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Pour la deuxième – grosse – moitié de cette province, après les départements du Lot et de l’Aveyron formant la Basse-Guyenne, place maintenant à la Haute-Guyenne. Reste donc la Dordogne, la Gironde et le Lot-et-Garonne dans une grande diversité de paysages. La route sera plus rustique à l’est, parsemée de vallées, de forêts de châtaigniers et de bastides perchées… et donc entrecoupée de belles montées – comme pour le reste de la province – mais pas que, avec la platitude en direction de l’ouest, du bord de mer suggéré par l’estuaire de la Gironde, comme un long répit à travers les interminables forêts de résineux et les grands domaines viticoles. Ce circuit ne sera donc pas de tout repos avec un dénivelé global approchant les 1000m / 100km… ce qui veut dire qu’en enlevant la partie plate – vers l’Atlantique – lissant le tout, le reste n’en sera que plus vallonné !
C’est parti, départ de la gare de Thiviers en fin de matinée. Mi-septembre, l’été a été chaud, et ce qu’il en reste… le reste, chaud ! Histoire de se mettre en jambes, une étape courte et roulante même jusqu’à Brantôme. Le petit village est très joli dans ses vieilles pierres blotties entre les méandres de la Dronne et les falaises.
À l’approche de Ribérac la route se fait progressivement vallonnée. Pour l’instant rien de bien méchant mais la fin d’été est très chaude. Un arrêt aux toilettes publiques de Saint-Aulaye permet d’avoir un peu de fraîcheur et de faire le plein des bidons dans la fournaise où je suis déjà en surchauffe… Mon entrée en Gironde en milieu d’après-midi s’accompagne de l’apparition des premières vignes ; comme un cliché, une image d’Épinal du Bordelais. L’approche de Lussac se fait sur un goudron ramolli par le soleil, qui agrippe les pneus, chante en jouant les ventouses. La fournaise épuisante impose un ravitaillement à la supérette du village. Montagne se présente ensuite ; drôle de nom pour un bourg même pas situé sur une butte ! Saint-Émilion est maintenant tout près, pour une escale bien méritée ; premier pointage de ce circuit.
La route continue, faiblement vallonnée. Le décor ne change pas, toujours largement viticole, passant par le vignoble des Côtes de Bourg, moins ostentatoire, moins tape-à-l’œil que du côté de Saint-Émilion. L’estuaire de la Gironde se découvre peu à peu tandis que Blaye se rapproche. Curieux d’ailleurs ce nom de Gironde, comme pour ne fâcher ni les eaux de la Dordogne ni celles de la Garonne, qu’elle réunit. Pour dormir à la belle étoile, en attendant le premier bac du lendemain matin, Blaye n’est pas forcément le bon choix. Présence d’humidité due à l’estuaire ou à une autre cause, je ne sais pas, mais une chose est sûre, cet été la ville est infestée de moustiques ! Dans la nuit l’orage gronde, les quelques averses n’éloignent pas les bestioles qui font de mes jambes un festin…
Le lendemain, juste avant l’apparition de l’aube, quelques bagnoles sont dans la file pour embarquer en direction de Lamarque (les horaires du bac sont là). Petit à petit la file indienne s’allonge. Il y a surtout beaucoup de piétons, qui semblent être des saisonniers venus pour les vendanges. La traversée est vite faite, le jour se lève sur l’estuaire, mine rien il y a déjà de belles vagues par ici, promesse d’océan, lui qui est déjà sans doute intimement mêlé à l’eau des deux fleuves réunis. Brassage impressionnant. Le navire grogne, manœuvre, s’immobilise. Nous voilà de l’autre côté. Les bagnoles s’en vont. Premier monté dernier sorti, je repars de Lamarque au petit jour, passe devant son église au clocher à dôme. L’étape est courte et plate – une petite remontée vers la Pointe de Grave – à travers le vignoble pour atteindre Pauillac.
Lever du jour tranquille, atmosphère un peu trouble. Après Sémignan, la physionomie de la route change. Exit la viticulture et place aux grands bouts droits plats de cette partie de la Gironde qui annonce, plus au sud, Les Landes et son interminable forêt. En milieu de matinée, après Carcan, les flaques d’eau laissés par les orages de la nuit dernière s’assèchent doucement. En direction de Lacanau, une fumée se fait de plus en plus épaisse, recouvre tout. L’odeur de bois brûlé est forte, le ciel gris nébuleux. Pris dans une beauté morbide, une poésie inquiétante, le monde est devenu opalescent. Des feux de forêt ont débuté la veille. Sur la voie verte règne un calme étrange. Les animaux se sont tus donnant un sentiment irréel, encore plus que la fumée elle-même chapeautant les arbres. L’incendie ne doit pas être très loin à vol d’oiseau. L’air devient de plus en plus dense, âcre ; puis subitement, certainement au gré des vents, le rideau de fumée disparaît brutalement. Subsiste un ballet de véhicules de pompiers et de gendarmerie, et passe la silhouette jaune d’un Canadair. Fin de matinée déjà bien chaude avec 30°C, aussi le point d’eau le long de la voie verte à Lège est la bienvenue pour se rafraîchir et faire le plein des bidons. En repartant, le t-shirt que j’ai trempé sous le robinet est sec en 10mn. L’approche du bassin d’Arcachon se fait largement urbanisée, surtout après Biganos, où la possibilité d’être au calme sur la voie verte forestière disparaît. Heureusement, le pointage du Pyla-sur-Mer n’est plus très loin.
