Comme il n’y a pas que le bitume dans la vie, quelques VTT sont toujours bienvenus dans une petite collection de cycles. Et quoi de plus emblématique des années 90 qu’une machine de l’américain Marin ?
Sans en avoir l’air, ce vélo a une histoire. Il a échangé son soleil californien natal pour un autre cagnard, celui de Dubaï – c’est l’étiquette sur le cadre d’un bouclard de là-bas qui le dit – avant de finir après je ne sais quelles péripéties, échoué à demi démantelé dans une poubelle de banlieue parisienne… où forcément je n’ai pas pu rester insensible à sa détresse, et je l’ai vite fait sorti de là avant que les ferrailleurs s’en chargent !
Le modèle Nail Trail a beaucoup évolué, et par rapport à l’année précédente presque tout a changé, seul le cadre semble être resté le même… et ici c’est principalement le cadre, qui est resté du vélo !
Sur cette épave tout semble d’origine, à part le pédalier… et c’est déjà une bonne chose.
L’aluminium de la série 7000, c’est du sérieux, ce n’est pas de la camelote à faire les poêles à frire ou des gamelles de camping. Ce cadre fait 2kg tout rond, ce qui est très raisonnable pour un cadre de VTT. Même bien astiqué, il semble toujours oxydé, une conséquence de son vernissage d’origine… qui comme tout verni appliqué sur du métal nu, résiste mal au vieillissement et aux intempéries. Malgré tout, l’aluminium n’est pas attaqué en profondeur, le rendu est juste un peu laid ! Ceci expliquant cela, il n’y a pas eu d’anodisation sur les tubes, sans doute pour éviter une rigidité de surface trop importante favorisant la fissuration des tubes à long terme… À part l’esthétique, rien de grave donc. Pour en finir avec la structure, comme on peut le voir, on ne lésine pas non plus avec les cordons de soudure !
Pour la fourche – Rockstar comme devrait être signé le moyeu avant… s’il était présent – pas d’aluminium mais de l’acier Cromo (4130 ou 25CD4 si vous préférez). C’est également du costaud, mais moins léger que le cadre, accusant un poids de 1,1kg à elle seule.
À peine plus de 3kg pour une ossature de tout-terrain, l’ensemble reste assez léger.
Le jeu de direction 1,1/8″ externe, qui à connu une grande popularité sur tous types de vélos depuis, en était ici à ses débuts. Ce modèle Diatech est doté d’un collier de serrage dans lequel s’emboîte le cône de centrage du roulement supérieur.
Habituellement c’est l’inverse, en absence de collier de serrage intégré au jeu de direction, le cône est renversé et se glisse directement à l’intérieur du roulement : plus moderne, plus simple et plus compact.
En tout cas, ici, cette solution est intéressante et sécurisante… et un peu paranoïaque aussi ! Au moins la robustesse était prise au sérieux à l’époque.
Le gros lettrage des grips estampillés Marin est maintenant presque devenu illisible. Tant pis. Cachées sous les leviers de frein, les manettes de dérailleurs demandent à être remises en état. Les vitesses n’arrivent à passer que sur la moitié des rapports.
Les dérailleurs sont d’incroyables ramasse-merdes – il faut bien appeler les choses par leur nom – pas franchement simples à nettoyer dans tous les recoins. A priori qui dit VTT dans son usage normal, dit récolte de bouillasse… Alors tout va bien ! Par contre, ne pas avoir conçu un matériel plus facile d’entretien est décevant de la part de Shimano. Une fois décrassés, donc, les dérailleurs – fonctionnellement en bon état – ont meilleure mine… mais il faudra un peu de persévérance pour en arriver là !
Pour le pédalier, autant oublier le Suntour – lourd comme un âne mort – qui vient d’un montage ultérieur, il faudra trouver mieux…
Les pédales vissées dessus sont conformes et d’un dessin classique qui perdure encore aujourd’hui sur les VTT plus ou moins bas de gamme. Cependant, ici c’est fiable et robuste : pas de plastique, la partie centrale est en aluminium. Une fois démontées, malgré les apparences, on peut s’apercevoir qu’elles ne forment pas une paire… Voyez-vous la différence ?
La selle Ritchey Vector Plus Rail dont la couverture débraillée demanderait à être refixée correctement, comporte aussi quelques accrocs, et même un beau manque de mousse à l’arrière du croissant.
Combler le vide
Commençons par le principal : les roues, parce que sans elles, difficile de faire avancer le projet tout comme le vélo ! Contre toute attente, elles ne sont pas trop dures à trouver. Avec un peu de patience, en dénicher avec des pistes de freinage non creusées et pour un prix raisonnable reste possible. Elles sont montées à partir de jantes WTB Speed Master 11.3 et rayons inox de 2mm. Les moyeux sont curieusement dépareillés, Shimano STX-RC à l’arrière et Marin à l’avant. Tout ça est d’origine. Système traditionnel à cônes / billes / cuvettes pour le japonais, mais – à première vue – on pourrait penser à une solution plus moderne de roulements à billes industriels pour l’américain. En fait, non !
Même si les pistes de freinage sont à peine marquées, le démontage indique que ces roues ont fait du chemin, car la surface des cônes est assez usée.
À l’avant, la fabrication est élégante avec ses embouts d’axe en aluminium et ses tôles embouties formant chicane sans aucun frottement.
Après un réglage correct, comme l’usure est plutôt régulière, la rotation de la roue avant ne « gratte » quasiment pas.Remettre en état l’arrière est à peine plus compliqué. À gauche, le gros cache-poussière conique en caoutchouc est sur le point de se désagréger ; remplacement impératif. Ici ce n’est pas le même modèle, davantage de matière, plus massif, mais en ponçant l’intérieur le tour est joué, on ne voit pas la différence ! Derrière, le cône est usé ; il présente un petit écaillage qui a malmené les billes de ce côté. Il faut aussi changer tout ça. Curieusement, le cône de droite est en parfait état… Tant mieux !
