À l’époque où je me suis aligné sur ce brevet, il n’y avait eu qu’une grosse poignée d’homologations, et le temps était limité à 50h (au lieu de 60 d’aujourd’hui). De quoi me faire peur, et à juste raison ! Le Randonneur 10000 venait d’être lancé… et il me fallait donc une Super Randonnée pour boucler le mien (j’en bouclerai un deuxième en 2015 grâce à mon Dauphiné Gratiné, bien plus ardu). Sans cette contrainte, je crois que je ne me serai jamais embarqué dans cette randonnée. En lamentable cycliste des plaines, je me suis donc collé à ce rêve – ou ce cauchemar – inaccessible… en espérant tout de même réussir… ou peut-être pas !
Jeudi 7 juin 2012 peu avant 7h, je suis au point de départ devant le panneau de sortie de Carcès pour le pointage initial… et j’ai peur ! Je ne m’imagine pas quelque chose de facile, mais cette Super Randonnée de Haute Provence est-elle seulement réalisable, à ma portée, moi qui n’ai absolument aucun talent de grimpeur ? Moi qui ne me suis jamais vraiment confronté à la montagne, en y réfléchissant, cette initiation ressemble beaucoup à de l’inconscience ! Le seul moyen de confirmer, est d’y aller, hélas ! Une fois de plus, l’envie, l’appel de la route, la curiosité, ces trois démons auront le dessus sur mon esprit cartésien. Je fais la photo de pointage en vérifiant que l’appareil, rendu capricieux par toutes les pluies de ce printemps, fonctionne et m’imprime bien la date et l’heure sur le cliché. Le départ est tranquille, en profitant de la route encore assez plate pour s’échauffer. Malgré les 18°C au thermomètre et un ciel bouché, je commence à avoir chaud. Le soleil arrive de temps en temps à percer les nuages. Au col de la Bigue, pour mon premier col du parcours, ainsi que pour les suivants, un petit arrêt photo de rigueur s’impose ! J’avoue, j’ai les plaisirs faciles, et cela me permet de faire une petite pause. La vue sur le lac de Sainte Croix en contrebas est magnifique, bien plus accueillante que les limites du camp de Canjuers que je viens de longer. Pas de bruit du canon cette fois-ci, les militaires doivent avoir à faire ailleurs. À partir d’Aiguines, le profil s’élève maintenant nettement, les choses sérieuses commencent. Les premières caillasses au milieu de la route me rappellent qu’il faudra être vigilant pour les jantes et les pneus, surtout de nuit. Nouvel arrêt photo au sommet du col d’Illoire ; le premier pointage officiel à la source de Vaumale n’est plus très loin. Je fais mes ablutions et l’appoint des bidons à l’eau glacée, un peu de fraîcheur me fais le plus grand bien. Je commence à comprendre vers quoi je me dirige : un véritable piège à c… mais je l’ai bien cherché !
Le soleil se fait plus présent, la température monte vite. En face du Grand Canyon du Verdon, la route serpentant en face me donne une envie de grappin ou d’hélicoptère. Dire qu’il y a un ou deux kilomètres de distance au travers du gouffre, et pourtant je ne serai de l’autre côté que dans 3 ou 4 heures ! Tant pis, alors en attendant je profite du paysage. À 10h30 retentit la première déflagration en provenance du camp de Canjuers. Du temps où j’étais sous les drapeaux, les militaires étaient bien plus matinaux. Les touristes, dont moi, font leur apparition : à pieds, à vélos, en décapotables, en bus, en motos ; beaucoup de motos. Petit à petit, le paysage se fait plus minéral. Les lézards fuient dans les taillis à mon approche. Malgré les nuages et le petit vent il fait déjà 30°C à 11h. Les tunnels du Fayet apparaissent au détour d’un virage, sans prévenir, construction humaine inattendue dans ce paysage sauvage. Un peu plus loin, le pont de l’Artuby, enjambant le canyon du même nom, sert d’escale matinale à un petit groupe de cars de touristes, il faut dire que l’édifice et les alentours sont plutôt majestueux. À Pont de Soleils, puis sur la D952, le Verdon qui ne se cache plus tout au fond de son canyon prend une magnifique et profonde couleur turquoise, une sacrée invitation à plonger ! J’ai fait une bonne descente pour arriver si près de sa surface, alors je préfère ne pas m’imaginer remonter sur les hauteurs… et pourtant je sais qu’il le faudra bien ! 4 ou 5km après Pont de Soleils, une direction D23 en cul-de-sac me laisse dubitatif. Je continue tout droit, je trouverai plus loin la vraie Route des Crêtes. Ça y est, j’ai fini de manger mon pain blanc. J’abandonne le grand plateau qui m’a bien servi jusque-là. Devant moi un cycliste à vélo électrique cale en pleine montée, alors comment voulez-vous que j’y arrive avec juste mes deux petites jambes ? Pas bien mieux loti donc, je peine même sur le petit plateau, tout à gauche. Un grand rapace fait des vols circulaires au-dessus de moi, je ne sais pas si c’est de très bon augure : le charognard attend-il mon trépas ? L’anticipe-t-il avec délice ? En tout cas j’espère bien le décevoir ! Pour me ralentir encore plus, le vent se lève avec l’altitude. Cette montée exigeante me semble interminable ; ça commence bien ! Je ne suis pas mécontent de trouver enfin le grand panneau de la Route des Crêtes pour pointer. Cette étape, encore facile avec pas mal de portions pour récupérer, a eu une fin franchement éprouvante, alors pour affronter la suite, je sais qu’il va falloir s’économiser. L’orgueil n’est plus de mise, sacrée leçon d’humilité, j’aurais dû choisir plus simple pour me frotter à la montagne, mais un Randonneur 10000 ça se mérite !