Comme à l’étape précédente, je repars sur les grands bouts droits plats en forêt. Les arbres protègent de la fournaise de l’après-midi, puis s’étiolent. La forêt se dessine plus austère, plus contrastée, peuplée d’une multitude de traits d’ombre en plein soleil. Univers triste. Les arbres en patientes sentinelles tiennent encore debout dans la dignité de leurs troncs noirs. S’ils ne sont pas trop calcinés en profondeur, peut-être reverdiront-ils ? C’est à espérer. Les feux intervenus ici plus tôt dans la saison ont laissé leurs stigmates. Certains villages comme Hostens ne sont pas passés très loin de la catastrophe, entourés d’une forêt martyrisée. En sortie de Saint-Léger-de-Balson se présente le premier cimetière de la journée comme point d’eau. Journée grandement solitaire sur ces routes interminables tirées d’un trait, où les distances semblent s’allonger à l’infini et les regroupements d’hommes s’éloigner, se diluer d’autant. Ce terrain plat aux grands bouts droits mène jusqu’à Bazas.
C’est reparti pour la dernière étape dans cette fin d’après-midi qui s’annonce. Peu à peu, la forêt girondine que j’ai traversée toute la journée depuis l’aube, cède la place au vignoble. Une longue bosse se présente pour entrer dans Auros. La première depuis une éternité de routes plates, pour une fin d’étape pas très vallonnée, même s’il faut grimper sur les hauteurs pour traverser Sainte-Croix-du-Mont. On pourrait rester dans la vallée… mais en ratant l’essentiel du village. Le jour décline, il est temps de faire escale pour une courte nuit.
Je replie le camp en milieu de nuit. Cadillac est tout près, avec pour se remettre en jambes, une dizaine de kilomètres à travers les vignes. Les ténèbres règnent encore pour plusieurs heures, mais je n’ai pas besoin de m’arrêter. Ce pointage est le contrôle alternatif de Sainte-Croix-du-Mont… que j’ai validé hier soir, alors tout va bien !
En repartant, je passe devant l’UMD (Unité pour Malades Difficiles). Sans y travailler, connaît-on vraiment dans les environs, la destination du bâtiment ? La psychiatrie fait peur, véhicule tous les fantasmes, alors – ici plus qu’ailleurs – elle se fait souvent discrète dans le tissu urbain. Devanture sobre pour un lieu sécurisé qui se cache derrière ces hauts murs. Dans la nuit les éclairs lacèrent les ténèbres. La foudre se précise droit devant. Ne pas avancer trop vite pour comprendre dans quelle direction elle se déplace. Finalement, je progresse entre deux foyers orageux que j’arrive à dépasser… en évitant les averses. Puis après Saint-Laurent-du-Plan le tonnerre déchire à nouveau le ciel, cette fois bien dans l’axe de mon avancée. L’humidité donne du brillant à la nuit. Je fais quelques pauses pour ne pas me jeter dans la gueule du loup. Les oiseaux heureux déclament des odes à la pluie qui vient de s’abattre. Le jour est encore loin, je ne suis pas pressé pour le prochain pointage, alors autant rester au sec… à rouler sur la route trempée ! L’étape faiblement vallonnée me mène à travers les vignes jusqu’à Duras, village perché sur sa butte.
En tamponnant dans sa boutique, la boulangère me dit avoir doublé un peu plus tôt un vélo bien éclairé dans la nuit… Vu le peu de trafic et les orages nocturnes… peu de chances qu’il y ait beaucoup d’autres cinglés à vélo à ces heures, et donc de grandes chances pour que ce fût moi ! Après un pointage à l’aube c’est reparti en direction de Monbazillac, sur une route vallonnée encore très humide des orages qui s’éloignent avec l’arrivée du jour.
En repartant dans un paysage à la perspective campagnarde bosselée, la vigne disparaît presque subitement, remplacée par l’arboriculture. La route est casse-pattes, avec de courtes montées et descentes qui s’enchaînent continuellement pour grimper d’une colline à l’autre. La chaleur est encore une fois présente cette fin d’été, monte vite avec 34°C sous un soleil voilé, aussi je ne suis pas mécontent d’arriver à Laparade en tout début après-midi.
