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Après un parcours vallonné dans la Nièvre en début de mois, j’ai eu envie d’aller voir un terrain encore plus bosselé, du côté de la Creuse, autrement dit l’ancienne province de la Marche.
Mais pourquoi la Creuse fin mars ? Pas pour chercher la chaleur dans cette France centrale au profil froissé qui compte des nuits encore bien fraîches. Au moins pour essayer d’avoir un peu de soleil… Sauf que le soleil, il est comme moi, il part en week-end. Et cette fois, il le passera dans le Nord, et moi dans le Sud ! Normalement, selon Dame Nature et Monsieur Météo, je devrais avoir une nuit sèche et venteuse, bien chargée en nuages, suivie par la pluie d’un samedi après-midi, éventuellement orageux. Bref, mauvaise pioche… Et merde, dire qu’il fera beau sur Paris. Je n’en suis pas à ma première pluie à vélo, on verra bien. Départ vendredi en début de soirée, après une semaine de travail. Le but de ce parcours est une nouvelle fois de démarrer en milieu de soirée, afin de regagner très tranquillement le premier pointage de Saint-Georges-de-Nigremont à l’aube, pour la preuve par photo, car bien entendu il n’y a pas de commerçant matinal dans la minuscule bourgade. 120km de nuit en mode escargot pour ensuite avaler le tour de la Nièvre, et les cinq autres pointages pendant qu’il fera jour. C’est parti pour 350km en tout, tout rond ! Cette nuit, pas beaucoup d’aide pour flâner, peu de villages éclairés, pas de clair de lune. L’astre est parti se reposer en fin de cycle, nous exilant dans les ténèbres. Après cinq bonnes minutes à essayer de faire comprendre au contrôleur que oui j’ai bien payé mes dix euros de supplément vélo, juste pour le suspendre à son croc de boucher, descente à la gare de La Souterraine. Il est des noms de villes qui sonnent comme des reproches ou des mystères. Et de temps en temps, les deux à la fois ! Celle-ci en est une.
Les premiers tours de roues sont humides. Le bitume brille, souliers noirs posés sur la terre auréolée de flaques. Le milieu de soirée est ténèbres, le ciel obscur, souterrain quoi. Je sais, c’est facile, mais nous sommes vendredi soir, alors j’ai aussi le droit d’être fatigué ! L’air est chargé d’eau, la transpire. Je m’enfonce dans la nuit comme dans un lac profond. Je quitte la ville par une première bosse en guise de hors-d’œuvre. Les autres suivront, nombreuses, plus tard. Pour l’instant, le début de parcours est sage. Je longe la N145 toute proche, qui se devine tracée par les bruits des moteurs et le jaillissement des phares. Quelques étoiles survivantes, les plus vivaces, semblent vouloir transpercer le ciel empli de ténèbres laiteuses. Les lumières du Grand-Bourg s’étalent devant moi, je passerai juste à côté. Je traverserai le village proprement dit demain après-midi. L’église de St-Dizier-Leyrenne surgit au détour d’un virage comme un joyau, cadeau de l’obscurité. En sortant de Masbaraud-Mérignat, en haut de la butte éclairée par les réverbères, les fleurs de cerisiers plus blanches que nature se balancent au vent ; irréelles. Face à son parking vide en contrebas, la citadelle de Bourganeuf fait grise mine ; un peu plus loin, la fontaine prend des airs de soucoupe volante baignant dans la nuit. Une petite grimpette à 10 % accompagne la sortie de la petite ville. La route se vallonne, prenant le caractère définitif de ce tracé, tandis que le vent se lève au cœur de la nuit. L’orage annoncé possible pour demain aurait-il de l’avance ? Au ciel les épais nuages ont gagné la partie, les quelques étoiles ont péri maintenant englouties. Une légère nappe de brouillard se lance en éclaireur du côté de Compeix. Après le village, une solide croix de pierre se dresse. Une sensation de plénitude païenne envahit l’incroyant que je suis. Sur mon passage, une église égrène quelques coups de cloches à la nuit. Après Royère de Vassivière, une descente m’attend pour rejoindre le lac. Combien de fois m’est-il donc arrivé de tourner autour. Le décompte en serait aussi approximatif que nombreux. Pour la deuxième fois, des inscriptions « Le Pen Le Pen » m’interpellent par leur teinte rouge sang. Je passe, elles sont ravalées par les ténèbres, comme un mauvais rêve. Quelques gouttes se transforment en pluie à Faux-la-Montagne. Météo, tes promesses ne sont que le vent qui fouette mes oreilles. Les oiseaux sont bavards de cette arrivée en avance. Après Gentioux, la pluie changée en crachin gras suivi en ami par le brouillard, régneront en maîtres toute cette fin de nuit. La sortie de Felletin se fait par une longue montée au pourcentage raisonnable sur toute la fin de cette étape. En gagnant de l’altitude, la brume se délite provisoirement, envahissant les vals alentour. L’aube se prépare à émerger, pendant que derrière, le ciel noir me promet de revenir en pluie de plus belle. Des moineaux rieurs s’éveillent dans les arbres déplumés. Les champs d’un vert détrempé, encore gris de la nuit, sont garnis de vaches ensommeillées, à terre. À Chersoubre, de jolis murets de pierre s’étendent dans tout le hameau. Mon timing est bon, j’arrive à Saint-Georges-de-Nigremont au lever du jour, pour faire ma photo de pointage alors que le village est encore endormi. Le robinet du cimetière est en purge, mauvaise pioche pour mes bidons. La soif attendra. En hauteur, l’église est convalescente sous ses bâches et ses échafaudages, mauvaise pioche pour les photos. La bourgade est perchée sur sa butte, je profite un instant du panorama avant de repartir. Des biches traversent la route : une, puis deux, puis une dernière tandis que le brouillard se reforme, tenace. Le tableau est joli, dans le vert myope et laiteux de la prairie aux arbres nus.