La descente de la Route des Crêtes, laissant voir les lacets bien en contrebas, est absolument magnifique malgré un parapet minuscule… ou le plus souvent inexistant ! Cette vue dégagée, bien que sur la gauche, me donnerait presque le vertige. Je m’arrête faire le plein des bidons à La-Palud-sur-Verdon avant d’attaquer le col d’Ayen. Je souffre beaucoup de la chaleur quand le soleil sort des nuages. Nouvelle vue sur le lac de Sainte Croix, tout proche cette fois. À Moustiers-Sainte-Marie, mon pneu arrière manque de pression, et dire que j’ai changé les fonds de jantes, les pneus et les chambres… et merde, je suis tombé sur une chambre poreuse ! Tant pis, je regonflerai toutes des demi-journées. Dans la descente vers La Bégude Blanche, un camion de maçon me gène dans les lacets… j’ai enfin trouvé plus lent que moi ! Le col d’Espinousse, court, est un peu fatigant avec tous ses replats qui le font sembler bien plus long, surtout avec le vent de face qui souffle en bonnes rafales au sommet. Les cigales (ou les grillons ?) se sont enfin réveillées en fin d’étape ; pour un « parisien » qui dit Provence dit forcément cigales, mais allez savoir avec ces bestioles ! Arrêt photo de pointage au col d’Espinousse donc, puis j’attaque la descente. Je fais le plein des bidons au village de Chauffaut-Saint-Jurson avant de prendre la portion de N85 qui est complètement embouteillée jusqu’au feu en direction de Barras. Mon premier embouteillage en Provence, ça se fête ! Je rencontre trois pastous… contre toute attente tout se passe bien. À vrai dire, j’ai souvent rencontré des chiens beaucoup moins aimables. Comme pour les étapes précédentes, le découpage est intelligent, avec en début des descentes pour récupérer, un milieu tranquille, et un final plus exigeant. Le col de Fontbelle se laisse monter sans difficulté.
En repartant, petit répit pour récupérer jusqu’à Authon. Le jour baissant, la température devient plus acceptable. Entre Authon et Saint-Geniez, je passe devant un gros œuf de pierres sèches, un des cairns de l’anglais Andy Goldsworthy. Il me faudra attendre Authon pour vraiment récupérer. Un sanglier s’ébat dans un champ, et un gros blaireau manque de peu mes roues. Dans le jour déclinant, les lumières de Sisteron et de sa citadelle se voient de très loin. J’y passe au crépuscule. L’éclairage public orangé se mêlant aux dernières lueurs du jour, rend la ville magnifique, et le rocher de la Baume particulièrement impressionnant. Mon timing n’est pas mauvais, j’aurai juste la montagne de Lure comme bonne descente nocturne. À l’approche de Saint-Étienne-les-Orgues, les orages commencent à zébrer le ciel, pourvu que je n’aille pas me jeter dans la gueule du loup ! Un jeune sanglier passe juste devant mes roues, et un adulte dans le bas-côté renonce à charger, ayant sans doute eu aussi peur que moi, saisi dans le faisceau de mes torches. À Saint-Étienne-les-Orgues, le flash de mon appareil photo ne fonctionne pas. Je tente une photo éclairée à la lampe frontale… qui ne donne rien. Je déboîterai une de mes torches de la fourche pour faire mes pointages comme je peux. Le résultat ne sera pas si mauvais.
