Le cycle des Flèches de France « vintage »,
épisode 5.
le vélo pour revenir de Cherbourg : | Hélium H8 (1968) |
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nombre de vitesses : | 1 x 3 |
développement maximum : | 6,15m (46/16) |
développement minimum : | 4,10m (46/24) |
poids du vélo : | 13,8kg |
dénivelé du parcours : | 885m/100km |
22h, départ tranquille de Cherbourg après une belle journée de printemps, très fraîche, comme avril en a le secret. Demain sera pareil, froid mais ensoleillé… Après une nuit glaciale à pédaler. On verra. En attendant, le vélo roule bien. La ville s’efface vite, la banlieue aussi. Pas encore trop besoin de jouer du dérailleur sur les trois maigres vitesses de cet Hélium H8. Si le gaz est léger, le vélo beaucoup moins ; alors là aussi on verra. Il y a le temps, avant d’arriver dans cette Normandie casse-pattes où il faudra aller cueillir villes et gros bourgs au fond de leurs cuvettes. La première étape donc, plein est, vent modéré pleine face, est avalée rapidement. Même sous le clair de lune le rivage est incertain, la mer une simple éventualité. Seul le bruit des vagues couvert par le vent donne un indice. Bientôt, le tournoiement entêté des phares en donnera un second. Après une mise en jambes très légèrement vallonnée donc, je confie ma carte postale de pointage à La Poste de Barfleur.
En repartant dans la nuit, le vent a viré de face à travers, ce qui est logique après avoir changé de cap, et ce qui facilite surtout ma progression. Le vélo trace agréablement son chemin sur les grands bouts droits et plats, momentanément à travers les terres jusqu’à Quettehou. En sortie de Quinéville, la mer se dévoile cette fois comme une certitude, toute proche, de l’autre côté de la route. Les rouleaux gris foncé, comme de longues lignes grasses ondulent, le bruit du ressac est discret, couvert par la fureur du vent. À Utah-Beach je quitte le rivage, je ne reverrai plus la mer, le cap est définitivement mis sur l’intérieur des terres. Le vent arrière ne m’aide pas vraiment, je ne sens pas son souffle me pousser, mon pédalage n’est pas plus léger, étrange. Sur la route de Sainte-Marie-au-Mont se dégage une stèle. Un homme figé dans la pierre, le dos tourné au rivage, témoigne pour les 800 marins Danois ayant participé au débarquement. Nation passée inaperçue dans le tumulte de la guerre, pourtant avec ses morts, aussi. Cette halte me fait comprendre que le vent que je croyais avoir provisoirement dans le dos, pour une petite vingtaine de kilomètres, n’est pas vraiment favorable… puisqu’il est totalement retombé ! Au moins, en virant de bord une nouvelle fois à Carentan-les-Marais, l’avantage est que je ne retrouve pas cette nuit le vent de face ; tant mieux ! Quelques poches de brouillard naissant flottent, telle une escorte de petits fantômes dansants au-dessus de la route. Le chemin est paisible et j’arrive à Isigny-sur-Mer au terme d’une étape bien roulante où je n’ai même pas joué du dérailleur, mais bon, avec trois vitesses le choix est vite fait…
En ville, bien entendu rien pour pointer au cœur de la nuit. J’essaie de trouver une boîte aux lettres pour ma carte postale de contrôle. Je n’y arrive pas, je ne vois rien… Alors ce sera une preuve par photo. Je repars pour un début d’étape tranquille, faiblement vallonné. Une première vraie montée apparaît pour traverser Balleroy-sur-Drôme – site des BCN / BPF du calvados – nichée dans sa cuvette et plongée dans une brume très dense. Son château ne fait pas exception, camouflé dans les ténèbres nébuleuses. La température déjà fraîche en devient glaciale. Un nouveau fort raidillon se présente pour entrer dans Caumont-l’Éventé. Après ces deux belles montées, la route se fait plus vallonnée, les bosses plus fréquentes mais moins opiniâtres. Dans la brume qui s’est momentanément dissipée, les lumières de Villers-Bocage s’étalent au loin dans les ténèbres. Je suis en chemin vers Aunay-sur-Odon qui me reprend dans sa brume, et qui essaye de me retenir avec encore une grimpette. Thury-Harcourt n’est plus qu’à une douzaine de kilomètres, et j’arrive dans le bourg le brouillard revenu, pour pointer au petit jour.
