par une profonde saignée dans la roche ; inattendue dans le paysage. Un peu plus loin, en bord de route, une petite flamme brille dans un modeste sanctuaire dressé à la Vierge Marie. Qui est venu et quand pour l’allumer ? La petite présence orangée, vacillante, apporte une note chaleureuse traversant le brouillard qui tiendra une bonne partie de la matinée. La chapelle des Trois Monts émerge à son tour de la brume, fascinante et digne malgré son état de délabrement avancé. Quel dommage de laisser pourrir ce qu’un simple bout de toit permettrait déjà de préserver. Je m’en approche dans les ronces pour quelques photos. Un plaisir simple de randonneur au petit matin. Une beauté désolante que je quitte à regrets. Les bosses deviennent plus courtes, plus marqués, plus revêches ; avant de s’aplanir vers Malto. En traversant Rots par la route étroite bordée de murs de vieilles pierres, son église majestueuse ma saute au visage, trônant sur sa petite place dégagée, avant que la perspective se referme à nouveau sur les parois minérales. En quittant Basly, je passe devant l’improbable Musée Franco-Allemand du Radar. À Douvre-la-Délivrande, je tourne en rond comme je l’ai fait à Thaon. Les mouettes dans leurs rires semblent se moquer joyeusement de moi. Je perds un temps fou, et ne regrette pas d’avoir fait l’impasse sur le pointage de Balleroy-sur-Drôme. Une fois remis sur le bon chemin, je peux filer sur le plat vers Pegasus Bridge. Le brouillard a fini par se dissiper, reste quelques nuages laiteux et une température déjà très agréable. Et voilà une bosse pour arriver à Bavent… sans baver ! Puis la fin d’étape sera toute plate. Après Goustranville je croise le Grand Canal… qui est un cours d’eau insignifiant, qui ne semble pas entretenu et envahi par la végétation. Le contraste entre l’écrit et le visuel est assez comique. À quel moment a-t-il donc pu être grand, celui qu’on a déjà du mal à imaginer comme un canal ? Les abords du petit cours d’eau passant par Robehomme sont beaucoup plus jolis. J’arrive à Beuvron-en-Auge pour pointer et prendre à la boulangerie… un Beuvron, bien sûr ! Une crêpe repliée en ballotin aux pommes. Pas mauvais du tout, et qui m’apporte une bonne note de fraîcheur avant de repartir.
Pour s’extraire de Beuvron-en-Auge et passer par les Forges de Clermont, il faut attaquer une côte faisant prendre 120m de dénivelé pour une pente jusqu’à 10 %. Les kilomètres passent ensuite plus facilement, et mes bidons remplis à Beuvron en Auge baissent vite avec la chaleur et le grand ciel bleu. Comme depuis le début du parcours, les vieux cimetières autour des églises n’ont jamais de robinet. Cela semble être une particularité du département. J’arrive enfin à trouver un point d’eau bien plus loin, au cimetière de Touques, comme pour me contredire … le premier, au bout de près de 200km. Après Pennedepie, l’horizon s’ouvre à gauche sur l’embouchure de la Seine, et sur Le Havre en face. Pas tout à fait mer, et déjà plus un fleuve. Honfleur n’est plus très loin, et j’y arrive après une étape encore bien vallonnée, comportant deux ou trois montées costaudes. J’entre en ville par l’ouest ; avec les plages, les vacanciers, la ribambelle de bagnoles garées ou essayant de la faire. Le centre-ville pavé est grouillant de piéton ne me dit rien. Je longe les bassins et les bateaux.
La proximité du rivage ramène un petit vent frais qui a bien du mal à rafraîchir les 30°C au-dessus du bitume. L’étape est courte, pas grand-chose à dire : 25km. Il faut encore passer quelques bosses exigeantes et j’arrive à Blangy le Château où tous les commerces sont fermés. C’est la malédiction rurale d’un début d’après-midi de jour férié ! Mauvaise pioche, il me reste le pointage photo et c’est reparti.
Allez, encore une étape vallonnée, mais qui me semble plus douce. À Marolles, le monument aux morts de la Seconde Guerre mondiale est en ruine. L’oubli fait ici pleinement son œuvre. En passant par Courtonne les Deux Églises, je rate quelque chose, je n’en vois qu’une seule. Puis comme un idiot, en relevant le nez du robinet où je me suis arrêté pour me rafraîchir et remplir mes bidons, je trouve accolé au petit cimetière la deuxième église, bien plus modeste que l’édifice du centre bourg. Orbec est à une dizaine de kilomètres. La ville m’est familière, et il m’en reste le mauvais souvenir du 1000 de Rouen, de la pluie qui n’arrête pas, des 900km fait laborieusement, du ciel déjà sombre attendant la nuit, des vitrines qui se ferment une à une en voyant le pestiféré dégoulinant que j’étais alors. Accueil calamiteux qui m’a fait à l’époque arrêter là ce brevet, bêtement, sans doute à cause d’une étincelle d’humanité qu’on n’a pas voulu concéder à un voyageur alors bien trop las, tout ça pour un coup de tampon manquant sur un bout de carton… Aujourd’hui c’est beau temps, grand jour, et je pointe facilement. Je bouche un p’tit creux avec un Normand, gâteau meringué à la crème de calva… ça vous remet un randonneur en route !
En quittant le centre-ville pour rattraper le chemin de Lisieux, je tombe devant une route barrée. Barrières métalliques et bottes de pailles me font penser à l’installation des festivités de la veille, 14 juillet oblige : bal, feu d’artifice, et tout le tralala pas encore fini de remballer… Je passe donc, confiant, pour me retrouver face au départ d’une course de bagnoles ! Allez, demi-tour, et grand détour. Ma petite marge que j’avais réussi à conserver pour ne pas rater mon train fond à vue d’œil, et pas seulement à cause de la chaleur de l’après-midi. La dernière étape ne sera donc pas tranquille ; même si je n’ai plus rien à pointer, il faut garder le rythme ! J’arrive à retrouver la D272, sans doute l’ancienne petite route négligée d’Orbec à Lisieux, qui paye le prix de la concurrence avec la très passante D519. Peu de passages à part sans doute des riverains, ce qui serait très agréable si le manque flagrant d’entretien ne donnait pas une chaussée très rugueuse sur cette fin de parcours. Après des changements de directions auxquels il faut être attentif pour ne pas perdre son chemin, je rejoins la grande route pour les derniers kilomètres. Lisieux se rapproche comme les agglomérations se succèdent ; et sa basilique Sainte Thérèse apparaît sur les hauteurs, flanquée de son affreux campanile évoquant au loin plus une horrible tour en béton qu’autre chose !
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Le parcours Openrunner N°8882524 réalisé : 285 km
La feuille de route détaillée
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