Je repars en descendant vers la vallée du Lot. Le retour momentané du terrain plat fait du bien, après avoir joué à saute-mouton à travers les collines… S’il n’y avait pas tant de vent contraire ! À Aiguillon, je troque le Lot contre la proximité de la Garonne, puis passe par la jolie bastide de Vianne et ses verriers. L’étape est toujours tranquille, et atteindre Nérac se mérite quand même par une bonne montée passant par Serbat… Une petite friandise pour éviter 5km de la route directe beaucoup plus fréquentée. C’est hélas sur ce chemin dégradé que mon appareil photo a dû en profiter pour jouer les filles de l’air, en sautant de la sacoche à bonne vitesse, ce qui explique le peu de clichés de ce compte rendu.
La fin de l’après-midi se profile, et il faut vite repartir pour espérer valider le contrôle de Saint-Maurin, qui ne propose pratiquement pas de commerces pour pointer. Malgré une accalmie le temps de traverser l’agglomération d’Agen prise dans la circulation, la route est à nouveau bien vallonnée. Les kilomètres défilent et le ciel se montre de plus en plus menaçant en approche de Saint-Maurin. Dans la grisaille et balayé par le vent, le village apparaît bien triste ; désert. Tout est fermé et le crachin commence à tomber. Pas terrible pour y faire le touriste ; je préfère tenter d’échapper à la pluie. Une rapide photo de pointage et c’est reparti.
La bruine continue à tomber, puis à proximité de Bourg-de-Visa l’humidité s’éloigne comme je change de cap. Je laisse dans mon dos le ciel à sa mélancolie, drapé de son écharpe arc-en-ciel. La bonne descente pour quitter Beauville permet de récupérer avant d’aborder la très longue grimpette – avec un court replat – en direction de Saint-Amans-du-Pech. Le jour agonisant, l’univers se couvre d’or. À la nuit tombée, une saloperie de clébard sorti de je ne sais où vient me chercher les noises ; pas moyen d’être peinard ! En grimpant le court raidillon passant par Baladat, Penne-d’Agenais tout proche apparaît dans la bascule. Le village perché se dégage des ténèbres dans son éclairage public aux tons orangés, et le traverser se mérite encore par une montée plutôt âpre. Je me cache dans un recoin en ville pour attendre le lendemain matin afin de pointer. En milieu de nuit, la pluie tombe sur les feuilles de la végétation sous laquelle je me suis dissimulé. Comme le buisson est compact, je suis à peine mouillé sous mon refuge improvisé, et l’orage s’éloigne finalement assez vite après quelques averses sporadiques. La nuit se passe en pointillé, au rythme des gouttes qui s’écrasent sur mon visage. Le lendemain matin, après un bon décrassage aux toilettes publiques, rien d’ouvert. Tant pis. Je redescends du village pour tenter ma chance à l’entrée du bourg, vers le port. Bien que la boutique soit fermée, le boulanger s’affaire dans son laboratoire, porte ouverte. Même s’il est encore tôt, l’homme à la gentillesse de me ravitailler et de tamponner mon carton… Après une sympathique discussion, c’est reparti dans le petit matin frais.
Très vite, la courte étape vers Villeréal se fait vallonnée, en particulier pour traverser Monflanquin, visible de loin juché sur sa butte… Mais ça devient une habitude !
Un saut de puce plus tard, bien roulant cette fois – juste une quinzaine de kilomètres en terrain plat – et voilà Monpazier.
Mais forcément ça ne dure pas, et en repartant la route se fait de plus en plus vallonnée au fil des kilomètres. Notamment avec une montée interminable passé Fongauffier – compensée par la bonne descente de 3 ou 4 kilomètres qui suit – avant d’atteindre le parcours cyclable la Vallée du Ciou qui présente également une belle montée… Suivie d’une autre pour accéder à la bastide de Domme envahie de touristes.
Quitter le village se fait par une belle et longue descente. Après un bon répit, apparaît une montée de plus de 4km pour s’éloigner de Sarlat. Cette courte étape d’une trentaine de kilomètres se poursuit sur une route ondulée mais globalement en descente, pour atteindre les Eyzies-de-Tayac après avoir trouvé un point d’eau au cimetière de Meyrals.
Je repars en passant par les sites préhistoriques au voisinage du village. La route se fraye parfois un chemin dans la falaise, nettement creusée, qui déborde de manière impressionnante dans le vide, au-dessus de la chaussée. Les rochers en spectateurs immobiles présentent des formes extravagantes. Après un début à plat, le chemin se poursuit en légère pente continue après Manaurie pour poursuivre sur un plateau à Rouffignac-Saint-Cernin-de-Reilhac, finissant par de longues bosses jusqu’à Hautefort.
Le dernier pointage fait, il reste à retourner sur Thiviers, retrouver la gare et reprendre le premier train du matin. Une petite cinquantaine de kilomètres encore vallonnés, mais sans doute à cause de la nuit qui lisse le relief et de la fin de parcours qui se profile, les bosses paraissent assez faciles.
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Le parcours Openrunner N°15501331 réalisé : 940 km
La feuille de route détaillée
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