Les orages éclairent toujours le lointain, malgré la lune et le ciel étoilé, curieux. Pas de fantaisie, je passe le petit plateau directement à la sortie de la ville pour affronter la montagne de Lure. L’ascension nocturne ne sera pas particulièrement pénible… mais me prendra 2h30 ! Au sommet, les bornes kilométriques sont trompeuses, car indiquant la proximité immédiate du Pas de la Graille alors que je suis seulement au sommet de la montagne de Lure. Me fiant aux bornes, je cherche et recherche dans la nuit le fameux panneau de sommet n’existant forcément pas. Je fais trois fois le tour des environs, explorant la nuit méticuleusement sans rien trouver, mais en perdant bêtement une demi-heure. Je me résous à prendre une photo de la borne du sommet du Pas de la Graille à 100m en guise de pointage, mais l’altitude bien plus haute ne coïncide pas. Je ne dois pas être au bon endroit. Je repars pour trouver le vrai panneau du Pas de la Graille bien plus bas. Je savais pourtant qu’il était en contrebas de la Montagne de Lure, mais comment le même sommet peut-il se trouver en même temps à 100m dans un sens et à 3km dans l’autre ? Mystère.
Je n’ai pas ressenti la fraîcheur de la nuit dans l’ascension, mais maintenant je me couvre. Les éclairs faisant toujours partie du paysage, mais la lune et les étoiles ayant disparu au profit des nuages, tout redevient logique, alors je redescends prudemment des hauteurs. Toute la vallée du Jabron est en faux plat. La montée devient plus franche à partir de Montfroc. La nuit s’est passée sans aucune envie de dormir ni de somnolence, tout va bien. Avec le retour du jour, je m’aperçois que la route est encore humide par endroits, vestige des orages de la nuit. Pour une fois je suis passé entre les gouttes. Les cols de La Pigière et de Macuègne sont plutôt faciles, avec entre les deux une perte de dénivelé d’environ 150m.
Voici maintenant une toute petite étape, courte et facile : 25km. La route descend jusqu’à la bifurcation D41 pour le col des Aires. J’ai de la chance, le pont juste avant d’arriver à Savoillan a été fermé la journée d’hier. À moins de 24h près, si je n’avais pas pu passer, je n’imagine même pas le détour pour finir la randonnée, c’est vertigineux sur la carte ! Les cols des Aires et de Fontaube sont faciles.
La chaleur commence à être agréable. Comme la précédente, cette étape est courte et sans difficulté. J’en profite car la suivante sera tout autre chose. Malaucène, pour moi c’était jusqu’ici, à l’orthographe près, le personnage clef de la saga de Daniel Pennac. Maintenant, je peux aussi y mettre l’image d’une petite ville agréable, aux places larges et ombragées. De façon moins agréable, je réalise que je suis au pied du mur. Il faut y aller, affronter ce sacré Ventoux et terrasser le Géant. En attendant, je m’accorde une petite pause pour me ravitailler et avaler mon petit-déjeuner ou déjeuner tout court, je ne sais pas trop. D’un point de vue horaire, je suis de toute façon entre les deux !
Les premiers troupeaux de motards de la journée sont déjà de retour. Tout de suite en sortant de Malaucène, le pourcentage est important. Pas de doute, c’est bien la direction du Ventoux ! Mes genoux le confirment, ils coincent, me font mal, le gauche reçoit comme des coups de poignards. Les vieilles douleurs, que je connais trop bien, sont de retour. Arrêt pour un bon massage anti-inflammatoire de rigueur. Il fait chaud, il n’y a pas d’ombre ; en repartant mes genoux se portent à peine mieux… ce sera mon seul moment de découragement, le seul passage ingrat de cette randonnée. En pédalant sur un genou et demi, je me traîne comme une limace, et je suis dépassé par tout ce qui roule… mais qui n’en sont pas forcément à plus de 400km de route. L’ascension est très éprouvante, aussi la baisse des pourcentages au sept ou sixième kilomètre avant le sommet est la bienvenue, me permettant enfin d’afficher très provisoirement une vitesse supérieure à 10km/h ! Dès l’altitude de 1500m nous entrons dans les nuages ; enfin quelque chose pour faire barrage au soleil. Mon arrivée est ponctuée de commentaires désagréables d’une poignée de cyclos m’ayant doublé facilement vers la fin. En entrant dans ces considérations, je n’aime pas forcément les guignols bruyants et vantards, se payant ma tête avant de repartir comme ils sont venus, dans leur minibus ; mais moi, je n’en fais pas toute histoire, chacun son truc. J’attends mon tour pour la photo de pointage, grise et triste, brume oblige. Mes deux bidons n’ont pas été de trop pour cette montée. Je m’accorde une petite pause avant d’aller à l’attaque du dernier col d’importance, celui de Notre-Dame des Abeilles. Je me recouvre un peu pour la descente, il ne fait pas si chaud dans les nuages.
