Sauver une fourche de la corrosion galvanique

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Lors du démontage d’un vieux clou, vite fait on se heurte à la difficulté d’extraire une potence – à plongeur – récalcitrante. Agacement de routine, rien de grave, la plupart du temps on y arrive même s’il faut être têtu… Et parfois non, rien ne bouge ! Le coup de maillet sur le boulon du plongeur pour décoincer le cône, les va-et-vient sur le cintre, l’huile dégrippante par le jeu de direction, d’autres coups de maillet sur la potence en espérant la faire descendre un peu et la débloquer, nouvelles giclées d’huile dégrippante et autres tentatives de torsion du guidon la roue entre les genoux ne mène toujours à rien après de multiples tentatives… Vous voilà tombé dans le côté obscur et impitoyable de la corrosion galvanique.

Mais pourquoi donc ?

Pour faire simple, pour que le phénomène se produise, il doit y avoir contact entre deux métaux de nature différente (ici l’aluminium de la potence et l’acier du pivot de fourche) en présence prolongée d’une couche humide (saumure composée de vieille graisse, de bouillasse, de résidus de polluants… le tout gorgé d’eau) entre les deux. Dans ces conditions, la zone de contact sera amenée à s’oxyder de manière d’autant plus accélérée que chaque métal à la capacité de s’oxyder facilement à titre individuel (ce qui est le cas de l’aluminium et de l’acier bien davantage que par exemple l’inox ou l’or). L’oxydation forme une zone de coincement très puissante. On le comprend facilement en remarquant le gonflement de surface de tout objet rouillé (la couche de rouille peut prendre jusqu’à sept fois le volume de l’acier sain).

Alors comment faire ?

Il y a beaucoup mieux à faire que d’en venir à fausser la fourche après tout un tas de tentatives musclées en torsion, d’improvisations barbares et hasardeuses. La vie est parfois faite de petits comme de grands renoncements, c’est ainsi, alors pour lever ce verrouillage insurmontable, pas le choix, il faut se résoudre à livrer la potence à la scie. Il sera toujours beaucoup plus facile d’en retrouver une d’un type similaire qu’une fourche à l’identique. Plus loin dans cet article, on verra que de toute façon même sans sacrifier la potence, elle est déjà condamnée !

Première étape, retirer le guidon de la potence. C’est quand même plus pratique pour travailler proprement. Desserrer boulon du plongeur, le frapper au maillet pour décoincer le cône (normalement c’est déjà fait), puis retirer le boulon.

 

Ensuite, la potence est livrée au bourreau, sciée pour pouvoir sortir la fourche du cadre. Dans un premier temps le plus loin possible pour éviter tout risque de dégâts ; selon l’axe – horizontal ou vertical – dans lequel vous vous sentez le plus à l’aise.

 

 

La fourche retirée du cadre, une première approche naïve consisterait à serrer le moignon de potence dans un étau, chauffer le pivot et faire travailler la fourche en rotation pour débloquer le tout. Cette solution est totalement stupide ! En effet, outre les risques de déformation du pivot trop chauffé, l’aluminium – de la potence, à l’intérieur donc – se dilatant davantage que l’acier – du pivot, à l’extérieur donc – on augmenterait le coincement au lieu de le réduire !

 

Pour faire les choses bien – parce que c’est quand même le but – le plongeur est scié soigneusement à raz du pivot de fourche. On constate la forte épaisseur d’aluminium à ce niveau. S’en débarrasser ne sera donc pas si facile… mais au moins on est prévenu !

 

Dans le principe, il faut percer de plus en plus gros jusqu’à se débarrasser des vestiges du plongeur de la potence. Pour cela, si vous avez le goût du risque une simple chignole suffit… sinon, il vaut mieux oublier ! Plus sérieusement, pour éviter un massacre, il faut percer le pivot parfaitement dans son axe. Pour cela, une perceuse sur pied est indispensable pour immobiliser la fourche par l’intermédiaire d’un étau. Son pivot doit être parfaitement vertical, contrôlé soigneusement au niveau… À condition que la perceuse soit elle aussi rigoureusement de niveau ! Sinon, une méthode très simple est de monter dans le mandrin un foret de diamètre ajusté à celui du trou du plongeur. Faire descendre ce foret profondément dans le plongeur puis serrer fermement l’étau pour immobiliser la fourche. Ainsi le foret est parfaitement dans l’axe du pivot.

Tout étant immobilisé bien en place, percer par passes successives ; au départ tous les 2mm – si votre perceuse est assez puissante pour le permettre – puis tous les millimètres jusqu’à 20mm de diamètre pour un plongeur de 22 ou 22,2mm (19mm pour du 21). On ne dirait pas, mais ici sur la photo, le dernier foret est bien 2mm plus petit que la potence d’exemple. Le travail est laborieux, et éprouvant pour la machine et les forets. Les arroser copieusement d’huile de coupe pendant toute l’opération de perçage est absolument nécessaire. L’essentiel est de réaliser des perçages les plus propres possibles pour garder une bonne concentricité. Essayer de percer directement au diamètre final ne mènerait qu’au carnage avec un foret qui « broute » un trou en forme de patate, imprécis, avec un risque de dérive au point d’attaquer le pivot de fourche par l’intérieur.

À ce stade, en ayant été soigneux et prudent, il ne reste qu’une faible épaisseur de sécurité pour ne pas risquer d’attaquer le pivot de fourche. La couche d’aluminium devenue assez fine peut se déformer, et libère une grosse partie des contraintes mécaniques et donc la force de coincement dû au gonflement de l’oxydation. Pour faire un parallèle, il est plus facile d’enfoncer une canette avec le doigt qu’un gros tube !

 

 

Par le dessous de la fourche, on peut maintenant repousser à coups de marteau le cône vers le haut à l’aide d’une grosse tige, et faire avec lui, ressortir les vestiges du plongeur.

 

On pourrait penser l’écrou de blocage en pente – comme ici sur la photo – plus facile à extraire. En fait non, avec celui de forme conique, le plongeur est fendu ce qui libère bien les contraintes une fois son épaisseur réduite par les perçages. Le résultat de la corrosion galvanique est nettement visible ici. L’aluminium est profondément altéré, on dirait un vieux bout de tuyau en plomb ayant séjourné sous terre ! Même sans être sacrifiée, on se rend bien compte que la potence était de toute façon déjà bonne pour la poubelle.

Pour finir, il reste à nettoyer l’intérieur du pivot de fourche, normalement resté intact si dès le départ la fourche a été soigneusement immobilisée dans l’axe du foret. La seule chose est de s’assurer que la corrosion ne l’a pas trop attaqué… Mais en principe l’aluminium (surtout non anodisé) a davantage souffert que l’acier (de bonne qualité).

 

Si l’intérieur est très sale, le mieux est de passer un alésoir. Mais pour une utilisation ponctuelle, il suffit d’enrouler un morceau de papier de verre autour de la queue du plus gros des forets de perçage, puis de le faire tourner quelques instants dans le pivot de fourche avec des mouvements de va-et-vient en hauteur.

 

Voilà, la fourche est prête à être réutilisée.

 

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