En repartant, l’étape comme les suivantes, sera bien vallonnée. Saint-Georges-de-Nigremont s’éloigne dans mon dos, trônant au sommet de sa butte entre mille lambeaux de brume, touché par un rayon de soleil comme par la grâce ; magnifique. En bifurquant sur Les Vergnes, la route se fait rapidement très dégradée, se changeant en chemin tour à tour gras ou empierré. Mes pneus ne se sentent pas à l’aise. À vrai dire je ne suis pas plus tranquille. Après un bon kilomètre de suspense, où je me crois égaré sur un sentier improbable, près à faire demi-tour, un ruban noir étroit refait son apparition, un sol goudronné me confirmant que j’étais sur la bonne route… si on peut l’appeler ainsi ! Au sortir de Crocq, le brouillard revient vite, encore plus épais à mesure que la matinée avance. Je rejoins la D996 pour une quarantaine de kilomètres, m’emmenant tout droit jusqu’au pointage suivant d’Évaux-les-Bains. Je m’arrête en chemin au cimetière en sortie de Rougnat. Cette fois le robinet recrache son liquide. Je peux faire le plein de mes bidons. Comme beaucoup de cimetières des environs, celui-ci dispose d’espèces de mini-serres ou vérandas posées sur certaines tombes. Ici les morts ont besoin d’abris plus ensoleillés que ceux offerts d’ordinaire par la pierre. J’arrive à Évaux-les-Bains et ne trouve rien comme commerces. Alors je m’enfonce dans les ruelles du centre-ville, tombe nez à nez sur l’église imposante, presque théâtralement mise en scène sur sa place, puis reconnais être passé ici lors de mon premier brevet de mille kilomètres. Je trouve une boulangerie proposant un thermal, délicieux petit gâteau praliné aux éclats de nougatine, que je finis d’engloutir juste avant d’entendre des miaulements. Ville d’eau et de casino, roulette aurait fait plus dentiste que pâtisserie, alors thermal pourquoi pas. Un chat noir et blanc, trapu, vient me faire ses amitiés et renifler mon vélo. Bien élevé, il ne baptisera pas mes roues de son urine ! Je n’ai rien à partager avec lui que des caresses, qu’il accepte volontiers, puis nous repartons chacun de notre côté. Adieu gros matou.
L’étape suivante est courte. Trente kilomètres commençant par une bonne descente vers Chambon-sur-Voueize. Le bourg est agréable. Deux anciennes cabines téléphoniques ont été reconverties en cabines à livres. J’en prends un pour m’accompagner, pour mon retour en train surtout, puis je quitte le village par la montée longeant les Gorges de la Voueize. De l’autre côté du petit parapet, les arbres plantés loin en contrebas semblent prendre racine dans le ciel. La route se stabilise en montagnes russes aux alentours de 500m d’altitude, puis repart nettement à la hausse pour cinq kilomètres assez ingrats à partir de Chanon. Toulx-Sainte-Croix, comme le premier pointage de Saint-Georges-de-Nigremont, est planté sur les hauteurs. Minuscule village lui aussi. Aucun commerce ni âmes qui vivent à l’heure de mon passage, mais de belles pierres. L’église en premier, comme coupée en deux : le clocher d’un côté, aux solides jambages de pierre semble avoir été décapité et posé là, et le reste du bâtiment jeté de l’autre. Puis une haute tour, presque un phare, si loin de toute mer. Et pour finir, l’ancien bureau de Postes et Caisse d’Épargne, imposant lui aussi, improbable dans un si minuscule bourg sans trop rien autour.