La descente jusqu’à Flassan m’a dépressurisé les oreilles, les tympans aspirés comme en avion ! Ne riez pas, c’est sérieux ! Dans la vallée, la vigne cède vite la place aux cerisiers. La chaleur revient avec l’altitude basse. Le col de Notre-Dame des Abeilles ne prend que 500m de dénivelé, ce n’est rien par rapport aux 1600m de dénivelé d’un Ventoux, mais c’est déjà ça, et l’ascension est laborieuse… justement après le Ventoux ! Il fait chaud, très chaud, sans ombre. Je le grimpe donc tranquillement pour pointer au sommet.
Le panneau du sommet n’est pas tout de suite suivi de la descente, il y aura avant, une petite série de bosses à affronter. Mes genoux semblent se remettre doucement du Ventoux. C’est drôle en y repensant, je ne me suis mis qu’exceptionnellement en danseuse, justement pour économiser mes genoux jusqu’au Ventoux, et quand j’en ai eu bien besoin, me voilà obligé de monter en facteur ! En tout cas, fini les fantaisies jusqu’au retour à Carcès. Réussir une Super Randonnée passe aussi par la capacité à savoir ménager ses forces. Arrivé à Sault le plus dur est fait, il ne reste plus de col au programme, mais tout le reste du parcours jusqu’à Cotignac ne sera pas forcément facile, n’étant principalement qu’une grande série de bosses, contrairement à ce que laisserait penser les altitudes de la feuille de route. Les 4km avant Banon sont enfin en descente.
Je repars vite de Banon pour profiter du jour au maximum, et essayer d’atteindre Allemagne-en-Provence en tout début de nuit. La première partie de cette étape est très roulante jusqu’à Oraison, puis la route défoncée s’élève en bosses jusqu’à la fin de l’étape. Dans ce début de nuit je ne vois pas le panneau d’entrée du village… je prendrais donc la photo à la sortie d’Allemagne-en-Provence.
Il reste moins de 50km et cette randonnée sera terminée… en pleine nuit… en catimini, entre le vendredi et le samedi. Pour cette dernière étape, les bosses sont toujours au rendez-vous jusqu’à une douzaine de kilomètres de l’arrivée, où j’aurai juste à me laisser glisser dans la descente. À Quinson, par prudence, je ferai une pause de dix minutes en m’allongeant sur un banc, bercé par les clapotis de l’eau de la fontaine. Cotignac m’accueille toute illuminée, encore un bon quart d’heure et j’aurai rejoint Carcès largement dans les délais.
En résumé :
- Une randonnée pas forcément facile, pas forcément difficile, c’est selon les moments, mais où en tout cas le paysage le mérite et où j’ai pris beaucoup de plaisir sans avoir l’impression de « galérer ».
- Un dénivelé qui n’est pas insurmontable. Et en y réfléchissant, il n’y a pas si longtemps, sans GPS ni altimètre, personne n’était obsédé par l’altitude ou le dénivelé.
- Un parcours exigeant, mais sans passages vraiment difficiles, à part les montées éprouvantes de la Route des Crêtes et du Mont Ventoux.
- Un brevet à la portée de n’importe quel cyclotouriste (même pour un très mauvais grimpeur comme moi ! ) ayant un minimum de motivation, d’expérience, et d’habitude des grands parcours en autonomie.
- Servez-vous de l’appareil photo pas seulement pour pointer, mais aussi pour le paysage, vous en avez le temps, une petite pause ne fait jamais de mal, et ça fera d’excellents souvenirs !
Deux petits conseils pour finir :
- Remplissez les bidons sans faire de détours dans les villages, mais le plus souvent que vous rencontrez une fontaine, ainsi il n’y a rien à craindre de la chaleur ; et surtout pensez à faire le plein à Malaucène, car le Ventoux sous le cagnard m’a bien demandé mes deux (gros) bidons.
- Pour éviter de finir hors délais, j’ai inscrit sur la feuille de route l’horaire maximal pour atteindre chaque pointage, calculé sur les 12km/h pour 50h (10km/h pour 60h, en accord avec les délais d’aujourd’hui), sans essayer d’extrapoler sur les étapes plus ou moins plates. Ainsi j’avais toujours de l’avance sur cet horaire, et voir cette avance augmenter doucement de pointage en pointage, est très bon pour le moral ! Le seul moment où cette marge à sérieusement baissée, et je m’y attendais, a été lors de l’étape du Mont Ventoux.
Il n’y a donc aucune raison de ne pas faire cette SRHP, faites vous plaisir (si j’y suis arrivé vous réussirez aussi), et pour les plus sceptiques pourquoi ne pas la faire en version touristique (parcours effectué au-delà des 60h) pour mieux profiter des superbes paysages, et qui ne demande de n’effectuer qu’un minimum de 75km par jour !