Le pédalier d’origine, un White Industries fabriqué par le japonais Sugino, est compliqué à dénicher sans être hors de prix…
Alors comme solution de repli – et parce que j’en ai aussi un sous la main – ce Shimano Altus fera l’affaire.
Vous ne trouvez pas qu’il y a comme un air de famille ?
Aluminium poli, ressemblance de l’esthétique anguleuse ; seules les manivelles moins cintrées et le nombre de cheminées – 4 au lieu de 5 – diffèrent. Point positif, on y gagne en disponibilité des plateaux, le tout sans grand changement… En étant conscient que c’est au prix d’un anachronisme de 2 ans.
Malgré des défauts rattrapables, la selle semble en assez bon état, mais en fait non ! Sa structure est tassée, déformée ; inutilisable donc. Cette autre version de la Ritchey Vector Plus Rail – à l’armature creuse – plus légère de 50g (245g contre 295g) mais aux angles élimés, assurera la relève. Rien de révolutionnaire dans la forme… et c’est bien le but !
Faire avec le reste
Bon, les pédales sont dépareillées, c’est un fait, mais ce n’est pas un drame ! Rien de flagrant, le corps est identique mais une cage a été remplacée. Les pièces étant très proches, le changement de cage est trahi par un montage hasardeux, de travers, et une vis manquante (à gauche de la photo)… Peut mieux faire. En fait, le mauvais entraxe des fixations la tire trop d’un côté, la laisse de travers et empêche de monter la dernière vis ! Il faut tirer les trous de la cage à la lime pour mettre en place correctement les vis, et en profiter pour transformer l’ajour de losange en rectangle, pour davantage de ressemblance entre les deux pédales (au centre de la photo)… Quand on ne sait pas que ce sont de fausses jumelles, au final l’illusion est parfaite (à droite).
Les grips sont conservés par respect de l’origine, du vécu du vélo… et parce que ceux qu’on trouve chez le fabricant ont maintenant un graphisme trop différent. Un Marin ça se respecte, on ne peut pas monter n’importe quoi, bordel !Le système de freinage Avid est d’une redoutable efficacité. Avec ces leviers Single Digit, la pression d’un seul doigt – comme leur nom l’indique – suffit pour commander les étriers v-brake presque sans effort. Les patins Kool Stop – américain oblige, sur un Marin ! – montés dessus contribuent sans doute aussi à transmettre cette puissance.
Pour les vitesses qui avaient du mal à passer et se verrouiller, le mécanisme de ces manettes Shimano STX-RC se reconditionne assez facilement… Je vous en reparlerai bientôt.
Au démontage du jeu de direction, le cône inférieur a mal vécu sous la boue et la crasse. Heureusement, le reste est encore en bon état. Le remplacer, ainsi que les cages à billes par la même occasion, est indispensable pour préserver l’ensemble. Ce sont des pièces standards, contrairement au reste du jeu de direction. Ici on voit la grande similitude entre l’ancienne bague usée, et la pièce neuve contemporaine. Pour une meilleure durabilité, bien bourrer les cages à billes de graisse tenace permettra de freiner l’intrusion de saletés.
Les roues sont équipées d’un moyeu Marin Rockstar – comme la fourche – à l’avant, Shimano STX-RC à l’arrière. Tout cela est normal… et d’origine ! Pour la transmission, vu le côté modique des 8 vitesses, chaîne et cassette neuves sont une évidence. Pas d’outrance inutile dans les développements, on reste sur un maximum de 28 dents pour être en accord avec l’époque.
Outre l’allègement, rien ne change pour la selle, à part la couleur des rails et le mini arc-en-ciel – emblématique de la gamme WCS de Ritchey – à l’arrière du croissant… Et après quelques soins, elle a même plutôt belle allure. Notez le serrage rapide de la tige de selle, présenté à l’envers des catalogues Marin d’époque, mais qui est plus cohérent dans ce sens, pour éviter qu’il ne s’ouvre en raclant une branche ou autre chose.
Les pneus Panaracer Fire XC Pro apportent la touche finale – bleue ! – pour le vélo remis sur roues.
11,7kg tout compris… Plutôt pas mal.
Et voilà, ne manque plus que le porte bidon pour la soif !
Ce vélo est très agréable à rouler. Sur l’asphalte comme il reste assez léger pour un VTT classique on ne ressent pas le poids, mais le plaisir est ailleurs… en s’écartant du goudron où l’engin reste confortable et garde une bonne motricité sans avoir l’impression de le sentir dribbler à chaque instant. Les pneus y sont sans doute pour quelque chose, et malgré leurs grosses tétines n’offrent que très peu de résistance au roulement, même sur route.
Bonjour Patrick,
Quelle plaisir de te lire à nouveau, et évidemment belle restauration, un Marin tout rigide c’est toujours plaisant à voir !
Il me tarde déjà l’article sur le reconditionnement des manettes STX.
Bonne année à toi
Bonsoir Basile, ça fait plaisir.
Il est effectivement très sympa à rouler, ce p’tit Marin. Je l’ai récupéré il y a un bon moment, mais pas le courage de m’y mettre, pas assez vieux (le vélo ; pour le bonhomme ça arrivera toujours trop tôt 😉 ), et puis pas envie de mettre n’importe quoi comme roues… jusqu’à tomber pile sur la bonne paire.
Patience pour les manettes STX, l’année dernière a été un peu compliquée, mais je me remets à mes tas de ferraille…
Bonne année à toi également.