Je repars par une longue et belle descente viroleuse vers Clugnat. Le brouillard a cédé la place à quelques gouttes, puis le soleil revient doucement. À croire que j’ai fini par distancer le mauvais temps en dévalant les routes m’éloignant de Toulx-Sainte-Croix. Le village de Chaubier à l’air mort, formé d’anciennes maisons de pierres plus ou moins à l’abandon, puis contrastant en style et en vitalité, deux maisons plus modernes marquent de vie la sortie du bourg. Peu après, je me perds dans Chatelux-Malvalex, avare en panneaux de direction… En tout cas celles que je cherche ! Le solide bâtiment de l’hôtel de ville a l’élégance trompeuse d’une deuxième église ; c’est sur sa droite qu’il faut que j’aille. L’étape se termine avec des bosses assez joueuses à passer, et en dernier le Pont du Diable au fond de la Creuse et ses gorges, qu’il faut remonter pour accéder à Anzême ou tout est fermé en début d’après-midi. Je n’ai pas remarqué, si comme le dit la légende, il manque toujours quelques pierres à l’édifice. Et si paraît-il quelqu’un à l’idée de les remettre, le Malin les retire bien la nuit. Je contemple un instant le magnifique panorama qui s’étale devant moi, paysage où je suis passé il y a quelques instants. Grandiose.
L’après-midi printanier étale sa douceur sur une étape comme toutes les précédentes, bien vallonnée. La Celle-Dunoise est très jolie, lovée dans sa cuvette aux abords de rivière champêtre. Bien entendu, il faudra remonter tout ça. Je manque de m’égarer en traversant les hameaux de Rousseau, Lage, Châtelus, mais les routes étroites sont en bon état, contrairement à celles de ce matin du côté des Vergnes et d’Arfeuille. Le cyclisme au long cours tient aussi à l’audace du hasard et de l’inspiration. Je me laisse surprendre par un raidillon à 14 % après Lage. Le reste de la route se fait toujours vallonné mais sans surprise jusqu’à Crozant, où je trouve à la pâtisserie des sablés… crozantais, bien sûr ! Les dents plantées dans mon gros biscuit, je me demande si nos technocrates en déboulonnant et malmenant nos provinces, ont déjà parcouru notre France amoureusement, comme je l’ai déjà fait à peu près en tous sens. Pensent-ils vraiment que la Creuse à une gueule d’Aquitaine, vieille ou nouvelle ? Non, elle a une gueule d’un département du Limousin. Ancienne province de la Marche pour l’organisation de ces BCN et BPF, mais là c’est trop ancien pour moi ! Mais l’Aquitaine a une autre gueule ; enfin !
Encore un petit effort, je ne dois pas céder à la facilité de retourner directement à La Souterraine. Avant, je dois passer par Bénévent l’Abbaye. Un bon détour alors que j’y suis passé à deux pas la nuit dernière, mais sans le droit de pointer de nuit. Pas le choix, il me faut refaire la route dans ce sens. Le chemin a forcément des airs de déjà-vu. La température douce de l’après-midi et le manque de sommeil m’entraînent dans une certaine torpeur. Je m’arrête quelques instants, et me découvre pour que mon corps offre davantage de prise au vent, à ses caresses rugueuses de tout début de printemps. Ainsi j’arrive à me tenir en éveil et repars sans trop d’efforts de concentration. Je repasse par Le Grand-Bourg, cette fois de jour et par le centre-ville, avant que la majestueuse Abbaye de Bénévent jaillisse dans la plaine.
Après ce dernier pointage, il me reste à regagner La Souterraine. Mon train ne m’attend pas tout de suite, autant en profiter, alors je peux faire le petit détour que j’avais initialement prévu… Mais sans trop traîner. À l’image du reste du département, la nature est encore de bocage vert, bien humide des pluies récentes, garnie de petits ruisseaux ; une terre aux agréables vals et collines, dotés d’espaces boisés. Je plonge au sud puis remonte par Saint-Étienne et Saint-Pierre de Fursac. Je traverse le lieu-dit au curieux nom de Sagnemoussouse, difficilement lisible du premier coup ! Dans cinq kilomètres j’aurai rejoint la gare de La Souterraine dans le déclin du jour.
Début de soirée, je fais mes ablutions à l’eau glacée dans les toilettes de la gare, afin de ne pas asphyxier les autres voyageurs. 350km de sueur ne sont pas franchement agréables aux narines de quiconque ! Je n’ai ensuite plus qu’à attendre l’arrivée du train pour Paris. Mais là ce sera autre chose. Surréaliste, comme souvent avec la SNCF qui n’a pas voulu me vendre de billet avec vélo, je suis obligé de l’emballer de mes bâches de fortunes que je traîne depuis le départ… Alors qu’aucun vélo n’est présent aux places qui leurs sont réservés ! Encore plus fort, le retour sur Paris en redescendant de près de 200km jusqu’à Souillac, pour sauter après deux heures d’attente dans le train de nuit remontant en sens inverse de Toulouse… Où un ronfleur impénitent me donnera toute la nuit des envies de meurtres !
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Le parcours Openrunner N°7166759 réalisé : 350 km
La feuille de route détaillée
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