Je repars pour une étape plate avec quelques petites montées, la première se présentant directement en sortie de contrôle, une autre bien plus loin, pour quitter Ernes. Le chausson aux pommes de Thury-Hartcourt – du Pétrin de maître corbeau, si vous voulez tout savoir – avec ses petites pépites de sucre dessus en est une… de tuerie ! Bah oui, le vélo au long cours nécessite du carburant, surtout sur une vieille – et lourde – machine. La pâte s’effrite, je m’en fous partout en le dévorant en roulant, mais c’est le prix du réconfort après une nuit passée à rouler ! La deuxième partie d’étape redevient vallonnée avec une petite côte en quittant Saint-Pierre-sur-Dives, suivie de bosses plus longues en sortie de Sainte-Marguerite-de-Viette et Livarot… Et une plus longue encore en sortie de Notre-Dame-de-Courson, exemples du relief à affronter jusqu’à Orbec – limité par les trois vitesses de l’engin – où je pointe en fin de matinée.
Je poursuis ma route par ce qui est devenu une habitude : remonter une bonne cuvette… commençant cette fois dans le dédale labyrinthique des rues d’Orbec. Une nouvelle petite bosse se présente pour sortir de Brogglie, puis le profil se dilue progressivement parmi les grands bouts droits pour atteindre le contrôle de Damville.
En repartant, l’étape commence tranquillement, puis après La Chaussée-d’Ivry les longues bosses font leur retour. Je m’égare quelques kilomètres plus loin en arrivant dans le Haut-Arbre… qui a dû être abattu depuis longtemps, visiblement ! Personne dans les rues ni dans les jardins des pavillons, circulation quasi nulle, le temps passe. Je fais signe à une voiture puis une autre, qui accélèrent plutôt que de ralentir pour savoir ce que je veux… Pas de doute, je rentre en région parisienne ! Assez de temps perdu, j’étudie les détails de ma carte routière, y place les particularités que je vois sur le terrain, imagine les petites routes qui ne sont pas tracées, m’oriente selon tous les indices collectés (antenne télécom, nœuds des routes, château d’eau, pont enjambant un minuscule cours d’eau) et mon flair comme boussole pour consolider le tout. Je me remets en route et serpente à peu près dans le bon sens… Un peu dubitatif. Contre toute attente, j’arrive du premier coup à atteindre puis m’extraire correctement de Tilly, malgré quelques hésitations. Il me reste alors une dizaine de kilomètres vallonnés pour atteindre le contrôle de Septeuil en passant par Le Gros Murger. Même avec l’orthographe approximative, Je ne sais pas comment je dois le prendre. Non je n’ai pas bu, et d’abord je ne suis pas gros non plus !
Cette dernière étape commence par une remontée de la cuvette permettant de sortir du village, avant de se laisser glisser dans la longue descente pour traverser Maule… et d’avoir à tout regrimper dans une montée qui n’en finit pas ! Arriver à se hisser sur le plateau des Alluets au crépuscule est très laborieux – et les développements limités du vélo n’expliquent pas tout – puis la route s’ouvre sur une vaste plaine dégagée au clair de lune. Il reste maintenant une quinzaine de kilomètres à parcourir, en début de soirée, dans la circulation assez dense des agglomérations franciliennes qui s’enchaînent jusqu’au dernier pointage du Pecq.
Voir ICI pour la Flèche réalisée dans l’autre sens avec un vélo moderne.